AstraZeneca : duel informationnel entre le Royaume-Uni et les 27

Avec le divorce annoncé entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni finalement prononcé le 31 décembre 2020, l’UE veut se montrer implacable envers toute volonté de sédition de la part d’un de ses états membres.

Le contexte pandémique qui dure officiellement depuis le 11 mars 2020 a fortement contribué à exacerber les tensions qui étaient jusqu’alors latentes. L’annonce fin janvier 2021 par le laboratoire AstraZeneca (AZ) de retards de production en Belgique et aux Pays-Bas a déclenché une désastreuse série d’évènements politiques allant jusqu’à remettre en cause l’accord du Vendredi Saint, symbole de paix et d’unité européenne.

Dans la course effrénée à la sortie de crise et au redémarrage des économies, tous les coups semblent permis entre Bruxelles et Londres pour gagner du terrain sur l’échiquier de la vaccination.

Rappel des faits

Le cumul du nombre de décès attribué au Covid-19 en UE et au Royaume-Uni est en passe de franchir le cap des 600 000. A peine neuf mois après les premiers cas européens détectés en France, Pfizer/BioNTech annonce le premier vaccin contre la Covid-19 le 09 novembre 2020. Depuis fin janvier 2021, ce sont trois vaccins qui sont autorisés par Londres et Bruxelles à être mis sur le marché.

La course à la vaccination devient dès les premiers instants un élément informationnel clé : le gouvernement qui parviendra à immuniser sa population en premier pourra se targuer d’avoir réussi sa politique entamée aux prémices de la crise sanitaire et sera en mesure de relancer son économie et de prendre la tête dans la course à la relance.   Alors que deux années intensives de négociations pour la sortie du Royaume-Uni du marché commun se terminent, il n’aura pas fallu un mois pour que l’accord si longuement négocié soit remis en cause. Après l’annonce d’AZ au Comité Européen le 22 janvier 2021 qu’une baisse de 60% des livraisons prévues au premier trimestre 2021 ce produirait, le ton est rapidement monté avec l’UE qui suspecte le laboratoire d’avoir exporté des doses du vaccin au Royaume-Uni avant l’autorisation de l’Agence Européenne du Médicament.

Pour la commission Européenne, déjà échaudée par les retards de livraison de Pfizer/BioNTech et de Moderna, le vaccin développé par Oxford/AstraZeneca permettait de résoudre non-seulement les problématiques logistiques liées à la chaîne du froid mais également de permettre aux européens de réellement démarrer leurs campagnes de vaccination, à l’image de celle entamée par Londres le 04 janvier 2021

Devant montrer de la fermeté et pour calmer les ardeurs de certains des 27 voulant jouer cavalier seul, Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission Européenne, monte au créneau le 26 janvier 202. Elle annonce lors du Forum économique de Davos, un mécanisme transparent de contrôle des exportations de vaccins, tout en rappelant que les laboratoires doivent honorer leur engagement de commandes passées et qui sont en grande partie prépayées. Le laboratoire invoque implicitement par la voix de son PDG Pascal Soriot la règle du « premier arrivé, premier servi », et une obligation de production selon leurs « best reasonable efforts ».

De son côté, Ursula von der Leyen décide de publier le contrat signé avec AZ afin de jouer la transparence vis-à-vis de l’opinion publique mais également de démontrer les responsabilités de production et de livraison auxquelles s’était engagé le laboratoire, notamment en utilisant toutes ses usines en Europe et au Royaume-Uni pour fournir les 27. Car s’il est bien une polémique que souhaite éviter à tout prix Bruxelles, c’est bien celle qui l’accuserait d’être responsable des retards de livraison et de la pénurie annoncée de vaccins.

De la transformation d’un conflit commercial en une crise diplomatique

Outre-manche, le 10 Downing Street jusqu’alors concentré dans sa campagne de vaccination intensive avec plus de 15 millions de vaccinés au 14 février à raison de 550 000 vaccinés /jour, et faisant l’objet de livraisons hebdomadaires de 2 millions de doses par AZ, ne s’était pas invité au débat, observant d’un œil attentif les vifs échanges.

Malgré déjà quelques prises de positions marquées de membres de son gouvernement en faveur d’AZ et contre le manque d’efficacité et la bureaucratie de l’UE, l’évènement déclencheur du changement d’échelle de la crise a été la possible activation par l’UE de l’article 16 du Protocole sur l’Irlande du Nord (faisant partie du traité d’accord sur le Brexit), remettant de facto en place une frontière entre l’UE et le Royaume-Uni, en mer d’Irlande. Il n’aura fallu en effet que quelques heures le 29 janvier pour transformer un conflit d’ordre commercial en crise diplomatique majeure.

En invoquant l’article 16, l’UE souhaitait s’assurer que les vaccins produits sur son sol ne soient indûment exportés vers le Royaume-Uni qui mise énormément sur sa campagne de vaccination pour réparer les erreurs et négligences du début de la pandémie.  Il faut dire que Boris Johnson joue son avenir politique pendant cette campagne : c’est pour lui l’unique moyen de faire oublier l’échec de sa stratégie initiale de l’immunité collective, une solution pour renforcer la crédibilité de son équipe suite au scandale lié à son conseiller Dominic Cummings et, finalement, l’ultime opportunité pour démontrer qu’il est encore apte à diriger la Nation alors que le Brexit est entériné et que son Parti s’interroge sur son sort.

Signé le 30 avril 1988 par les représentations politiques de Londres, Dublin et de Belfast, l’Accord du Vendredi Saint a mis fin à 30 années de troubles sanglants. La décision d’invocation de l’article 16 a non seulement provoqué la colère de Londres mais celle aussi de Belfast par la voix de la Première Ministre Arlene Foster qu’elle a immédiatement qualifiée comme étant un « acte d’hostilité incroyable ».

La commission fait depuis face à une vague de protestations de la part de Londres et de Belfast, l’accusant de trahison et de tentative de déstabilisation du gouvernement britannique en réveillant les tensions irlandaises. D’ailleurs, galvanisé par cet évènement, le Parti Démocrate Unioniste (DUP) au pouvoir à Belfast, a initié une pétition pour déclencher l’article 16. Cette démarche est soutenue notamment par Nigel Farage et d’autres parlementaires pro-Brexit et qui devra être débattu à Westminster. L’activation de cet article à l’initiative de Londres lui permettrait de pouvoir lever les barrières au libre échange commercial avec Belfast. L'Irlande du nord souffre d’importantes pénuries depuis la mise en place du Brexit et dont la situation devrait s’aggraver à partir du 1er avril 2021, date de la fin de la période de grâce négociée par Londres et Bruxelles (2).

Un front européen à la manœuvre pour discréditer Londres

Mis à mal par la stratégie d’unité de l’UE pour l’achat des vaccins afin que cela puisse bénéficier équitablement à chacun des 27, Berlin, Paris & Rome souffrent des retards et de la lenteur des négociations menées par la Commission à l’été 2020. Afin de détourner le regard de leurs populations respectives sur leurs échecs, la stratégie affichée est de déstabiliser publiquement la politique de Londres et le manque de fiabilité d’AstraZeneca.

Les premières attaques ne se font pas attendre car le 29 janvier dernier, Emmanuel Macron lançait devant la presse que le vaccin d’AZ n’était pas efficace pour les personnes de plus de 65 ans, provoquant une réaction immédiate de la communauté scientifique britannique en l’accusant de vouloir semer le doute dans l’esprit des Britanniques. C’est un premier coup porté contre la réussite des Britanniques car le vaccin est avant tout le symbole d’une réussite de la R&D nationale (partenariat technologique de l’université d’Oxford avec AZ) qui est jalousée par la France dépitée par l’abandon de l’institut Pasteur et face aux retards accumulés de Sanofi.

Par ailleurs, Clément Beaune, secrétaire d’état en charge des affaires européennes, renchérissait sur France Inter le 01 février que la Grande-Bretagne prenait beaucoup de risques dans sa campagne de vaccination. En faisant immédiatement référence à l’avis de prudence émis par l’autorité de santé allemande, le front Européen voulant mettre en exergue la stratégie de sécurité sanitaire comme étant le point central de la politique de vaccination européenne, à contrario de la stratégie britannique qui serait de vacciner coûte-que-coûte, sans mesurer les risques.

A l’image de la Suisse interdisant par la voie de SwissMedic la mise sur le marché du vaccin AZ faut de données suffisantes pour pouvoir juger de son efficacité, ce sont également des Etats comme la Suède, l’Italie, la Pologne, l’Allemagne et la France qui interdisent son utilisation pour les 65 ans et plus.

En pleine tempête politique avec la défiance de sa population, l’Italie, qui se dote d’un nouveau gouvernement à l’initiative de Mario Draghi après la très contestée gestion de la deuxième vague épidémique par le précédent gouvernement, va poursuivre en justice AstraZeneca pour manquement à ses obligations contractuelles.

Dans sa démarche d’émancipation de l’UE, Londres a pu se positionner très rapidement sur les contrats d’achats de vaccins, lui permettant en « cavalier seul » d’être agile et opportuniste afin de se sécuriser des approvisionnements conséquents. A l’occasion du Warwick Economic Summit 2021, après avoir reconnu quelques heures auparavant que le Royaume-Uni était un « speed boat » en comparaison au paquebot Européen, Ursula von der Leyen décrivait la situation actuelle comme étant similaire à l’époque de la Guerre Froide, pointant implicitement du doigt la politique « du chacun pour soi » menée par Boris Johnson dans sa course effrénée aux vaccins.

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Empêtrés dans les erreurs stratégiques, et faisant face à une fronde populaire de plus en plus marquée, à l’image des pires émeutes depuis 40 ans aux Pays-Bas, les 27 se sont résolument engagés dans un bras de fer avec Londres.

D’un point de vue social, il est stratégique pour les Européens de démontrer que la politique du Royaume-Uni est non seulement trop risquée mais également contraire à l’esprit d’entraide dont doivent faire preuve les Nations européennes en temps de crise.

Economiquement, l’UE ne compte pas en rester là et entend bien faire respecter sa position de mastodonte économique en rappelant au gouvernement britannique que l’intégrité de son territoire passe surtout par une coopération bilatérale dont les règles sont dictées par Bruxelles.

Il en va de l’intégrité du Royaume-Uni : d’une part avec l’Irlande du Nord qui se retrouve en première ligne dans l’affrontement politique entre les deux blocs et, d’autre part avec l’Ecosse dont les velléités d’indépendance qui réapparaissent plus déterminées qu’auparavant. C’est d’ailleurs dans cette ligne que la Première Ministre écossaise Nicola Sturgeon a décidé de la publication transparente des données liées à la vaccination en Ecosse, contre l’avis de Boris Johnson.

Sur fond de guerre informationnelle au sujet de la production des vaccins, se trame ni plus ni moins la réussite de la mise en place des accords post-Brexit qui semblent être de plus en plus difficile à respecter pour le Royaume-Uni, et l’UE entend bien en profiter pour avancer ses pions.

 

 Guillaume-Henri HUREL
Auditeur de la 36ème promotion MSIE

Pour aller plus loin :

  1. The Pharmaceutical Industry in Figures
  2. Protocol on Ireland/Northern Ireland