Analyse sur la confrontation informationnelle autour de l’A69

Symbole actuel de la lutte environnementale face aux enjeux économiques, le projet de construction de l’autoroute A69 dans la région tarnaise est pourtant vieux de trente ans. L’élargissement de la route nationale Toulouse-Castres en deux fois deux voies est d’abord envisagé en 1994. Dès la fin des années 1990, Pierre Fabre, ancien dirigeant du groupe pharmaceutique et parapharmaceutique implanté à Castres et décédé en 2013, officie discrètement en faveur d’une autoroute qui faciliterait la logistique de ses entreprises. En 2010, le projet est validé par le ministre du développement durable de l’époque, Jean-Louis Borloo. En 2022, le projet est approuvé par décret et l’entreprise de BTP NGE gagne l’appel d’offre. Elle créée alors la société Atosca pour la construction et l’exploitation de l’autoroute prévue pour 2025. L’autorisation environnementale est donnée en mars 2023. Le chantier débute un mois plus tard. 

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Figure 1 : carte du projet de l’autoroute A69 - Libération

 

L’A69 : guerre médiatique et juridique entre enjeux économiques et crise climatique

 

Néanmoins, l’autoroute divise dès la création du projet et les anti-A69 s’organisent pour tenter d’en contrer la construction. En 2021, le collectif La voie est libre est créé pour organiser la lutte contre l’A69. Au lendemain de la décision préfectorale autorisant le début du chantier en mars 2023, quatorze associations déposent un recours en annulation. Elles sont représentées par Alice Terrasse, avocate toulousaine spécialisée en droit de l’environnement. 

En parallèle du chantier, qui se poursuit au fil des reports d’audience, une guerre médiatique et juridique fait rage entre des acteurs aux visions du monde diamétralement opposées. Les pro-A69, constitués principalement d’acteurs politiques et économiques évoluant dans le large cercle d’influence du groupe Pierre Fabre, présentent l’autoroute comme la solution à l’enclavement de la région et une opportunité économique et sociale. Les opposants à l’autoroute, majoritairement composés d’associations écologistes et scientifiques, sont néanmoins appuyés par des instances gouvernementales indépendantes. Ils dénoncent un projet anachronique et écocide allant à l’encontre des ambitions de transition écologique de l’État français. 

 

Une illustration du « faible contre le fort »

Le groupe Pierre Fabre, dirigé par Pierre-Yves Revol depuis 2013, est aujourd’hui unanimement considéré comme une partie prenante et active du projet de l’A69. Au point d’être surnommé « l’autoroute de Pierre Fabre » par ses opposants, afin de démontrer

 

Une coalition politique et économique en faveur de l’A69

L’ancien dirigeant Pierre Fabre avait toutefois commencé son travail d’influence en toute discrétion. En 1999, il prend contact avec l’ancien présentateur Laurent Cabrol, originaire du Tarn. Celui-ci s’emploie alors à convaincre l’opinion publique du bienfait d’une autoroute pour la région en lieu et place de l’élargissement de la nationale existante. Page de publicité dans La Dépêche du Midi, pose d’autocollants sur les voitures de la région, tout est financé par Pierre Fabre. Laurent Cabrol créé également l’association Les routes de l’avenir et présente Pierre Fabre comme un soutien inattendu mais précieux une fois une l’association réunissant plus de 8 000 adhérents[i]. Il reconnait aujourd’hui avoir été un « porte-parole clandestin » des projets du dirigeant[ii].

Cependant, le travail d’influence du groupe Fabre s’étend bien au-delà de l’association. Le géant mondial de la cosmétique emploie 5 300 personnes en France dont 68% en Occitanie et a réalisé 2,83 milliards d’euros de revenu en 2023[iii]. Le groupe dispose d’un réseau puissant et soigne sa popularité auprès des locaux avec un fort engagement dans la vie politique et sociale régionale. Il est le premier actionnaire du Castres Olympique, possède un des hebdomadaires locaux Le journal d’ici et collabore avec des associations écologistes comme L’Envol vert. Une collaboration qui cesse lors du soutien officiel de Pierre Fabre à l’A69 en 2022[iv]

De nombreux élus et décideurs politiques de la région ont travaillé ou travaillent pour l’entreprise et tous affichent un soutien sans faille au projet de l’A69. En première ligne se trouvent des personnalités politiques comme Bernard Carayon, maire de Lavaur et ancien député, très proche du groupe Fabre et dont le fils Tristan fut juriste pour l’entreprise de 2011 à 2017. L’ancien député, en présentant et faisant voter un amendement en 2005 à l’Assemblée nationale[v], a notamment permis à l’industriel de faire don de l’essentiel de son capital à sa fondation Pierre Fabre. Le député Ensemble pour la République (EPR) du Tarn Jean Terlier, dont l’épouse occupe le poste de directrice de la communication chez Pierre Fabre, est également un fervent défenseur de l’A69. 

L’entreprise possède également des relations de premier plan au niveau national. Dès la fin des années 1990, l’ancien dirigeant Pierre Fabre écume les ministères pour son lobbying en faveur de l’A69. Un premier soutien public de François Hollande en 2013 donne un nouvel élan au projet, qui est finalement validé sous la présidence Macron. Des accointances considérées à la limite du conflit d’intérêt, comme lors de la nomination de Jean Terlier à la présidence de la « commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69 » en 2024[vi]

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Figure 2 : capture écran d’une publication Facebook de Jean Terlier avec Pierre-Yves Revol - 2 juillet 2021 

Les laboratoires Pierre Fabre n’ayant pas d’intérêts financiers dans l’A69, le conflit d’intérêt est alors réfuté par le déontologue de l’Assemblée Nationale. Or, un mois après cet avis datant de février 2024, une investigation de Benoît Collombat pour Radio France met à jour la participation de Pierre Fabre dans la société Opale Invest. Aujourd’hui renommée Tarn Sud Développement, cette filiale de NGE Concession, qui avait remporté l’appel d’offre, est financée par 13 sociétés locales dont celle de Pierre Fabre et participe depuis 2022 à hauteur de 5,34% dans le capital d’Atosca. L’entreprise tente de diminuer l’impact de cette information en la révélant dans la Dépêche du midi, journal dont elle détient des actions avant la sortie de l’enquête[vii]. La Chambre de commerce et d’industrie (CCI) du Tarn reconnait aussi sa participation à Tarn Sud Développement et communique régulièrement sur les bienfaits d’une autoroute entre Castres et Toulouse[viii]. Tous défendent activement le projet contre les anti-69, un rassemblement à première vue plus éclectique et moins puissant. 

Une opposition majoritairement citoyenne

Sous la bannière des anti-69, le collectif La voie est libre regroupe principalement des militants et associations écologistes. Pour les plus connus : Extinction rébellion, la Confédération paysanne, ou encore les Soulèvements de la Terre. Des scientifiques mais aussi des maires des communes concernées par le projet de l’A69, des députés issus du parti écologiste ou de La France insoumise (LFI) et des instances gouvernementales indépendantes soutiennent le mouvement. En tête d’affiche des associations, le Groupe nationale de surveillance des arbres (GNSA) et son fondateur : Thomas Brail. Il est connu pour ses grèves de la faim, perché dans des platanes devant le ministère de la Transition écologique ou le tribunal administratif de Toulouse pour militer contre l’abattage abusif des arbres. Des actions qui attirent les médias et les politiques et donne de l’ampleur au mouvement des « Écureuils ».

L’opposition est également menée par l’avocate Alice Terrasse, spécialiste du droit de l’environnement et qui a fait ses armes en tant que juriste pour France Nature Environnement : la fédération française des associations de protection de la nature et de l'environnement. Des personnalités comme les actrices Mélanie Laurent et Cécile de France, l’activiste Paul Watson ou l’acteur Bruno Solo se sont publiquement déclarés en faveur du mouvement. Ces déclarations sont relayées par les différents comptes sur les réseaux sociaux (RS) de La voie est libre, de Thomas Brail et du GNSA. Camille Étienne, militante écologiste, est également un des relais importants du mouvement sur les réseaux sociaux. Avec ses 530 000 followers, elle possède une résonnance non négligeable et est régulièrement l’invitée de médias plus conventionnels permettant de toucher un publique plus large. Ses nombreuses publications durant les manifestations insistent sur l’aspect familial et bon enfant du mouvement, en réponse aux accusations de violences issues du monde politique et de la presse comme le Figaro.

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Figures 3 et 4 : stories Instagram de Camille Etienne sur l’A69

 

En outre, l’appui de scientifiques au mouvement anti-A69 apporte une image d’autorité et de respectabilité. En témoigne la présence de Christophe Cassou, climatologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l’un des auteurs principaux du 6ème rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat). On y retrouve aussi Marc Odin, chercheur au CNRS et membre du collectif Scientifique en rébellion (SR), une association active dans la lutte contre l’A69.  Côté politique, les appuis sont moins notables que les pro-A69 et principalement issus des partis LFI et écologistes. La députée de Haute-Garonne Christine Arrighi, également rapporteuse de la « commission d’enquête sur le montage juridique et financier de l’A69 » en 2024, représente l’opposition politique face au député Jean Terlier. D’autres députés ou élus, profitant peut-être de l’attention médiatique comme Sandrine Rousseau (EELV) ou Aymeric Caron (LFI), s’affichent ponctuellement au côté de Thomas Brail. Une résonnance internationale a également été apportée à la lutte contre l’A69 par Greta Thunberg, activiste écologique, ou encore Michel Forst. Ce militant des droits de l’homme français, proche de nombreuses ONG, est depuis 2022 « Rapporteur spécial des Nations Unies sur les défenseurs de l'environnement ». Il a dénoncé le traitement réservé aux militants écologistes en France et le non-respect du droit à la désobéissance civile. 

Pour légitimer leur discours, les militants s’appuient également sur les services déconcentrés du ministère de la Transition Écologique, réfractaires à l’A69. L’ONG France Nature Environnement rapporte dans ses communiqués que la police de l’environnement composée par les Directions Régionales, de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement (DREAL) de l’Occitanie, la Direction départementale des Territoires (DDT) du Tarn et l’Office français de la biodiversité (OFB) a depuis le début du chantier dressé plus de 34 rapports de manquement administratif sur le chantier. De même, 14 mises en demeure préfectorales sont dressées par la préfecture du Tarn selon France nature environnement[ix]. En mars 2022, le Conseil national de la protection de la nature (CNPN), une instance d'expertise scientifique et technique rattachée au ministère de la Transition Écologique, émet un avis défavorable à la demande d’autorisation environnemental de l’A69[x]. Les arguments à l’encontre du projet sont repris en octobre 2022 par l’Autorité Environnementale lors de la réactualisation de son avis de 2016[xi] et font partie intégrante du discours des anti-A69.  

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Figure 5 : cartographie des acteurs 

 

Deux « vérités » incompatibles

 

Une opposition des narratifs sans place au compromis

Pour influencer l’opinion publique, chaque camp avance des arguments issus de registres totalement différents et répond au discours opposé point par point. Le principal argument en faveur de la construction de l’A69 est le désenclavement du bassin Castres-Mazamet qui bénéficierait alors aux habitants de la région et favoriserait son essor économique. Cependant le choix d’une autoroute est fortement contesté face au projet initial défendu par les anti-A69 qui militent pour l’amélioration de la route nationale et du réseau ferroviaire[xii]. Les pro-A69 affirment que ce projet serait plus préjudiciable à l’environnement que l’autoroute, malgré les avis contraires du CNPN et de l’AE. Les organismes du ministère de la Transition Écologique jugent que le projet n’a pas été sérieusement étudié et que les défendeurs du projet n’ont pas prouvé que l’autoroute augmenterait l’attractivité de la région. 

Un avis partagé par la rapporteuse publique Mona Rousseau. Magistrate indépendante au tribunal de Toulouse, elle s’est prononcé fin 2024 et début 2025 en faveur d’une annulation de l’autorisation de chantier dans les conclusions transmises aux parties, en vue des audiences devant le tribunal administratif de Toulouse. Elle estime notamment « excessif de parler d’un véritable décrochage économique » de la région[xiii]

En effet, les enjeux ne sont pas les mêmes pour toutes les parties. Les entreprises locales, avec Pierre Fabre en tête, verraient leur logistique simplifiée avec l’A69 alors que les habitants y gagnent à priori peu d’avantages. Les pro-A69 annoncent par exemple un gain de temps initial de 35 min sur le trajet Castres-Toulouse. Or, les estimations de l’opposition qui s’appuient sur les organismes du ministère de la Transition Écologique, affirment que le gain de temps ne dépassera pas les 20 min pour un prix excessif et une rentabilité de l’autoroute contestée. Une bataille des chiffres sans cesse renouvelée entre les deux camps, du temps de trajet en passant par le prix du péage et les sondages. En mars 2023, Atosca commande une étude Odoxa sur le sujet : 75% des personnes interrogées dans le Tarn soutiennent l’A69. La réponse de l’opposition ne tarde pas : La voie est libre commande un sondage à l’Ifop, avec 61% des habitants du Tarn et de la Haute-Garonne favorables à l’abandon du projet. Atosca riposte encore avec un autre sondage, cette fois basé sur un échantillon national[xiv]. Des chiffres peu significatifs mais qui permettent de remettre l’A69 au centre de l’attention médiatique alors que le dialogue est au point mort entre les deux camps. 

Là où les pro-A69 avancent des chiffres et des avancées économiques, les anti-A69 affirment que le projet est un désastre écologique à l’heure où le changement climatique se fait plus pressant. S’appuyant sur les études du ministère de la Transition Écologique, La voie est libre et les autres collectifs cherchent à prouver à l’opinion publique que l’autorisation de construction a été donnée malgré les recommandations d’organes de l’État. Selon la préfecture du Tarn, 420 hectares dont 316 hectares agricoles seront impactés, comprenant également la destruction de vastes zones boisées. Ces dégâts sont alors mis en balance face aux chiffres avancés par les pro-A69, prenant à partie l’opinion sur la réelle nécessité du projet. 

Atosca et les porteurs du projet répondent publiquement aux attaques en affirmant respecter les mesures ERC (éviter, réduire, compenser) obligatoires depuis 2016[xv]. En 2023, le directeur d’Atosca Martial Gerlinger annonce ainsi « planter cinq arbres pour chaque arbre arraché », phrase reprise par Clément Beaune, ministre des Transports lors d’un entretien sur France info. Un slogan de campagne censé redorer l’image d’Atosca face à la polémique et assurer l’opinion publique de la conscience écologique de l’entreprise. 

Un slogan démenti en 2024 lorsque le dossier d’étude environnement du projet commandé par NGE à Biotope, entreprise d’étude environnement française, est étudié lors de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le montage juridique et financier de l’A69. Jacques Thomas, écologue réputé, déjà intervenu sur demande de l’État en tant qu’expert lors de cas similaires comme Notre-Dame des Landes, intervient sur demande de l’avocate Alice Terrasse. Le 13 mars 2024, il passe alors son audition[xvi] à réfuter le dossier, jugé bâclé, arrivant aux mêmes conclusions que les équipes du ministère de la Transition Écologique. Martial Gerlinger reconnait alors « une simplification de communication […] qui passe mieux à la télé ou dans les médias ». Un aveu qui ouvre la brèche aux opposants, affichant l’ambivalence de l’État sur ses politiques de compensation écologique et accusant la société Atosca de mensonges. 

 

Stigmatisation et simplification du débat

Le dialogue étant inexistant, les deux parties s’emploient à dénigrer l’opposition et à considérer comme un mensonge chaque déclaration adverse. Des personnalités politiques ou économiques pro-A69 enchainent les interviews pour démontrer le bien-fondé du projet et affirment que s’y opposer c’est « condamner un territoire enclavé à l’immobilisme » comme le déclare l’avocat Carl Enckell, défenseur d’Atosca. 

Bernard Carayon par exemple, multiplie les entretiens avec plusieurs journaux régionaux comme l’Opinion Indépendante ou la Dépêche. En novembre 2023, il rédige une tribune dans le Figaro[xvii]. Les arguments pour l’A69 y sont déroulés et les anti-A69 accusés d’être des militants d’extrême-gauche violents, étrangers à la région : « privilégiés des métropoles, bobos pacsés à l’ultra-gauche », regardant les gens de la campagne comme « des ploucs méconnaissant les enjeux climatiques ». Un discours populiste et simpliste qu’on retrouve également dans ses tweets postés depuis son compte personnel afin rassembler les habitants de la région derrière l’A69 et Pierre Fabre, érigé en bienfaiteur de la région. Pour décrédibiliser l’opposition, il « conteste l’autorité pseudo-scientifique » des scientifiques signataires d’une tribune alertant sur les dangers sanitaires de la construction. Il utilise régulièrement l’expression « no pasaran », symbole de la résistance antifasciste. Une aubaine pour les opposants qui répliquent sur des médias indépendants tel que OFF Investigation où l’ancien député est régulièrement attaqué pour ses nombreuses collusions avec l’extrême-droite : de sa jeunesse au sein du Groupe union défense (GUD) en passant par ses associations politiques et sa proximité avec le Club de l’Horloge[xviii]. Des positions qui permettent aux anti-A69 de diaboliser les défenseurs de l’autoroute aux yeux de l’opinion publique. 

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Figure 6 : capture écran d’une publication sur X de Bernard Carayon - 20 février 2024

 

On retrouve le même langage virulent chez Pierre Archet, directeur du Journal d’ici possédé par le groupe Pierre Fabre. Les termes de « guérilleros » et d’« écoterroristes » sont utilisés pour désigner les militants contre l’A69 qui sont comparés au Hamas dans l’édito du journal paru le 26 octobre 2023[xix]. Michel Forst réagi en février 2024 avec un rapport sur sa visite aux « Écureuils » et déplore lors d’une conférence à l’académie du climat à Paris en décembre 2024 la criminalisation des militants environnementaux en France. Il y dénonce l’utilisation du terme de « terroristes », jugeant la comparaison inappropriée et insultante à l’égard des victimes de terrorisme et à l’égard des militants. Il souligne l’importance du langage et son impact sur la perception des actions militantes, mettant ainsi en lumière le travail de sape des pro-A69. Dans ses rapports, il s’inquiète des menaces sur la démocratie et les droits humains en Europe et en France en rappelant le droit international à la désobéissance civile[xx].

Face aux accusations de terrorisme, les détracteurs des pro-A69 mettent en avant les soupçons de corruption et de conflits d’intérêts liés au dossier. Se positionnant en citoyens investis et défenseur de le la justice sociale et de l’écologie, ils cherchent à mettre en exergue les profits que tirent les politiques et les entreprises d’un tel projet, au détriment des habitants de la région et de l’intérêt général. L’autoroute est notamment présentée comme la future plus chère de France. En novembre 2024, le groupe Pierre Fabre tente d’en finir avec la polémique et annonce remettre en cause sa « politique d’implantation locale » si l’autoroute n’est pas achevée. Les militants répliquent et accusent le groupe de chantage à l’emploi pour faire pression sur la décision de justice et les habitants employés par la firme. Ils montrent une entreprise toute puissante « utilisant des méthodes mafieuses » pour arriver à ses fins. Différentes enquêtes de médias indépendants, tels que Blast et Médiapart, reprennent et amplifient cette rhétorique. 

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Figures 7 et 8 : publications Instagram de La voie est libre

L’utilisation d’armes d’influence traditionnelles au militantisme sont également utilisées : affiches dans les rues, appel au boycott sur les réseaux sociaux contre le groupe Pierre Fabre, une ZAD, aujourd’hui détruite, est créée sur le futur chantier et les manifestations se multiplient[xxi]. Les affrontements contre les forces de l’ordre sont alors utilisés médiatiquement par les deux parties, s’accusant mutuellement de violence et non-respect de l’État de droit. Un affrontement sur le terrain mais aussi par tribunes interposées. Les tribunes de Guilhem Carayon dans Valeurs actuelles[xxii] ou de la CCI du Tarn dans La Dépêche du Midi font face aux tribunes signées par des scientifiques[xxiii] et des soignants. Chaque camp cherche à rassembler le plus de signataires, dans une autre bataille des chiffres. 

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Figure 9 : entête de la tribune de la CCI du Tarn dans la Dépêche du Midi - 5 octobre 2023

 

Plus récemment, en janvier 2025, des avocats et universitaires signent une tribune dans France Info, où ils considèrent le projet comme « une atteinte à la démocratie environnementale » et où ils remettent en cause l’impartialité de la justice administrative[xxiv]

 

Le juridique pour arbitre 

Réclamant une réforme en profondeur, les avocats et universitaires signataires regrettent la « politique du fait accompli » qui est utilisée pour faire accepter l’autoroute. Ils demandent à ce qu’il y ait une « suspension automatique des travaux lorsqu’un recours est déposé contre un projet ayant reçu des avis défavorables d’instances indépendantes ». Même constat du côté d’Alice Terrasse qui a comparé la poursuite des travaux à une « stratégie du passage en force ».

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Figure 10 : manifestation anti-A69 devant le tribunal administratif de Toulouse – février 2025

Cette prise de risque de l’État est critiquée au-delà du cercle des opposants. Un article de février 2025 de Challenges[xxv]sans juger du bienfondé du projet, accuse l’État d’être « coupable d’une négligence sidérante ». Le préfet Lauch est mis en défaut pour avoir signé l’arrêté en mars 2023 autorisant les travaux alors que le « risque juridique était aussi prégnant » et la lenteur de la justice administrative est critiquée. Surtout, l’article rappelle que la facture s’élèverait à près d’un milliard d’euros pour l’État si la justice tranche en faveur des anti-A69. De plus, même si la commission d’enquête sur le montage juridique et financier de l’A69 a été stoppée lors de la dissolution de l’Assemblée nationale, les différentes enquêtes publiées dans les médias soumettent Atosca au risque d’une procédure judiciaire de la part de ses concurrents et l’État une procédure au pénal pour délit de favoritisme[xxvi]

Une mauvaise presse qui pourrait conduire la justice à une refonte des lois concernant les importants projets d’infrastructures et les risques environnementaux. Concernant l’A69, le tribunal administratif de Toulouse tranchera fin février entre les deux camps. Une poursuite du projet provoquerait une nouvelle perte de confiance des militants envers l’État. Une annulation serait une victoire en demi-teinte pour les anti-A69. En effet, l’avancée des travaux rend quasiment impossible un retour en arrière et tout démantèlement aurait également un impact environnemental.

Cet affrontement de deux mondes : lobby des entreprises et activistes, creuse encore un peu plus le fossé entre préoccupations écologiques et enjeux économiques. 

                                      

Chloé Giuliani (MSIE45 de l’EGE)

Notes

[i]  Laurent Cabrol, « les routes de l’avenir », Laurent Cabrol Le blog, février 2025. 

[ii] Benoît Collombat, “Les zones d’ombre de l’autoroute Castres-Toulouse », France Bleu [En ligne]mis en ligne le 19 avril 2024.

[iii] « Nos chiffres clés », Pierre Fabre [En ligne]mis à jour en mai 2024. 

[iv] « La sortie de route du projet d’autoroute A69 », Envol vert 17 avril 2024. 

[v] « Détention d’entreprises par des fondations et fonds de dotation », Centre français des fonds et fondations, [En ligne]2017. 

[vi] Benoît Collombat, “Les zones d’ombre de l’autoroute Castres-Toulouse », France Bleu, le 19 avril 2024

[vii] Brian Mendibure, « "En 2023, nous avons investi 230 M€ en Occitanie", affirme Éric Ducournau, directeur général des Laboratoires Pierre Fabre », La Dépêche du Midi, 14 mars 2023. 

[viii] Guillaume Kempf, « Autoroute A69 : La CCI du Tarn explique son entrée au capital d’Atosca », La Dépêche, [En ligne]mis en ligne le 20 mars 2023. 

[ix] « A69 : un chantier pavé de non-conformités environnementales aux impacts cumulés majeurs », France nature environnement, 23 janvier 2025. 

[x] Avis du Conseil national de la protection de la nature, ministère de la Transition Écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche, [En ligne]12 septembre 2022. 

[xi] Avis délibérés n° 2022-62 et 2022-73 adoptés lors de la séance du 6 octobre 2022, Autorité environnemental, octobre 2022. 

[xii] Juliette Quef, « Un projet alternatif à l’A69 entre Toulouse et Castres présenté à l’Assemblée nationale », Vert [En ligne], 26 septembre 2023. 

Jean Olivier, Benoît Durand, La voie est libre, Karim Lahiani « Une autre voie », Basta mediajanvier 2024 

[xiii] Justin Carrette et Antoine Berlioz, « l’A69 sur la sellette après une audience cruciale », Reporterre, mis à jour le 20 février 2025. 

[xiv] Marianne Enault, « A69 : entre pro et anti, la bataille des sondages », TF1 info [En ligne]mis en ligne le 19 octobre 2023. 

[xv] Commissariat général au développement durable, « Éviter, réduire, compenser » (ERC) : en quoi consiste cette démarche ? », Notre environnement, mis à jour le 5 août 2020.

Jeanne Cassard, « A69 : le concessionnaire a bâclé la compensation écologique », Reporterremis à jour le 10 avril 2024 

[xvi] 16e législature Session 2023 – 2024, « Compte rendu de réunion n° 5 - Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute A69 », Assemblée nationale [En ligne]mis en ligne le 19 avril 2024. 

[xvii] Bernard Carayon, « Rendons la parole aux Tarnais ! », Le Figaromis à jour le 1er novembre 2023. 

[xviii] Capucine Vignaux, « L’extrême droite contre l’environnement ? », OFF investigation, mis en ligne le 21 mars 2024. 

[xix] Pauline Bock, « A69 : Pierre Fabre compare écolos et Hamas dans son "Journal d'ici" », Arrêt sur images, mis en ligne le 1er novembre 2023. 

[xx] « Répression des militants écologistes : une menace pour la démocratie », Nations Unies.

[xxi] « Nos actions », La voie est libre.

[xxii] Guilhem Carayon, “L’A69, du progrès et de la justice”, Valeurs actuellemis en ligne le 30 octobre 2023. 

[xxiii] Un collectif de scientifiques, « « Pour nous, scientifiques, l’autoroute A69 est un de ces projets auxquels il faut renoncer », Le Nouvel Obsmis en ligne le 4 octobre 2023. 

[xxiv] « A69 : le droit de l’environnement sert-il encore à quelque chose ? », France Info, mis en ligne le 1er janvier 2025. 

[xxv] Thiébault Dromard, « Autoroute A69 : l’État coupable d’une négligence sidérante qui pourrait coûter un milliard d’euros », Challengesmis en ligne le 18 février 2025.

 

[xxvi] Clarisse Feletin, « Atosca, concessionnaire tricheur ? », OFF investigationmis en ligne le 17 janvier 2025.