Attaque informationnelle contre la gastronomie française

Dans le cadre d’un séminaire organisé par Sciences Po Paris et l’Université de Nanterre, Mathilde Cohen, chargée de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) mais également maître de conférences à l'université du Connecticut aux États-Unis, dénonce le concept de « blanchité / blancheur alimentaire dans la cuisine et la culture française ». Cette vidéo conférence, le jeudi 17 juin 2021, sous-titrée simultanément en français en écriture inclusive (sic) s’inscrivait dans le cadre de la promotion d’une publication de Mathilde Cohen d’un article de 42 pages « The Whiteness of French Food Law, Race, and Eating Culture in France » posté le 22 avril 2021 sur le site https://www.ssrn.com/.

Dans cette étude, Mathilde Cohen entend démontrer que l'utilisation des pratiques alimentaires françaises renforcent la blancheur comme identité raciale dominante.

Mathilde Cohen écrit  notamment :

« Si l’alimentation est au cœur de l’identité française, le déni de l’existence de différences raciales et de leur impact fait tout autant partie de la façon dont la nation se définit, ce qui les rend difficiles, mais d’autant plus importants à penser ensemble. (…) La blancheur de la nourriture française est d'autant plus puissante qu'elle est anonyme, permettant la majorité de bénéficier de privilèges alimentaires sans avoir à reconnaître leur origine raciale. (…)

L’utilisation de la nourriture et des habitudes alimentaires pour renforcer la blanchité comme identité raciale dominante. » (…)

« Le couscous est un exemple d'aliment qui a été domestiqué pour exister selon ce qui convient au palais blanc. (…) Simultanément l'un des les aliments les plus appréciés de France et les emblèmes les plus célèbres de la culture maghrébine, il pourrait être « l'incarnation culinaire archétypale de la culture multiculturelle postcoloniale de la France. »

Amplification de l’attaque informationnelle sur les réseaux sociaux

La dénonciation de la domination « blanche » s’amplifie et les sentinelles de la pensée américaine produisent leur rhétorique :

« Hyper intéressant, merci ! Il y a un parallèle aux Pays-Bas où les immigrés d’Indonésie étaient contrôlés s’ils mangeaient bien des pommes de terre et pas du riz comme signe de leur intégration. »

D'autres, comme Annie Hubert, nient l'existence de tout plat national, proposant qu’une cuisine nationale ne puisse s'identifier que négativement. L'un n'est pas Français parce qu'on mange des « steaks frites », mais « parce que tous les autres, les étrangers, ne mangent pas comme nous. C'est la cuisine inférieure voire repoussante ou dangereuse des « autres » qui renforce notre appartenance au groupe. »

Sur la Plateforme Quora le soutien aussi s’organise : « Par exemple, aujourd'hui encore, dans de nombreuses cantines d'écoles publiques, on sert du poisson exclusivement le vendredi comme le veut la tradition chrétienne même si c'est plus par habitude que par respect de convictions religieuses. Aujourd'hui encore, la forme de nos repas (entrée, poisson et ou viande, fromages, desserts, qui privilégie la gradation des saveurs) est basée sur celle qui a été la norme dans les classes sociales aisées et non pas pour la grande majorité pauvre jusqu'au milieu du XXème siècle. »

La mise en accusation de la démagogie des attaquants

Stella Kamnga [i], sur RMC dans l’émission « Les Grandes gueules » s’exprime : « Pour moi, la cuisine est l’expression d’une culture… il est donc normal que ce soit l’identité française qui domine dans la cuisine française, comme il est normal que ce soit l’identité africaine qui domine dans la cuisine africaine, ou l’identité chinoise qui domine dans la cuisine chinoise. Par conséquence, la cuisine française ne contribue pas à favoriser le développement du racisme selon moi. » Stella Kamnga explique aussi « qu’il ne faut pas avoir peur de parler de « blanc de poulet », ou de « blancs d’œufs », et qu’il faut arrêter de craindre d’utiliser les mots « blanc », « français » ou « européen ».

Le site Causeur dont la Elisabeth Lévy, directrice de la rédaction, publie : À l’appui de deux proto arguments, elle affirme donc que le poisson le vendredi à la cantine, c’est mal ; et que le droit contribuerait à faire de nos habitudes alimentaires à la française un « régime alimentaire privilégié et juridiquement protégé ». Excusez-vous d’être les héritiers d’une patrie qui a fait de la gastronomie un art à part entière, et que tout le monde nous envie ! Mais c’est justement là le problème.

Éric Ciotti, homme politique, tweet : « À Sciences Po, une conférence présente la cuisine française comme raciste et dominée par les blancs. Je regrette que cette école dont je suis diplômé, jadis d’ouverture et d’excellence, enseigne désormais des théories indigéniste, racialiste et totalement délirantes. »

Le syndicat étudiant UNI Sciences Po dénonce de son côté la « dérive racialiste » constatant « le glissement progressif de Sciences Po vers une école soumise aux théories venus d’Amérique niant la rigueur scientifique au profit de l’idéologie. »

Quelques chefs français ont aussi pris part timidement au débat. Selon Thierry Marx, le « débat est mauvais car il crée une polémique là où il n'y en a pas. Juste pour faire du buzz. » De son côté, Michel Sarran ne comprend pas « qu'on puisse politiser ce débat. La cuisine, c'est avant tout le partage et un art populaire qui touche toutes les classes sociales. Nous sommes fiers de notre cuisine mais nous ne sommes pas les seuls ! Pour moi la cuisine est un langage universel et je ne vois pas en quoi on pourrait être taxés de raciste... ça me choque un peu. »

Le cadre institutionnel du rapport de force

Au travers de son étude Madame Mathilde Cohen utilise ce syntagme, « blanchité alimentaire », comme acte d’accusation d’un pays, la France, considéré comme raciste, au travers de sa cuisine, en l’espèce et en Droit, ou s’agit-il d’une attaque dirigée délibérément ou pas contre notre industrie gastronomique et si oui au profit de quelle autre industrie alimentaire ?Rappelons que selon un décret de 2019, la politique de sécurité économique « vise à assurer la défense et la promotion des intérêts économiques, industriel et scientifique de la nation, constitué notamment des actifs matériels et immatériels stratégique pour l'économie française ; elle inclut la défense de la souveraineté numérique »[ii]. Selon ce texte, oui l’alimentation et la gastronomie constituent un bien immatériel que la France doit défendre.

Notons aussi qu’en 2010, l’UNESCO décidait de classer le « repas gastronomique des Français » comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Cette catégorie, créée en 2003, a pour objectif de protéger les pratiques culturelles et savoir-faire traditionnels, aux côtés des sites et monuments.

Il existe un risque d’influence américaine sur l’agriculture française à cause de la dimension géoéconomique de l’alimentation dans le modèle de puissance d’outre-Atlantique : le leadership américain sur l'alimentation animale à travers les accords du GATT, les manœuvres souterraines du lobby du soja, la compétition entre les États-Unis et l'Europe sur le mode de vie et d'alimentation » sont des marqueurs de la volonté américaine d’imposer son point de vue. Peu de contradicteurs européens et français se donnent pour l’instant les moyens de démontrer les dangers, notamment en termes de santé publique, du mode d’alimentation d’une grande partie de la population nord-américaine.

 

 

Jean-Louis Carou
Auditeur de la 37ème promotion MSIE

 

 

[i] Stella Kamnga est une jeune Camerounaise arrivée en France en 2017 pour y poursuivre ses études. Elle s’est fait connaître en juin dernier par une vidéo virale exprimant une révolte spontanée contre la vague d’antiracisme victimaire qui a déferlé sur l’Occident après l’affaire Georges Floyd.

[ii] Cf. Décret n°2019-206 du 20 mars 2019 relatif à la gouvernance de la politique de sécurité économique.