Fracture territoriale en France : Mouvement de fronde face à la flambée des prix de l’immobilier au Pays Basque

Depuis mars 2020, le contexte sanitaire ravive le débat des inégalités entre les territoires et les réalités vécues au quotidien par les citoyens en France. Un centralisme politique hérité de l'Ancien Régime qui peine à évoluer.

Les confinements successifs et l’avènement du télétravail ont bouleversé les modes de vie des Français. Citadins pour la plupart, ces derniers ont revu leurs priorités et peuvent désormais prétendre à une meilleure qualité de vie, hors du stress et de la pollution des grandes villes. Pour ces Français, la crise sanitaire présente une aubaine pour sauter le pas vers des régions du littoral « à l’année ». L’exode engendré par la crise sanitaire provoque des réactions et ravive un sentiment d’injustice dans certaines régions d’accueil. Ce phénomène migratoire met en lumière les problématiques liées à la gestion des territoires en France, au décalage entre politiques publiques et la réalité du terrain vécues par les habitants locaux. Pour en comprendre les enjeux, prenons le cas du mouvement de fronde face à la flambée des prix de l’immobilier au Pays Basque.

Métropoles versus périphéries, l’éternel sentiment d’injustice

Le sentiment des métropoles choyées par rapport aux périphéries est largement partagé en France. Le baromètre IPSOS-Ville de France du 13 février 2019 révèle que 80% des Français interrogés estiment que les grandes métropoles et Paris bénéficient majoritairement de la politique du gouvernement actuel. Ce sentiment n’a rien de nouveau. En 1947, le géographe Jean-François GRAVIER, pointe déjà les inégalités du développement économique entre les régions françaises dans son ouvrage « Paris et le désert français ». Depuis le XXème siècle, la fracture territoriale est un problème qui puise son origine dans la concentration de richesses engendrée par la territorialisation de l’économie.

Depuis, le phénomène de métropolisation n’a cessé de se poursuivre et a contribué à creuser les inégalités. « Les processus de concentration et de déconcentration des richesses contribuent ainsi à bousculer les hiérarchies entre États, régions et grandes métropoles (Pierre VELTZ, 2012) ». Dans les années 1990 et 2000, en plus de la disparition du tissu industriel, la démographie s’est concentrée dans les grandes aires urbaines, ce qui a doublement pénalisé les périphéries. La région Ile-de-France, quant à elle, confirme sa place de région la plus prospère avec une contribution nationale de 29%. Au 1er juillet 2021, la région Ile-de-France domine avec une contribution nationale de 31%, soit près de 5,4% du PIB de l’Union Européenne.

Malgré ce phénomène d’accroissement des inégalités au sein des territoires, la métropolisation de la croissance économique et de l’emploi se poursuit en France au détriment des régions comme le nord-est et le sud-ouest. En effet, la mobilité des Français et donc leur absence de mobilité de revenus inflige une double peine à ces régions.  

L’acte III de la décentralisation, égalité versus performance des territoires

Malgré les différentes réformes territoriales de l’acte III de la décentralisation mises en œuvre sous le quinquennat du Président HOLLANDE, la volonté politique de décentralisation comme politique de développement des territoires affiche une vision floue de sa stratégie. D’un côté, dans un contexte de restriction budgétaire, en 2014, la création du CGET (« Commissariat Général à l’Égalité des Territoires » en 2014 par le gouvernement AYRAULT a pour objectif de concevoir et de mettre en œuvre une politique d’égalité des territoires. D’un autre, le gouvernement affiche aussi la volonté de mieux positionner les grandes villes de France sur l’échiquier international.  

L’acte de III de décentralisation voulu par le Président HOLLANDE, se décline en 3 volets :

. Janvier 2014, la loi MAPTAM (« Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles »). Bien que la décentralisation voulue par le gouvernement dans une optique de réduction d’inégalités, la loi MAPTAM présente pourtant l’objectif de mettre en valeur le positionnement des grandes villes de France à l’international.

. 16 janvier 2015, sous la présidence Hollande, le gouvernement Français décide, par la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015, le redécoupage de l’Hexagone en 13 régions contre 27 précédemment, dont 5 régions ultra-marines. Fruit d’une volonté politique de décentralisation, les objectifs de ce redécoupage sont doubles : réduire le nombre d’échelons administratifs et avoir des régions de tailles supérieures pour rivaliser avec d’autres territoires (Catalogne, Bavière), alors que la taille moyenne des régions françaises est déjà supérieure aux Länder Allemands.

. 7 août 2015, est promulguée la loi NOTRe (« Nouvelle Organisation Territoriale de la République ») qui confie de « nouvelles compétences aux régions et redéfinit les compétences attribuées à chaque collectivité territoriale ». Le problème de la gestion interne administrative et financière des réformes inabouties se pose toujours et finalement ne sert personne.

Bien que la vision du gouvernement affichée reste floue, la logique politico-administrative est respectée. Seulement, qu’en est-il de l’humain ?

L’aspect socio-culturel, grand oublié des territoires

Suite au redécoupage des territoires de 2016, les élus et membres de la société civile, particulièrement attachés à l’identité et à la culture de leurs régions, n’ont pas fait attendre leurs réactions quant au rattachement de leur région, notamment à la « Nouvelle Aquitaine ». En effet, au-delà du découpage politico-administratif, les réalités culturelles, traditionnelles et identitaires ont toute leur place au sein des territoires français. Ces réalités, bien souvent oubliées des préoccupations jacobines, sont des critères à prendre en compte pour obtenir l’adhésion des territoires et assurer le bien-être des citoyens.

« Il faut être économe de son mépris, étant donné le grand nombre de nécessiteux. » Chateaubriand. La crise sanitaire actuelle est une expérience humaine grandeur nature pour se rendre compte des réalités vécues par les citoyens français au sein de leurs territoires. Cette situation inédite est l’opportunité de tester la capacité de résilience et d’humilité des politiques pour aborder les problématiques d’inégalités des métropoles riches versus les périphéries en retrait. Pour en comprendre les enjeux, prenons l’exemple du mouvement de fronde face à la flambée des prix de l’immobilier dans le Pays Basque nord.

Le Pays Basque, une terre d’accueil et de traditions

Territoire transfrontalier, situé entre la mer et la montagne, la ville et la campagne, le Pays Basque (Euskal Herria en basque) a, de tous temps été une terre d’accueil, basée sur une histoire ancienne, une identité forte, des valeurs solides et une culture riche omniprésente au sein de sa société. Sans parler de sa gastronomie, l’importance apportée au respect de la nature, et à son art de vivre.

La Communauté Autonome Basque au sud, Euskadi en Basque, a son propre gouvernement à Bilbao, alors que le nord doit faire valoir son identité par d’autres moyens et actions culturels. L’Euskara, la langue Basque, dont les linguistes doutent encore de l’origine, est le ciment de l’identité Basque. L’Euskara est parlée quotidiennement par environ 28% de la population du Pays Basque et est enseignée dans les écoles bilingues, les ikastola.

Un territoire transfrontalier complexe

Le Pays Basque est réparti géographiquement sur 2 territoires, la France et l’Espagne. Le Pays Basque compte 7 provinces, dont 3 au nord du Pays Basque, situé en France (Iparralde) et 4 dans le sud, situé en Espagne (Hegoalde). Une 8ème province comprend la diaspora basque, située majoritairement en Amérique du Sud. La diaspora compte entre 8 et 10 millions de Basques dans le monde.

Hegoalde ou Pays Basque sud, une réindustrialisation réussie

Hegoalde est composée de 4 provinces mais la communauté autonome Basque baptisée Euskadi est composée de 3 provinces, a son propre gouvernement situé à Bilbao. L’ancienne ville du fer et de l’acier qui compte aujourd’hui près d’un million d’habitants, est devenue une ville symbole de pouvoir économique et culturel, avec notamment le musée Guggenheim. La Communauté Autonome Basque fait aujourd’hui partie des 10 régions les plus riches d’Europe. En effet, l’Euskadi, après avoir durement été touchée par la crise des années 1970-1980, a su moderniser son industrie, mettre en valeur son patrimoine et s’ouvrir sur l’international. Une stratégie gagnante.

Iparralde, le Pays Basque nord essaye de créer une nouvelle dynamique économique

L’Iparralde n’a pas de gouvernement propre. Cependant, en 2017, c’est la première fois que la Pays Basque obtient une institution territoriale avec la création de la Communauté d’Agglomération du Pays Basque (« CAPB »). La CAPB, qui concentre 158 communes et 300 000 habitants, a pour objectif d’administrer le territoire, de « peser dans une région Nouvelle-Aquitaine centrée sur Bordeaux » et de créer une nouvelle dynamique économique.

« Selon le modèle économique sur lequel fonctionne les territoires, 2 types d’économie peuvent caractériser la redistribution des richesses. L’économie industrielle et l’économie résidentielle. La part de l’économie résidentielle du Pays Basque est significative et est créatrice d’un certain nombre d’emplois », nous dit Jacques GODRON, Président du Club des Entreprises du Grand Paris et Fondateur de l’IHEDM (Institut des Hautes Etudes des Métropoles), lors d’un entretien.

L’attachement des Basques au développement d’une économie solidaire et locale est fortement ancré au sein du territoire. En 2013, l’association Euskal Moneta crée la monnaie locale solidaire, l’Eusko et devient la première monnaie locale d’Europe, devant le Chiemgauer en Allemagne et le Bristol Pound en Angleterre.

Avec une population qui compte plus de 30% de plus de 60 ans, l’économie locale recherche un dynamisme. Majoritairement dépendante du tourisme, de l’agriculture et des services, le territoire Basque mise de plus en plus sur les produits de qualité et le numérique avec par exemple le technopôle Izarbel.

Un marché de l’immobilier problématique pour les habitants locaux

La crise sanitaire accroît les inégalités

En janvier 2021, une maison taguée à Bidarray mise en vente au prix de 600 000 € avait enflammé le débat sur les inégalités en matière d’accès au logement. La crise sanitaire a clairement bousculé les modes de vie des Français, qui choisissent, pour ceux qui en ont les moyens, de s’installer au Pays Basque. Inéluctablement, le déséquilibre provoqué par une demande croissante de biens a engendré une flambée des prix de l’immobilier doublé d’une pénurie de biens tant à l’achat qu’à la location. En revanche, les salaires et les infrastructures n’ont évidemment pas suivi.

Les maires font ce qu’ils peuvent

En dépit des transferts de compétences définis par la loi NOTRe de 2015, les maires agissent dans l’intérêt des ménages locaux, de manière pragmatique à l’image du maire d’Urrugne, qui sitôt arrivé au pouvoir, a majoré la taxe d’habitation sur les maisons secondaires de 20 à 60 %, tout comme le maire d’Ascain. Le maire de Saint Pierre d’Irube, Alain IRIART, annonce 51 000 résidences secondaires au Pays Basque pour 2026, soit 10 000 de plus en 10 ans, « avant de permettre à certains d’avoir deux toits, la priorité est de permettre aux ménages locaux d’en avoir un décent et accessible ». Les locaux sont à la peine pour se loger et le sentiment d’injustice ressenti réveille les vieux démons du passé. Il ne faut pas non plus négliger l’effet des plateformes comme AirBnB. En effet, pour l’année 2021, les Pyrénées-Atlantiques sont le 3ème département derrière le Var et le Vaucluse en termes de location.

En soutien aux communes et pour agir face aux logements uniquement dédiés au tourisme, la CAPB renforce son dispositif. En effet, « le nombre de ces logements dédiés au tourisme, loués au moins 120 jours par an, est estimé à 10 000 sur le territoire. Autant de biens qui échappent aux habitants cherchant à se loger à l’année. » (Sud-Ouest, 25/07/2021). Face à ce phénomène, la CAPB affiche sa volonté de mettre en place un dispositif de contrôle des locations dans l’optique d’aider les locaux à trouver un toit décent. Un enjeu de taille.

L’accession à la propriété par les locaux, un sujet urgent à traiter

En mars 2021, un groupe de militant de la gauche radicale (abertzale, patriote en basque) affiche sur les murs d’Urrugne « Parisiens, rentrez chez vous, vous êtes le virus du Pays Basque », traduisant sans trop d’ambigüité, le mal-être des habitants. La problématique de l’accès au logement pour les locaux est un sujet urgent à traiter. Lors d’un entretien, Camille MATHIS, CEO et fondateur de l’école des métiers des start-ups au Pays Basque, Conquistadors.io, nous dit avoir dû déménager 3 fois en un an, pour cause de loyers trop élevés. Selon Camille MATHIS « avec l’historique qu’a connu le Pays Basque, le sentiment d’agression et de trahison, voire d’abandon subi des locaux par les pouvoirs publics pourrait avoir des conséquences importantes. » En effet, avec des prix parisiens atteignant les 10 000 € le mètre carré sur la côte et un salaire mensuel moyen de 2 160 €, soit 25 950 € par an, le défi pour acquérir un bien s’annonce de taille, si tant est qu’il y en ait à acquérir.  

Quelles solutions concrètes apporter ?

La culture Basque étant fondée sur des valeurs de solidarité et de partage, les initiatives locales se développent, à l’instar de l’association ReNouveau paysan qui a vocation à « réhabiliter et transformer les fermes en logements sociaux paysans ».

Au Pays Basque, dans une logique de part importante attribuée à l’économie résidentielle, les investissements dans les infrastructures et l’immobilier sont déséquilibrés. Partant de ce constat, le patron de Conquistadors.io, en tant que néo-basque, comme il aime qualifier les personnes installées au Pays Basque sans en avoir les origines, propose les mesures suivantes :

L’outil juridique 

. Privilégier le principe de discrimination positive territoriale reconnu par le Conseil Constitutionnel.

. Privilégier les locataires locaux pour l’achat des biens.

. Revoir la loi sur la succession en fonction des moyens des familles.

. Application du droit de préemption.

. Donner priorité aux habitants de l'agglomération sur l'achat immobilier.

L’outil fiscal

. Plafonner les revenus liés à la location.

. Défiscaliser les locations à l'année.

. Arrêter la construction et réquisitionner les biens non occupés ou revoir certaines règles du PLU.

L’angle de la réindustrialisation du territoire

Il est intéressant de prendre l’exemple de la « reconversion spectaculaire » du Pays Basque Espagnol, après avoir été durement touché par la crise des années 1970-1980. En 1990, le territoire a opéré l’adaptation de ses vieilles industries au nouvel environnement économique. Bilbao s’est ouverte à l'international et à la tertiarisation, notamment avec l’implantation du Musée Guggenheim.

« Le Pays Basque Français a vrai un potentiel industriel », nous dit Jacques GODRON. En effet, bien qu’en perte de vitesse, les filières industrielles principales de l’aéronautique, l’agroalimentaire et la glisse sont sources de 9 % dans l’Industrie soit 13 519 emplois industriels au Pays Basque. De surcroît, avec un territoire agricole important et un savoir-faire artisanal bien établi, le Pays Basque a tous les atouts pour développer son potentiel d’industrialisation.

Conclusion 

Le peuple Basque, marqué par l’histoire, n’a plus à prouver sa capacité de résilience face à l’adversité. Seulement, à ce jour, la vision des politiques territoriales reste encore floue. « En matière de décentralisation, le pouvoir politique gouverne de façon centralisée » (Jean-Claude THOENIG, 1992). En effet, entre égalité des territoires et performance des métropoles, les territoires sont pris en étau et subissent les inégalités, exacerbées depuis le début de la crise sanitaire. Au Pays Basque, ce sont les habitants locaux qui pâtissent de la flambée des prix de l’immobilier puisqu’ils peinent à se loger. Bien que la logique de marché ait son rôle à jouer dans la distribution des richesses sur le territoire, il est urgent d’écouter et d’entendre la population au sujet de cette réalité sous peine de voir resurgir des revendications indépendantistes qui pourraient profiter de ce terreau.

 

Chantal Fernand
Auditrice de la promotion MSIE