Analyse d’une confrontation informationnelle africaine autour de la loi Finance 2024 au Kenya
La "Génération Z" kenyane est mobilisée contre l'austérité de la loi Finance 2024 défendu par le président Ruto. En défendant l’austérité de ses mesures malgré la protestation des jeunes, en multipliant les interviews ou il fait peu montre d'écoute et d’empathie, en prenant ses distances avec les réalités économiques et sociales de jeunes kenyans qui deux ans auparavant l'avaient élu, le président Ruto semble avoir déçu, peu convaincu, et aurait au contraire contribué à l'embrasement d’une situation déjà tendue.
Genèse du conflit
Élu en Août 2022 à l'issue d’un scrutin électoral tendu, contesté et déjà émaillé par de violentes manifestations, le président William Ruto hérite d’un pays profondément divisé et dont l’économie est mise à mal par un endettement élevé et une forte inflation.
Grâce à son slogan la “nation de débrouillard”; il a réussi à inspirer et convaincre une jeunesse admirative de son parcours, lui président partit de rien, en la persuadant qu’elle aurait un avenir meilleur par la promesse de l'avènement d’un nouveau modèle économique dit “de la base vers le sommet” où de très petits entrepreneurs, des moyennes entreprises et des jeunes auraient un accès facile à des financements garantis par l’état ainsi que des logements sociaux abordables.
Ainsi, celui que ses partisans appellent affectueusement “le débrouillard en chef”; pour saluer son ascension sociale de simple vendeur de poulet ambulant à homme d'affaires et politicien influent et que ses opposants surnomment “le voleur de terre”; pour souligner son implication dans un grave scandale d’appropriation frauduleuses de terre arable en 2003, hérite en 2022 d’une économie inflationniste aggravée d’abord par la crise sanitaire du Covid-19, puis par la crise sécuritaire et politique engendré par la guerre en Ukraine.
En effet, afin de mettre en place son plan Vision 2030 visant à développer ses infrastructures et ses industries, le Kenya s’est, au début des années 2000, considérablement endetté par le biais de prêts bilatéraux et multilatéraux, auprès notamment de la Chine, de la Banque Mondiale et du Fond Monétaire International.
Ces prêts, dont le service a coûté jusqu'à 59% des recettes fiscale du pays, couplé à une hausse significative du coût des importations dont le pétrole, ont provoqué un amenuisement des réserves de change de la banque centrale Kenyane et a forcé la dépréciation du Shilling qui en perdant près d’un quart de sa valeur à coincer le citoyen Kenya dans la néfaste tenaille d’une perte de pouvoir d’achat vissée à une inflation galopante.
C’est dans ce contexte économique et social difficile que le président Ruto, introduit en mai 2024 une réforme fiscale ambitieuse visant à redresser l’économie Kenyane par le biais notamment de nouvelles taxes: “La Loi Finance 2024”.
Des taxes clivantes annoncées : la taxe de service digitale et une nouvelle taxe sur le pain
Introduite et déjà contestée en 2021, par le prédécesseur du président Ruto, la taxe de service digitale est appliquée à tous les services proposés et vendus à travers les plateformes digitales présentes au Kenya. Jusque-là appliquée au taux modique de 1.5%, elle devait sous la Loi Finance 2024 , annoncée en mai 2024, évoluer vers une nouvelle taxe, la Taxe sur la Présence Économique Significative estimée à 30% du bénéfice réalisé, lui-même calculé par défaut à 20% du chiffre d'affaires.
Dans un pays où 75% de la population à moins de 35 ans, cette potentielle brutale augmentation provoque, dès son annonce en mai 2024, une levée de bouclier et des protestations de la jeunesse kényane, qui fortement touchée par le chômage, l’inflation et la perte de son pouvoir d’achat, trouve dans l'économie digitale et de création de contenu un débouché notamment vers les marchés étrangers et une source de subsistance significative par sa créativité.
Une nouvelle taxe sur le pain, de 16% est également à l'ordre du jour. IL s’agit d’un aliment de base très consommé par les Kenyans cette nouvelle taxe est également très mal perçue par l’ensemble du pays, notamment pour les plus humbles qui se sentent trahis par cette annonce d’austérité en totale contradictions avec les promesses électorales du président Ruto.
Les protestations des jeunes culminent quand le parlement vote la loi le 20 juin 2024, par une série de très violentes manifestations de Kenyans qui, jadis divisé par des différences de réalité sociétale, culturelle voir politique, sont cette fois unifiées sous la bannière commune de “Génération Z” et par les slogans “Ruto doit partir”, “Rejeter la Loi Finance 2024” et “Occupons le parlement”.
Fig 1: Nombre de tweet entre le 12 et le 30 Juin 2024 par slogan
Un président peu pédagogue au narratif mal ajusté
Bien que très actif sur les réseaux sociaux, les premiers éléments de communication du président Ruto autour de la loi finance 2024 arrivent tard, principalement par le biais d'interviews sur les chaînes de télévision d'État et alors que les contestations s’expriment sur les réseaux sociaux.
Il commence par affirmer début juin 2024 de manière autoritaire sur une chaîne de télévision nationale que le principe cardinale de cette loi est que “Nous devons vivre selon nos moyens, nous devons commencer à augmenter nos recettes, …, pour moins dépendre des emprunts à l’Etranger”, insistant ce faisant sur l’austérité mais semblant ainsi, complètement sourd aux protestations de la jeunesse kenyane et lui répondant de manière asymétrique.
Plus tard, forcé par l’ampleur des manifestations qui culmine par le saccage du parlement le 25 juin, il annonce le 26 qu’il concède et qu’il est contraint de retirer la loi. Ensuite, alors que les manifestations ne s’arrêtent pas, et que le slogan “Ruto dois partir ”continue à gronder dans les rues et sur les réseaux sociaux, Ruto semble enfin réaliser que la télévision n’est pas le meilleur canal pour engager la jeunesse, et il choisit le 5 Juillet, la plateforme X pour discuter avec ceux -ci. Mais le président est peut convainquant et les intervenants sont fortement monitorés, plusieurs jeunes souhaitant lui parler sont même purement et simplement mis en sourdine et sont empêchés de s’exprimer ce qui renforce l’image d’un président autoritaire et déconnecté.
Suite à ce fiasco, il revient à la télévision, son canal de prédilection pour déclarer, fin juillet lors d’une nouvelle interview, ‘Qu’il n’était pas dans le contexte des manifestants, qu’il a été élu sur un programme,..., et que bien qu’il ait dû la retirer, la loi Finance 2024 aurait fait avancer le pays en avant à grand pas” , ce distançant ce faisant socialement des manifestants et de leur réalités, lui qui avait été élu sur une image d’homme du peuple et soulignant que le retrait de la loi, aurait des conséquences dures sur les programmes sociaux du pays ainsi que sur la fonction publique. Son interview est très mal reçue par les jeunes qui l'accusent d'indifférence et d’arrogance.
Fig 2:evolutions des tweets sur la loins finance en Juin 2024
Un contre narratif mené par une jeunesse mobilisée et maîtrisant les codes de son temps
Le contre récit aux éléments de langage sur l’austérité de William Ruto lui, est habilement mené de façon asymétrique par une multitude de jeunes Kenyans parmi lesquels se distinguent quelques activistes très suivis, principalement sur les réseaux sociaux tels que X et Tik Tok.
A l’aide d’illustrations habiles, de slogans porteurs opposant aux réclamations d’austérité, la mégestion supposée du régime, la corruption et le manque de transparence comme étant les maux réels du pays et stigmatisant un président perçu comme autoritaire, immoral et indifférent.
Ainsi, Gabriel Okuda, dont le profil sur X est suivi par près d’un million de personnes, a tout au long de la campagne du vote de la Loi Finance 2024, commenté les débats parlementaires, relayant la veille du vote de la loi par exemple par un tweet vu près de 800 mille fois la critique d’une député de l’opposition, Béatrice Elachi, affirmant que “la Loi Finance 2024 aurait été drafté par le FMI et la Banque Mondiale…”, sous-entendant peut-être que le président Ruto n’avait pas l’expertise et l’indépendance nécessaire vis à vis de ses institution internationales que pour drafter sa propre loi.
On peut aussi analyser ce propos comme une tentative d’une député d’un parti de centre gauche, le “Orange Democratic Movement” d’enfermer le président Ruto dans le biais cognitif du parti des banques et institutions étrangères, ou en présentant une analogie avec le «parti » des étrangers et des riches, loin de l’image d’homme du peuple sur laquelle Ruto a été élu.
Fig 3:Critique de la député Béatrice Elashi sur la Loi Finance 2024
Toujours la veille du vote, alors que les manifestation se prépare, il encourage par un tweet ingénieusement illustré, la Génération Z, affirmant que ‘le Kenya entier est derrière elle, qu’elle doit finir le travail commencé il y a des années par ses aînés et qu’il regarderait depuis le banc de touche pendant qu’elle finirait le travail de démolition…”, incitant ainsi clairement la génération Z a des actes de violences.