Guerre de l’information autour du volet énergétique du Green New Deal Européen : taxonomie et énergie nucléaire

Dans un article mis en ligne le 8 août 2021, le magazine Marianne revient sur l'affrontement entre l'Allemagne et la France à propos des discussions menées au niveau européen sur la question de la stratégie énergétique par rapport à l'environnement. La question de la dépendance énergétique reste un sujet stratégique encore très peu pris en compte par la Commission de Bruxelles qui se focalise pour l'instant sur la transition énergétique.

Les lobbies pro-gaziers très actifs dans les groupes d'experts sont très influencés par des intérêts non-européens, notamment les compagnies anglo-saxonnes qui ont élargi leur secteur d'activité grâce notamment au gaz de schiste qu'elle cherche à exporter en Europe. Pour mémoire, ce sont des intérêts similaires auxquels le général de Gaulle s'est attaqué après 1958 en voulant réduire la dépendance énergétique de la France par rapport aux sept majors anglosaxonnes.

De son côté, la Russie qui cherche à exporter son gaz en Europe et dont l'Allemagne défend indirectement ses intérêts en raison des accords bilatéraux qu'elle a conclus avec ce pays. En cas d'arrêt de l'énergie nucléaire, l'Union Européenne devra convertir 50% de ses besoins énergétiques en importation de gaz dans la mesure où les énergies renouvelables sont limitées par leur  fonctionnement intermittent (non permanence du vent et du et soleil).

L'affichage humaniste du Green New Deal : l'arbre qui cache les appétits de conquête économique non-européens

Le terme Green New Deal fait écho au concept de « New Deal » employé par Franklin Roosevelet en 1933. Il consistait alors en un « plan de relance » voulu à la suite de la Grande Dépression ayant affecté les Etats-Unis dès 1929. Le terme Green New Deal apparait lui pour la première fois sous la plume de Thomas Friedman en Janvier 2007 et reprends les bases théoriques du terme originel et y adjoignant le mot « Green », et donc une idée de croissance écologique « verte ». 

Le mercredi 11 décembre 2019, Frans Timmermans, commissaire européen en charge du « pacte vert pour l’Europe » présentait le Green New Deal européen voulu par la nouvelle chef de l’Union Européenne, Ursula Von Der Leyen. Longtemps attendue sur le sujet, l’Union Européenne souhaitait marquer le coup de sa nouvelle présidence en présentant un texte fort, que la Commission Européenne n’hésitera pas à qualifier de « projet européen le plus ambitieux depuis la déclaration de Robert Schuman ». Ce projet s’inscrit également dans la volonté plus large de promotion de grands chantiers souverains souhaités par l’Union Européenne, comme la souveraineté énergétique ou la création d’une  alliance autour des matières premières, et notamment les terres rares.

Un New Deal pas si nouveau

Loin d’être une innovation majeure, cette idée de Green New Deal peut déjà être retrouvée dans la plupart des programmes politiques des partis « verts » européens et occidentaux des années 2000. On date néanmoins le début d’une réutilisation massive, politisée et à grande échelle du terme à la publication du rapport A Green New Deal (21 juillet 2008) par le Green New Deal Group. On notera à cette occasion qu’un des fondateurs de ce think-tank est un ancien responsable international de l’ONG Greenpeace (Colin Hines) et que les autres sont des journalistes et politiciens du Labour Party ou du Green Party britannique. Cet alignement « à gauche » se retrouve dans les partisans d’une politique du même nom aux Etats-Unis, avec les députés et sénateurs Axelandra Ocasio-Cortez et Bernie Sanders, considérés comme la frange gauche radicale américaine.

La politisation européenne de l’affrontement franco-allemand

Si le Green New Deal Européen est devenu le théâtre d’un affrontement idéologique entre adeptes d’un New Deal néolibéral, partisans de la décroissance, conservateurs climato-sceptiques, etc., l’un des enjeux majeurs de ce processus politique réside dans un terme bien barbare : la « taxonomie énergétique ». A l’heure du Greenwashing et du « tout-vert », la taxonomie représente la capacité pour un type d’énergie de pouvoir bénéficier d’investissements à taux faible, les fameux green bonds, et d’autres arrangements financiers favorables. A long terme, cette politique vise donc à favoriser les énergies labellisées comme décarbonées au détriment de celles n’ayant pas obtenu le label. Il deviendra donc extrêmement difficile pour tous les acteurs, autant privés que publiques, économiquement et en termes de notoriété, de traiter avec des énergies n’ayant pas obtenu le précieux sésame.

C’est donc sans surprise que les acteurs du secteur sont montés au créneau pour défendre leurs intérêts, tout en sollicitant politiques et gouvernements afin de protéger les intérêts stratégiques qu’ils représentent. Les enjeux sont de taille, avec par exemple les 220 000 emplois du nucléaire français dans la balance, fortement mis en danger par une offensive informationnelle allemande de grande ampleur.

Une guerre de l’information par le contenu latente

L’axe majeur de l’opposition des acteurs européens sur la taxonomie se matérialise, comme depuis bientôt 10 ans, sur le sujet du nucléaire comme potentielle énergie « renouvelable ». L’article de Christian Harbulot, j’attaque, évoque d’ailleurs en profondeur cet affrontement informationnel et économique. L’Allemagne, accompagnée de ses relais et soutiens, tente de substituer le gaz naturel à l’énergie atomique dans le cadre des discussions sur la taxonomie du Green New Deal. Le 2 Juillet 2021, un courrier signé par l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Espagne et le Luxembourg réclamait aux instances européennes de ne pas inscrire le nucléaire comme énergie éligible aux financements verts. Ce courrier fait écho à une initiative similaire portée par la France et sept autres pays (Hongrie, Pologne, République Tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie) trois mois plus tôt.

Le rapport « J’attaque » réalisé par la promotion SIE24 de l’EGE sous la conduite de Christian Harbulot, décrit en profondeur la genèse de cet affrontement, ses enjeux et une partie des relais utilisés par l’Allemagne pour mener cette guerre de l’information comprenant de forts enjeux politiques et économiques. Les caractéristiques évoquées permettent dès lors de comprendre l’angle d’attaque informationnel utilisé par l’Allemagne : la guerre de l’information par le contenu.

La caractérisation de l’offensive informationnelle Allemande en guerre de l’information par le contenu passe notamment par l’identification de certains facteurs clefs caractéristiques de ce genre d’offensives informationnelles.

Un argumentaire très scientifique, mais scrupuleusement « filtré » et fort d’omissions

Le lobbying anti-nucléaire Allemand repose sur une pirouette intellectuelle, rhétorique et sémantique s’appuyant sur un argumentaire scientifique contestable. Les principales raisons avancées par le camp anti-nucléaire résident dans le fait que les déchets nucléaires ne peuvent pas être détruits par leurs producteurs, mais simplement stockés. L’argumentaire allemand s’appuie également sur les désastres de Tchernobyl et de Fukushima, ayant tous deux provoqué de forts chocs émotionnels au sein de la population allemande.

Si les deux arguments peuvent trouver une pertinence quant aux questions de stockage et d’enfouissement, ainsi que sur la nécessité d’implémenter des mesures sécuritaires à la hauteur des enjeux (notamment antisismiques ou anticycloniques), force est de constater qu’ils sont totalement décorrélés du critère fixant l’acceptation ou non de telle ou telle énergie dans la taxonomie énergétique européenne : le bilan carbone de l’énergie concernée.

L’énergie nucléaire dispose en effet d’un bilan carbone presque neutre et ne saurait donc être assimilée au pétrole, charbon, ou même le gaz. Et c’est d’ailleurs sur la question du gaz naturel que réside la contradiction majeure du discours allemand, tout comme son plus habile manipulation de l’information. En effet, le gaz naturel pollue environ quarante fois plus que le nucléaire, et surtout, il ne provient pas d’Europe et ne saurait donc contribuer à la politique européenne d’indépendance énergétique. Néanmoins la guerre informationnelle allemande porte ses fruits, 69% des répondants à un sondage IPSOS de 2020 déclarent favoriser le gaz naturel par rapport à l’énergie nucléaire (59%) pour remplacer les énergies fossiles. De même, en 2017, 44% des français pensent que l’énergie nucléaire contribuent beaucoup à l’effet de serre, contre 35% en 2014.

Un même constat peut s’observer sur l’insistance du lobby allemand quant à l’énergie éolienne en palliatif aux énergies fossiles et nucléaires. Les calculs et argumentaires allemands excluent par exemple le bilan carbone lié à la conception et l’importation desdites éoliennes de leur lobbying, tout comme le fait que le parc éolien allemand actuel dispose d’un facteur de charge de 16,9% (c’est-à-dire qu’il ne produit que 16,9% de l’énergie qu’il est supposé produire).

L’offensive informationnelle allemande ne se limite donc pas simplement à l’échelle des politiques européennes, mais à l’ensemble de la population de l’Union, avec un focus sur la population française. A cet effet, les ONG comme GreenPeace occupent une place centrale dans un écosystème riche et très bien établi.

Un écosystème d’acteurs et relais disposés à agir sur le temps long par tous les moyens d'information

Deux autres éléments constitutifs d’une guerre de l’information par le contenu résident dans la capacité de l’auteur de l’offensive à s’inscrire sur un temps long, et l’utilisation d’un écosystème d’acteurs et de relais informationnels pouvant propager le contenu visé.

L’écosystème des acteurs et relais présenté dans le rapport j’attaque présente les caractéristiques d’une offensive disposant de moyens conséquents et diversifiés. Il comporte aussi bien des politiques nationaux et régionaux, des fonctionnaires européens issus d’habiles systèmes de « revolving doors » et d’ONG, Think Tanks ainsi que de nombreux blogs et sites indépendants de qualités variables comme « Allemagne Energie . Un tel écosystème ne peut résulter que d’une volonté politique et économique solidement ancrée à l’échelle nationale allemande, constitutive d’un consensus fort au sein de la classe politique et de sa population.

Par ailleurs, le démantèlement du parc nucléaire allemand et son virage anti-nucléaire politique et doctrinal ne datent pas d’hier et remontent à la déclaration de la chancelière Angela Merkel de Mars 2011, virage assez brusque tranchant drastiquement avec les propos de l’année précédente où la chancelière proposait d’étendre considérablement la durée de vie des centrales allemandes. Il est donc fort probable que la stratégie de guerre de l’information par le contenu amorcée contre le voisin français ait émergée dès 2011, conséquence d’une volonté idéologique, politique et économique affirmée.

Si la guerre de l’information par le contenu allemande semble de plus en plus débusquée après plus d’une décennie d’activité, certains aspects de cette stratégique économique et politique restent difficiles à discerner. Comment l’Allemagne peut-elle concilier sa volonté de souveraineté énergétique européenne en achetant du gaz naturel russe et en important des éoliennes chinoises (6 entreprises du top 10 des producteurs d’éoliennes sont chinois) ? Quelle est la part entre idéologie et calcul économique dans cette offensive ? Comment compte-t-elle concilier souveraineté énergétique et décarbonation en favorisant l’importation hors Union Européenne au détriment d’un mix énergétique qui inclurait le nucléaire français ?

 

Stefan Marrec
Auditeur de la 36ème promotion MSIE