Afghanistan : Fin d'une guerre d'occupation, début d'une guerre de l'information

L’Afghanistan connait aujourd’hui l’une des pires crises diplomatique, économique et humanitaire de son histoire. Les cicatrices du premier règne taliban (1996-2001) restent encore très vives dans les mémoires. Depuis leur retour, ces derniers ont réaffirmé leur pouvoir en prenant le contrôle du pays et sont, de ce point de vue, dans une meilleure situation d’opportunité qu’ils ne l’étaient dans les années 2000. Dans ce cas complexe qu’est le « bourbier afghan », s’amorce alors une confrontation sur la question du danger que représente le nouveau gouvernant taliban vis-à-vis de la population et plus largement de la communauté internationale. L’analyse porte ici sur un cas d’affrontement informationnel sur l’échiquier médiatique, opposant les talibans au pouvoir -essayant de montrer un nouveau visage - face à des acteurs plus ou moins passifs, voire opportunistes devant la mise en place de ce régime.

La sophistication et la professionnalisation des talibans comme outil de propagande 

« Les talibans sont des bons terroristes mais sont des mauvais soldats. » relayait récemment un écrivain philosophe français lors d’une interview. Pendant des années, l’image reflétée des talibans était celle de villageois-combattants, terrés dans les montagnes en sandales, portant des turbans et des gilets de combat par-dessus leurs vêtements traditionnels et armés de vieux fusils d’assaut AK-47 datant de la guerre soviéto-afghane.
Au mois d’août dernier, nous avons pu voir émerger une unité appelé « Badri 313 », présentée dans des vidéos de propagande comme la composante de l’élite des soldats talibans. Elle tiendrait son nom de la première bataille victorieuse des Arabes musulmans en l’an 623 dans la vallée de Badr, au cours de laquelle le prophète aurait triomphé avec 313 soldats. Très largement relayé et jouissant d’une aura importante au sein du nouveau régime, ce contraste livre aujourd’hui une tout autre image des combattants de la cause talibane.
Faisant l’objet d’une intense communication, ces photos et vidéos montrent cette unité en tenue de combat militaire très moderne, inspirée et ressemblante quasiment en tous points aux soldats américains. Ils sont vêtus de treillis de camouflage avec gilet pare-balles lourd et bottes de combat, ils portent également des casques nouvelle génération - certains avec des Jumelles de Vision Nocturne (JVN) – des radios tactiques, sont armés de fusils d’assaut type M4 avec des optiques et vont même jusqu’à parader dans des véhicules blindés Humvee.
De plus, concomitamment au retrait des troupes américaines d’Afghanistan et lors de la capture de Kaboul, les talibans se sont mis en scène avec leur étendard en reprenant de la même manière l’emblématique image des six US marines hissant le drapeau américain sur le mont Suribachi durant la bataille d'Iwo Jima en 1945. Une provocation de plus dans la guerre de perception et d’opinion.

Si l’on s’arrête aux images, les talibans se servent déjà des équipements laissés par l'armée américaine et ceux récupérés à l'armée afghane. Parmi ce matériel militaire, on trouve des systèmes portables de communication tactique cryptés, des véhicules tactiques de transport de troupes, de patrouille, des aéronefs, divers missiles anti-véhicules, etc. La qualité et la taille de cet arsenal a de quoi surprendre et impressionner. Mais tout ceci est-il opérationnel ? Et dans l’affirmative, pour combien de temps ? Au vu de leurs capacités, nous pouvons constater qu’ils utilisent davantage ces moyens à des fins de communication de propagande qu’à des fins purement militaires.
En effet, bien que certains talibans soient équipés comme des occidentaux, ces derniers n’ont pas le savoir-faire ni la main d’œuvre nécessaire pour assurer la maintenance des hélicoptères, avions et autres véhicules blindés récupérés. Ce genre d’équipement nécessite une chaîne logistique, un suivi ainsi que des réparations régulières. Tout le matériel spécifique ou délicat tel que les optiques et les transmissions requiert un soutien, notamment en termes de pièces-détachées. L’armée régulière afghane elle-même a vu sa propre flotte d’aviation clouée au sol faute de maintenance (les contractants l’assurant ayant été évacués par les États-Unis). 
C’est donc en seigneurs de guerre médiatiques et en grands vainqueurs d’une guerre sans fin que les talibans s’affichent désormais, affirmant avoir fait plier l’armée d’occident et voulant prouver qu’ils ont maintenant les moyens militaires de rester en place. D’aucuns diront que la guérilla ou le terrorisme n’ont besoin ni de chars ni de canons. Mais avoir récupéré tout ce stock de matériel et d’équipement ne laisse néanmoins rien présager de bon. En effet, on peut tout à fait imaginer que ce qu’ils ne pourront pas utiliser sera revendu au marché-noir.

Taliban 2.0 : Lance-roquette, auto-tamponneuses et pédalo

Multipliant les gestes d’apaisement à mesure qu’ils prenaient le contrôle du pays, les photos et vidéos des talibans ont très rapidement contrasté avec les images d’afghans tentant de fuir le pays et craignant pour leur vie et leurs droits. Les nouveaux maîtres de Kaboul se sont pour autant filmés avec des smartphones en train de faire des manègessauter sur des trampolinesfaire du pédalo ou encore découvrant les installations d’une salle de sport et dégustant des glaces à l’italienneAutant de scènes burlesques tentant de montrer le nouveau visage des talibans. Des responsables talibans ont ainsi promis l’amnistie et le pardon général pour tous les fonctionnaires d’Etat, ainsi qu'à tous ceux ayant causé des problèmes par le passé (militaires, policiers, juges, enseignants, employés d’ONG, journalistes, etc.), les appelant à retourner au travail et à reprendre leurs habitudes de vie en pleine confiance, ont-ils indiqué dans un communiqué.

Le parfum de liberté qui commençait à flotter s'est évaporé

"La paix est plus difficile que la guerre" déclarait lors d’une interview pour la BBC le chef du bureau politique des talibans au Qatar. Depuis leur installation au pouvoir, force est de constater que malgré l’ordre de souplesse et les efforts de maquillage dans leur communication, les talibans ne sont guère devenus plus fréquentables. Ils ont en effet ciblé, à travers tracs et répressions, tout ce qui était perçu comme symbole de l’ancien régime ou contraire aux principes de la charia. Cette interprétation rigoriste de l’islam devient aujourd’hui l'unique base du droit afghan et les signes de radicalités se multiplient.
Le partage des images des exécutions par la population est encouragé dans un but dissuasif.  Pour exemple, des peines comme l’amputation et la lapidation sont appliquées et jugées nécessaire pour la sécurité du pays. Cette politique répressive conjuguée à un contexte sécuritaire encore plus qu’incertain pourrait mettre un coup d'arrêt à la croissance des médias indépendants dans le pays et de surcroît, engendrer une nouvelle fuite des cerveaux. Ce climat d'une grande instabilité risque par ailleurs de faire régresser les droits des afghans et plus particulièrement des femmes.

Néanmoins, la paix ne saurait se faire sans une assise populaire afghane. C’est donc elle, en premier lieu, que les talibans ciblent et tentent de convaincre à travers une telle guerre de l’information. En ville, ils cherchent à contrer la forte influence occidentale et l’ouverture à la globalisation/mondialisation, mais gardent une emprise sur la population dite plus traditionnelle, en campagne.
Malgré tout, les talibans essayent tant bien que mal d’adoucir leur image afin d’être perçus comme seul gouvernement légitime aux yeux de la communauté internationale. Mais face à ces deux visages, il ressort un certain nombre de faits ne laissant rien présager de bon. Ces nouvelles règles et directives promises face à la communauté internationale sont remises en doute sans aucune certitude d’être concrètement suivies par l’ensemble des combattants sur le terrain. 

L’Afghanistan, nouveau territoire d’accueil pour la mouvance djihadisme internationale ?

La situation n’est pas toujours lisible. Même si les talibans se concentrent sur la lutte à l’intérieur du pays, l’absence d’une présence militaire étrangère et l’interprétation stricte de la loi islamique peuvent laisser la perspective d’une nouvelle base arrière pour les djihadistes, la constitution de nouveaux réseaux et de facto une résurgence du terrorisme. Reste à déterminer la politique du nouveau régime en termes d’accueil de combattants djihadistes, ainsi que leur position quant à ceux détenus dans les prisons afghanes.

Les paradoxes d'un pays riche en ressources mais peuplé de pauvres

Depuis longtemps soumis à l'instabilité et à la guerre, l'Afghanistan regorge d’un important réservoir de ressources stratégiques inexploitées. A tel point que le pays est considéré comme l'un des plus riches en minéraux au monde : la valeur de ces ressources a été estimée à au moins 1000 milliards de dollars. En effet, le pays possède en abondance dans son sol de vastes réserves d'or, de platine, d'argent, de cuivre, de fer, de chromite, de lithium, d'uranium, etc… Si les talibans dilapident leurs nouvelles ressources naturelles par la corruption ou se battent entre eux pour leur appropriation, les afghans pourraient voir disparaître leur plus grande richesse.
Malgré ce potentiel, l'Afghanistan est l’un des pays les plus pauvres du monde. L’aide internationale est ainsi vitale mais a des effets ambigus. Elle contribue à la reconstruction du pays mais pas nécessairement à la pacification de celui-ci. Actuellement, les financements internationaux de l’Afghanistan s’assèchent un à un. Le FMI a gelé ses versements, les autorités américaines ont bloqué les transferts de dollars et l’essentiel de l’aide internationale, représentant 42 % de son PIB et la moitié de sa recette fiscale, est suspendue. 

Chaque territoire laissé appartient aux autres

L’Afghanistan est désormais une cible d'investissement privilégiée. Nonobstant le retour au pouvoir des talibans, certains pays ont montré des signes d'ouverture, tels que la Chine, la Russie, la Turquie et l'Iran. Le retrait des troupes américaines a ouvert de nouvelles opportunités pour les acteurs régionaux et tous ces projets d’investissement pourraient grandement aider au développement du pays et plus largement à toute l’Asie centrale.

La main tendue chinoise

Dans le cadre de son initiative Belt and Road Initiative (BRI), la Chine a déjà investi des sommes importantes en Asie centrale en positionnant stratégiquement ses pions dans des projets d'infrastructure et ce depuis l’organisation de la coopération de Shanghai. En outre, l’Afghanistan participe depuis 2016 au programme des « nouvelles routes de la soie ».
En dehors de cela, la Chine a encore très peu investi en Afghanistan. Cela s’explique principalement car le pays en crise était jusqu’à présent sous influence américaine. A la veille d’une pénurie d'approvisionnement de matières premières, l’Afghanistan pourrait répondre aux besoins insatiables en minerais de la Chine. Désormais débarrassé de cette encombrante tutelle, l’Afghanistan pourra dorénavant s’offrir sans retenue à son voisin chinois avec qui il partage une frontière commune longue de 70 km. Les échanges diplomatiques entre les deux pays se fluidifient, l’objectif étant pour la Chine de se placer comme acteur indispensable du futur dialogue entre la communauté internationale et les talibans tout en protégeant ses intérêts. La propagande officielle a d’ores et déjà commencé à préparer les esprits en comparant les États-Unis à la puissance « destructrice », en opposition à la Chine incarnant les « bâtisseurs ».
 

Steven Deffous
Etudiant de la 25ème promotion SIE

Pour aller plus loin :

https://www.ege.fr/infoguerre/2020/12/police-afghane-versus-talibans-guerre-limage

https://www.letemps.ch/monde/traque-propagande-reseaux-sociaux-talibans-devenus-combattants-20

https://www.hrw.org/fr/news/2021/08/18/afghanistan-les-promesses-des-talibans-quant-aux-droits-humains-suscitent-des

https://af.ambafrance.org


https://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Afghanistan

https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/GC.NLD.TOTL.GD.ZS?locations=AF

https://www.monde-diplomatique.fr/2021/09/A/63441

https://cisac.fsi.stanford.edu/mappingmilitants/profiles/afghan-taliban#text_block_16833