Exxelia, 100 ans de savoir-faire stratégique français vendus aux Etats-Unis d’Amérique

Exxelia est un fabricant de composants passifs complexes et de sous-systèmes de précision. Les produits, condensateurs, inductances, transformateurs, résistances, filtres, capteurs de position, collecteurs tournants, et pièces mécaniques de précision, desservent de nombreux domaines industriels de pointe tels que l’aviation, la défense, le spatial, le médical, le ferroviaire, les énergies et les télécommunications.

Exxelia est membre de la BITD et fournisseur critique pour l’industrie de la défense. Un secteur qui, avec l’aéronautique et l’aérospatiale, contribue aux trois quarts de son activité. Ses composants passifs sont utilisés pour résister à des conditions extrêmes en matière de température, de pression atmosphérique ou de vibrations. Dans l'aéronautique, Exxelia est à bord de l'Airbus A350, du Boeing Dreamliner, du lanceur Ariane 6, des constellations de satellites (Galileo, Oneweb...), du Rafale, du F-18 mais aussi du F-35.

Elle dispose de 13 sites de production en France, au Maroc, aux Etats-Unis et au Vietnam, compte plus de 2000 Collaborateurs pour un chiffre d’affaires proche de 200M€ en 2021. Au moins d’aout 2022, IK Investment Partners (actionnaire majoritaire) rentre en négociation exclusives avec le groupe américain Heico pour la vente du groupe Exxelia. Après Alstom, Alcatel, Technip, Lafarge, Morpho, Latécoère, Souriau, HGH et bien d’autres, il est fort probable, sauf rebondissement de dernière minute, que nous assistions à la perte d’une partie de notre souveraineté nationale par un nouvel affaiblissement de notre BITD.

Chronologie capitalistique d'un groupe industriel Français aux origines centenaires

Le Groupe Compas réuni les sociétés Eurofarad (créée en 1952), Firadec (1960) et SIC-Safco (1921), toutes les trois spécialisées dans les condensateurs et fournisseurs pour des marchés français stratégiques.

En 2004, le Groupe Compas décide de céder sa participation à Qualium Investissement (CDC). Après avoir construit une usine en France, repris des moyens de production au Maroc (Astema) et réalisé une croissance externe dans le domaine des composants passifs magnétiques (Microspire), Qualium Investissement décide de fusionner ces cinq entreprises complémentaires en 2009 et de créer le groupe Exxelia qui emploie à cette époque 900 salariés et enregistre un chiffre d’affaires d’environ 70 millions d’euros.

En 2010, Qualium Investissement revend Exxelia à LBO France pour un montant de 175M€.

Le groupe Exxelia continue son développement à l’international au travers de croissances externes (US, France) dans le domaine des composants passifs ainsi qu’au travers d’implantations à l’étrangers (Vietnam). Le rachat de TEMEX Ceramics en 2012 (détenu également à 90% par LBO France depuis 2005) et concurrent direct d’Eurofarad depuis 1971, permet à Exxelia de disposer de l’intégralité du savoir-faire Français dans le domaine des condensateurs céramiques, composants électroniques stratégiques utilisés dans les domaines militaires et du spatial.

En 2014, LBO France revend sa participation à IK Investment Partners (UK) sur une valorisation de l’ordre de 275K€. Exxelia emploie alors 1200 collaborateurs pour un chiffre d’affaires de 115M€.

De 2014 à 2020, Exxelia réalise plusieurs croissances externes dont les trois quarts aux US pour atteindre 2100 collaborateurs et un chiffre d’affaires proche des 200M€ en 2021.

En janvier 2020, IK Investment Partners lance des discussions exclusives avec le fonds HLD (détenu par des industriels français) en vue de céder sa participation sur une valorisation de l’ordre de 500M€. Cette initiative avortera la même année avec comme raison évoquée l’arrivée de la pandémie de COVID19.

En juin 2022, IK Investment Partners décide de remettre en vente Exxelia, mandate la banque Rothschild & Co et rentre en négociation exclusives avec le groupe américain Heico au mois d’août autour d’une proposition du même ordre de grandeur que le montant discuté deux ans avant avec le groupe HLD.

Une réponse politique en demi-teinte et pas à la hauteur des enjeux

Entre manque de réalisme sur le niveau de protectionnisme économique des lois américaines traitant des exportations, confidentialité des procédures d’examen des offres et polémique entre le Rassemblement National et Bercy, le dossier Exxelia semble beaucoup plus mal engagé que le cas de Photonis traité deux ans plus tôt.

En effet, le 20/09/2022, Rolland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'Industrie, tente de nuancer les choses lors de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, en indiquant qu’Exxelia était détenue jusqu’à présent par un fonds anglais ce qui n’empêchait pas l’État de s’assurer que sa souveraineté, dans le domaine, était respectée. Il est néanmoins à craindre que Mr Lescure oublie que l’extraterritorialité du droit Américain au travers d’ITAR est plus contraignant que celui Anglais. Il poursuit en rappelant que l’État exerce son droit de regard, esquivant le débat de fond en mettant en avant l’existence potentielle d’éléments confidentiels ne l’autorisant pas à commenter plus avant le dossier.

Également, le 05/10/2022, Sébastien Lecornu, ministre des Armées questionné sur le sujet laisse la parole au directeur de la DGA qui indiquera froidement que compte-tenu des contraintes du fonds d’investissement IK Investments Partners, il est normal qu’Exxelia soit en vente tout en précisant que le processus de cession était toujours en cours et que des offres françaises, reçues récemment, étaient à l’étude. Il ajoutera également que si aucune proposition crédible n’émanait d’un repreneur français, la cession se poursuivrait avec Heico, très favorablement connu du ministère, qui devra apporter toutes les garanties nécessaires à la compartimentation de ses activités, afin de conserver la souveraineté de l’état dans les approvisionnements de cette société vis-à-vis de ses systèmes d’armes.

Ensuite, le 11/10/2022, le ministre des Armées indiquera à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées qu’Exxelia a des activités qui intéressent l’Etat directement du point de vue stratégique et que les équipes de la DGA ainsi que son cabinet procèdent actuellement à des tours de table pour défendre les intérêts français.

Le même jour, à l’Assemblée nationale, une violente passe d’arme entre le Député RN Alexandre Loubet et le Ministre Bruno Le Maire, le premier traitant de lâche le second compte-tenu de son inaction à bloquer le rachat d’Exxelia par Heico, fait plonger le débat dans la polémique, écartant de fait le fond du problème. Pour terminer, le 21/11/2022, le RN demandera d’appliquer le décret relatif aux investissements étrangers en France pour protéger Exxelia.

Une initiative inattendue qui recentre le débat sur le fond

Le 24 octobre 2022, l’association non partisane « La France en partage », écrit, au travers de sa Présidente Maitre Carine Chaix, une lettre ouverte à Bruno Le Maire, cosignée par deux généraux (2S). Cette lettre rappelle que permettre qu’Exxelia soit soumise, même partiellement, à la législation des Etats-Unis et à leur pouvoir de contrôle sur l'utilisation des matériels d’équipements du Rafale ou de sous-marins nucléaires, c’est rendre dépendant des Américains l’approvisionnement de forces armées et nucléaires françaises.

Mais surtout elle repositionne le sujet sur le fond en reprécisant sur le terrain du droit, que le ministre de l’Économie doit, depuis le décret de Dominique de Villepin, protéger les activités stratégiques de la France et cite les articles L. 151-3 et -10 du CMF rappelant l’injonction qui lui est faite de refuser une autorisation d’investissement étrangers si les intérêts nationaux ne peuvent être préservés. Cette initiative, peu médiatisée, a le mérite de sortir de la polémique engagée entre Bruno Le Maire et le RN en repositionnant de manière simple les enjeux et les obligations des décisionnaires sur ce dossier.

Une contexte malheureusement inopportun pour garder Exxelia Français

Concernant le repreneur potentiel de 2020, le fonds HLD : il est fort probable qu’après avoir repris Photonis en 2021 sur une valorisation de 370M€ suite au véto français sur le rachat de l’américain Teledyne, celui-ci ne puisse plus se positionner sur le dossier Exxelia. D’autant que certains ont conclu que le retrait du dossier par HLD en 2020 pour cause de pandémie n’était qu’un prétexte pour cacher « un loup ». Ensuite au niveau macroéconomique : la parité monétaire et les prix du gaz accentuent la puissance des prédateurs américains dans l’acquisition des pépites stratégiques nationales. Enfin, le management d’Exxelia, pourtant mené par un ex-Thalès, a salué l’offre d’Heico au travers des perspectives qu’elle offre à Exxelia en termes de développement tout en indiquant apprécier les valeurs de son actionnaire (la famille Mendelson).

Dans un contexte où le ministre de l’Économie, en charge de la souveraineté nationale, ne s’est pas explicitement positionné contre le rachat d’Exxelia, que l’actionnaire LBO France est satisfait de l’offre d’Heico et que le management est en ordre de marche pour continuer l’aventure sous drapeau Américain, la tâche sera difficile pour la DGA de convaincre l’état de poser son véto pour privilégier une offre française ou européenne comme dans le cas de Photonis. Ainsi il est fort probable, sauf évènement particulier qui viendrait bousculer le rapport de force actuel, que Heico prendra le contrôle d’Exxelia durant le 1er semestre 2023 en étant accompagné d’un communiqué de la DGA ou de Bercy qui expliquera que des garde-fous seront mis en place pour sauvegarder la souveraineté de la France en matière d’approvisionnement en composants électroniques passif stratégiques.On se rappellera les promesses faites au moment de l’affaire Alstom pour se remémorer que malheureusement elles n’engagent que ceux qui y croient.

 

Rémi Noguéra
Auditeur de la 40ème promotion MSIE de l'EGE