Désengagement français au Mali : la guerre de l'information en action au sein des Armées

Le 19 avril 2022, la base opérationnelle avancée (BOA) de Gossi a été cédée aux forces armées maliennes (FAMa) dans le cadre de la réorganisation de l’opération Barkhane au Mali. Cette réorganisation faisait suite à la décision du 17 février 2022, du président de la République Emmanuel MACRON, du retrait militaire de la France au Mali car les conditions diplomatiques, stratégiques et militaires n’étaient plus réunies pour travailler correctement avec les forces armées maliennes. Cette décision était fortement attendue par les nouvelles autorités maliennes. Elles ont demandé à la France de retirer ses troupes « sans délai ».

En effet, depuis le dernier coup d’état provoqué par la junte militaire le 4 mai 2021, les relations politico-militaires s’étaient fortement dégradées et avaient contraint le gouvernement français à accélérer la réarticulation de l’opération Barkhane plus rapidement que prévue initialement.

Un contexte sensible sous influence russe 

Dans ce contexte sensible, aggravé par l’arrivée sur le sol malien de la société militaire privée WAGNER en décembre 2021, dont la violence et les agissements, allant parfois à l’encontre du droit international, étaient régulièrement condamnés, les forces armées françaises ont jugé opportun de faire un effort aérien de surveillance lors des rétrocessions des différentes emprises militaires aux forces armées maliennes. Le colonel Pascal IANNI, porte-parole de l’état-major des armées françaises à cette époque, avait précisé qu’un point de situation détaillé de la base de Gossi avait été dressé afin de protéger la France d’éventuelles exactions. Les forces françaises avaient déjà été accusées de participer à des trafics et de commettre des exactions par le passé.

Pour rappel, la société WAGNER est présente dans au moins dix pays du continent africain. Cette société militaire privée se développe dans des pays déstabilisés, dont les structures étatiques et militaires sont affaiblies et détiennent d’importantes ressources naturelles. Elle offre ses services sécuritaires, de formation, d’entraînement et devient un véritable acteur du pouvoir.

Les modes d’action mis en œuvre au Mali sont en droite ligne de ceux observés en Centrafrique depuis le déploiement de cette société dans ce pays. De nombreuses organisations internationales et des ONG ont dénoncé ces agissements criminels.

L’attaque informationnelle 

Afin de fragiliser la France au Mali, la société WAGNER a lancé un processus de guerre informationnelle dont l’objectif était de décrédibiliser la France et de critiquer tout ce qu’elle faisait en Afrique. Cette guerre a mis en confrontation face à la France, un adversaire qui utilisait des méthodes dans le champ informationnel que la France s’interdisait d’utiliser (fake news, maquillage de crimes de guerre, exploitation de toutes sortes de rumeurs, etc.).

Ainsi, on peut constater que l’environnement informationnel est un nouveau champ de bataille qui pourrait être décrit comme un champ immatériel dérégulé, plus que jamais propice à l’affrontement de récits concurrents et à l’affaiblissement de la volonté de combattre des adversaires.

Cinématique de l’attaque 

Une manœuvre de désinformation contre la France a alors débuté avec l’annonce de la diffusion de preuves de massacres commis par les forces armées françaises. Un faux compte lié à Wagner a diffusé une vidéo montrant un charnier près de la BOA de Gossi.

Des vidéos prises par un capteur aérien militaire de l’opération Barkhane et diffusées dans les médias ont permis de contrer cette attaque informationnelle. Ces images ont mis en évidence l’implication de la société WAGNER, où plusieurs mercenaires ont été filmés alors qu’ils enterraient des corps.

-19 avril 2022 : BOA cédée aux FAMa et départ de Barkhane.

-20 avril 2022 : après-midi : mouvements FAMa/WAGNER à partir de la BOA.

-20 avril 2022 : Tweet publié par un faux compte lié à Wagner annonçant l’imminence de la diffusion d’une vidéo de charnier près de la BOA.

-21 avril 2022 : mercenaires enterrant des corps à proximité de la BOA filmés par capteur français. Un soldat malien ou mercenaire visible au sol filmant la scène.

Corps appartenant probablement aux civils assassinés par FAMa/Wagner à HOMBORI les 19 et 20 avril 2022.

-21 avril 2022 : diffusion par le faux compte lié à Wagner de captures d’images et d’une vidéo du charnier de GOSSI mettant en cause Barkhane.

-22 avril 2022 : diffusion sur France 24 des images du capteur de Barkhane.

-22 avril 2022 : première réaction malienne mettant en cause Barkhane et annonçant l’ouverture d’une enquête.

-25 avril 2022 : conférence de presse malienne soutenant les FAMa et accusant la FRANCE d’espionnage.

Réactions des autorités maliennes et russes 

Immédiatement, l’état-major malien a alors nié toute implication et a affirmé que les FAMa ont, peu après leur arrivée, découvert les corps en état de putréfaction, rejetant la responsabilité sur la France. Dans leurs communications ultérieures, les autorités maliennes ont accusé la France d’espionnage et d’actions de subversion suite à la diffusion de la vidéo montrant la mise en place du faux charnier.

Le 22 avril 2022, sur le site du ministère des affaires étrangères de la fédération de Russie, un communiqué de presse a été publié. Il rapportait le soutien de la Russie à la décision des autorités maliennes d'enquêter de manière approfondie sur les circonstances de cet événement. De plus, le gouvernement Russe a aussi fait la remarque de la tendance des médias français, et souvent de certains responsables occidentaux, de déplacer « tous les péchés sur les autres ». Ainsi, les acteurs de l’émission de la « fake news » ont tenté de reprendre la main sur la gestion narrative du dossier afin d’influence l’audience ciblée initialement.

Des méthodes connues 

La désinformation constitue un des modes d’action couramment utilisés par Wagner contre ses adversaires du moment. Aujourd’hui, une des règles dans la guerre informationnelle est la rapidité de réaction qui a été bien appliquée par les forces armées françaises et qui a permis de limiter fortement l’impact négatif suite à cette affaire dans les domaines politique, militaire et économique au niveau stratégique (portée internationale), opératif (théâtre d’opération Barkhane) et tactique (Mali) pour la France. Sans cette rapide réaction de déclassification du renseignement militaire et de la diffusion dans les médias, les conséquences médiatiques, politiques et militaires auraient pu être bien plus graves avec d’importantes répercussions sur le gouvernement et les militaires français.

La vision russe des attaques contre la France 

Suite à la lecture de médias russes, on constate que la France est considérée comme l’agresseur par rapport au Mali. L’ancien « colonisateur » viole le droit de souveraineté malien, aide les djihadistes par du transport de personnel et de la fourniture d’armement.

Ces informations sont aberrantes quand on connait les raisons de l’engagement au Mali de la France. De plus, la critique contre l’Europe est exacerbée par de nombreuses références à l’échec du « rêve » de défense européenne français ( opération TAKUBA).

Enfin le média pro russe SPUTNIK fait un état récapitulatif des actions criminelles imputées aux forces françaises durant les 9 ans d’opérations. La France est ainsi décrite comme l’agresseur qui réalisent des actes criminels. Ces exactions sont le mode opératoire de la société Wagner mais dans cette guerre informationnelle, les belligérants côté russe retournent la situation contre les européens. Le Principe d’intoxication dans ce cumul d’informations douteuses peut être ici grandement souligné.

La similitude du vocable antifrançais dans les espaces informationnels 

L’image de la France comme colonisateur et criminel revient assez fréquemment dans les médias prorusses mais est aussi relayée par les réseaux sociaux. La lecteur de ces réseaux montrent des « journalistes » tenant les mêmes thèses antifrançaises. Enfin de nombreux tweets et vidéos font aussi état de cette orientation complotiste. On peut en conclure une importante similitude sur les différents espaces informationnels étudiés.

Nouvelles menaces 

Cette qualité de réaction des Armées fait suite à un développement de la prise de conscience par les grands chefs militaires et politiques des nouvelles menaces dans les champs immatériels. La vision stratégique du chef d’état-major de l’armée de terre français (CEMAT) insiste sur le retour et les mutations récentes de la guerre : « l’usage de la force se fait également selon des modes d’action nouveaux, imprévisibles et plus insidieux, privilégiant l’intimidation et la manipulation, dans une forme de guerre nouvelle, indiscernable et non revendiquée, pour obtenir par le fait accompli des gains stratégiques indéniables ».

L’ensemble des acteurs a su réagir au bon moment afin de fournir une réponse proportionnée et pertinente pour lutter contre l’attaque de l’adversaire. Cependant, l’aspect offensif aurait pu être développer davantage afin d’affaiblir sur le long terme l’adversaire.

Les armées françaises ont défini les champs immatériels comme la convergence de l’environnement informationnel, du cyberespace et de l’environnement électromagnétique.

Par rapport aux nouvelles menaces du XXIe siècle (fake news, cybercriminalité, hackers, etc.), les forces armées françaises doivent y évoluer et y combattre. Elles doivent donc être formées, entraînées et équipées pour s’y défendre, s’y renseigner et y engager des adversaires. Cette prise de conscience n’est pas l’apanage des militaires et peut être tout à fait appliquée dans le monde civil et en particulier dans le domaine économique afin de développer la résilience des entreprises françaises multi domaines.

De véritables actions offensives 

Après l’analyse de ce cas, on constate que les émetteurs de cette fake news ont relancé l’action et ont à nouveau tenté de brouiller les pistes afin de fragiliser la France. On peut se poser la question de savoir si le fait de répondre juste aux allégations de l’adversaire est suffisant pour gagner la bataille. Il semble nécessaire de réaliser de véritables effets offensifs (court et moyen termes) pour permettre une véritable prise d’ascendant sur les dires de l’adversaire.

La notion de guérilla numérique prend alors tout son sens ici. La concentration des moyens et des capacités existantes ou à créer, permettant de gérer le champ informationnel, de limiter l’extension de nouvelles fake news est un vrai défi. Sans un solide service de veille, d’analyse et de conseil, les chefs militaires et civils ne pourraient pas proposer un contre-discours tout en fragilisant les acteurs de l’origine des attaques. Cette méthode offensive est de plus en plus étudiée dans le monde militaire. Ainsi les grands états-majors militaires, réalisent des exercices où ce genre d’attaque est expérimentée afin d’entrainer et renforcer les capacités de résilience des unités. Des interactions civiles-militaires semblent réalisables afin de renforcer la France dans ces domaines.

Au vu du contexte international actuel, il semble probable que ces menaces vont s’accélérer à l’avenir et les grandes entreprises françaises devraient développer leurs compétences afin de pouvoir y répondre correctement.  

Enfin pour conclure, pour le cas du Mali, et au vu de la lecture de différentes sources sur le plan informationnel suite au retrait officiel des derniers soldats de la force française du Mali en août 2022, on peut se poser la question de savoir si des actions plus importantes dans ce domaine informationnel n’aurait pas permis d’améliorer la situation sur ce théâtre et ainsi laisser une meilleure image des actions de la France au Mali après neuf ans d’opérations intenses contre le danger terroriste.

 

Thomas Gratiolet
Auditeur en MSIE - Executive MBA en Management Stratégique et Intelligence Economique