Depuis plusieurs années, la France est menacée par la Russie dans le domaine de la guerre de l’information. Jusqu’à une période très récente, les moyens mis en œuvre par l’administration française se sont principalement concentrés sur la lutte contre la désinformation russe. Force est de constater que la dénonciation de telles pratiques n’a pas bloqué ce processus agressif contre notre pays.
Aller plus loin que la dénonciation de la désinformation russe
Après avoir adopté une posture purement défensive, les autorités de notre pays doivent faire face à la répétition des attaques informationnelles russes en France, dans les territoires d’outre-Mer, et aussi contre l’armée et la diplomatie française en Afrique.
Ces attaques informationnelles sont fortement nourries par la désinformation et la provocation par proxy interposé (cf. les actions initiées par l’Azerbaïdjan pour alimenter des mouvements de protestation, parfois très violents, comme ceux qui ont affecté la Nouvelle Calédonie). Mais il existe un autre versant de cette démarche hostile de la Russie de Poutine contre la France, celui que nous classons dans la catégorie de la guerre cognitive.
L’EGE a décidé d’investir ce champ de recherche depuis le début des années 2000 par l’intermédiaire de son centre de recherche appliquée, le CR451, et elle poursuit désormais ses travaux au sein du groupe CIVIL avec des représentants de l’INALCO et de l’ENSC de Bordeaux.
La Russie met en œuvre des opérations d’encerclement cognitif pour affaiblir notre pays à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières.
Sur ce point précis, les moyens défensifs sont très limités et se résument le plus souvent à un discours justificatif officiel dont la portée est très réduite dans la mesure où il est perçu comme « juge et partie ». Il s’avère donc nécessaire d’adopter une attitude proactive pour contrer la Russie dans ce domaine.
Pour mémoire, l’Ecole de Guerre Economique a mis en ligne en 2015 sur son site ege.fr un dossier qui relate la manière dont les Russes ont mené une véritable opération d’encerclement cognitif pour atteindre leurs objectifs en Crimée. Vous trouverez en annexe de cet article des extraits qui en soulignent les grands principes. Autrement dit, nous étions prévenus.
Première étape : il faut identifier les manœuvres russes d’encerclement cognitif
Cela implique en premier lieu de cerner ce qu’est un encerclement cognitif. Les pratiques d’encerclement cognitif ont une racine profondément ancrée dans la culture subversive. Il a été conçu en France une grille de lecture ainsi qu’un savoir méthodologique pour mettre en œuvre des procédures de contre-encerclement mais aussi d’encerclement cognitif. Cette démarche résulte d’une rencontre très spéciale qui remonte à la fin des années 80.
Comme il est indiqué dans ce document du CR451, les confrontations d’expérience entre des militants subversifs et des militaires ne sont pas fréquentes. Exception qui confirme la règle, c’est en France que s’est produit l’impensable c’est-à-dire la création d’un dialogue entre des représentants de deux univers radicalement opposés ainsi que l’émergence d’un intérêt réciproque sur les modes opératoires des pratiques subversives et contre subversives. C’est ainsi qu’est né un processus qui a déjà un quart de siècle sur les modes opératoires concernant les encerclements cognitifs… (je le précise pour informer les différentes structures qui apparaissent en ce moment au sein de plusieurs départements administratifs et qui sont censées travailler sur la notion de guerre cognitive).
Qu’est qu’un encerclement cognitif :
L’encerclement cognitif est un processus informationnel visant à affaiblir, à assujettir ou à soumettre un adversaire à une domination de type cognitif.
L’impératif de l’attaquant est de dissimuler l’intention d’attaque et de ne jamais passer pour l’agresseur.
Dans cette nouvelle forme d’affrontement informationnel, l’art de la guerre consiste à changer d’échiquier, c’est-à-dire à ne pas affronter l’adversaire sur le terrain où il s’attend à être attaqué.
Citons à ce propos trois exemples de règles de l’encerclement cognitif sont à retenir :
- Construire une légitimité « d’acteur positif » (par rapport à ceux que l’on dénonce comme des forces nuisibles pour une population donnée).
- Identifier les points d’appui possibles dans les sociétés civiles (les acteurs des révoltes sociales ou les mouvances dissidentes).
- Cerner les « profils » activables (lucides, déterminés et prêts à s’engager (en particulier les influenceurs qui cherchent un modèle économique de survie).
Dans l’encerclement cognitif, l’attaquant a l’avantage par rapport au défenseur. Il résulte de ces nouvelles formes de confrontation informationnelle deux types de problématique :
- Le renversement du rapport de force par le développement de systèmes éphémères ou durables de contre information.
- La force de frappe subversive des réseaux sociaux pour affaiblir et user la légitimité des pouvoirs en place.
Rappeler la continuité russe dans ce type de mode opératoire
La Russie a un savoir faire offensif dans le domaine de la guerre de l’information qui ne se résume pas à la désinformation. Depuis les années trente au XXe siècle, elle a développé un savoir-faire dans l’encerclement cognitif sur plusieurs axes répétitifs dans le temps long :
Axe de la paix
les Soviétiques ont mené une stratégie d’influence sur le thème de la défense de la paix entre les deux guerres puis tout au long de la guerre froide. Ils ont notamment à cette occasion manipulé et soutenu des structures de réflexion en Europe occidentale (qui apparaissaient comme neutres) pour faire passer indirectement leurs idées. Cette approche est reprise par les relais en Europe pour cibler l’Europe comme le parti de la guerre alors que c’est la Russie qui a envahi une partie du territoire ukrainien. Cette inversion de discours est une pratique récurrente du côté russe.
Axe de l’opposition entre le peuple et les élites
les Soviétiques puis leurs successeurs au Kremlin ont systématiquement cherché à diviser les pays cibles en cherchant les motifs porteurs pour que les élites soient stigmatisées et que des fractions de la population du pays cible en fassent un terrain de propagande politique.
Axe de la morale émancipatrice
La Russie met en avant son soutien historique aux peuples qui ont lutté contre la colonisation. L’encerclement cognitif russe peut atteindre ses limites lorsqu’il est pris en défaut par ce type d’informations. Notons à ce propos que les influenceurs pro-russes français se sont abstenus de commenter ce sujet.

Depuis quelques mois se multiplient les enquêtes sur le phénomène des centaines voire des milliers de "malgré nous africains" enrôlés, par la force ou la manipulation, par l'armée russe afin de combattre en Ukraine. Souvent, il s'agit de profils d'étudiants, venus achevés leurs études en Russie et y trouver du travail.
Signalons à ce propos que l'EGE a donc été l'une des premières structures à réagir et à relayer cette actualité.
Les contenus des podcasts (DST 5.1 et DST 5.2) du CR451 de l'EGE se situent dans la droite ligne de révélations faites par deux enquêtes parues en 2024, celle de Bloomberg en juin et celle de Jeune Afrique, en septembre.
Le traitement du phénomène s'accélère partir de janvier 2025. RFI publie alors plusieurs articles sur ces Africains attirés en Russie par des promesses de salaires élevés, voire la nationalité russe. Le média français y présent notamment le témoignage d'un Camerounais, lui aussi dupé par les promesses russes. Il dénonce également le fait que les Africains serviraient explicitement de chair à canon.
Sources :
https://www.youtube.com/watch?v=U5JzTcsTusE
https://www.youtube.com/watch?v=1W5k6bOQ1cg
https://www.rfi.fr/fr/podcasts/d%C3%A9cryptage/20250116-comment-la-russie-enr%C3%B4le-de-gr%C3%A9-mais-%C3%A9galement-de-force-des-africains-pour-combattre-en-ukraine
En avril 2025, la BBC rebondit sur le sujet à la suite de la publication de la vidéo du jeune combattant Sénégalais capturé par l'Ukraine.
Source :
https://www.bbc.com/afrique/articles/c20z8m5vxgyo
Jusqu'au 13 juin 2025, où France 24 signe une enquête sur les Africains enrôlés dans l'armée russe. Elle se base sur le témoignage du jeune sénégalais capturé sur le front en avril. France 24 rappelle que certains sont des combattants volontaires mais que d'autres ont été entrainés de force sur le front et y combattent sans entrainement. Leurs familles sont laissées sans nouvelles et sans dépouille, même en cas de décès. L'enquête rappelle que la Russie recrute dans des dizaines de pays africains. Des jeunes femmes sont également attirées via le programme Alabuga Start implanté dans une vingtaine de pays. Censé être un programme de formation, le programme viserait aussi à faire participer ces jeunes femmes à l'effort de guerre russe, dans des usines d'armement (cibles de qualité militaire).
Source :
https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/reporters/20250613-les-tirailleurs-de-poutine-enqu%C3%AAte-sur-ces-africains-dans-les-rangs-de-l-arm%C3%A9e-russe-en-ukraine
Axe du soutien contre l’ingérence
Malgré un narratif "sud globaliste" dénonçant les pratiques impérialistes, moralisatrices voire néocoloniales de l'occident, la Russie multiplie dans les faits des pratiques prédatrices et violentes à l'encontre des populations du continent. Outre les "'malgré nous", citons l'exploitation de l'or malien par Wagner (pour rappel l'opération Barkhane intervenait gratuitement. Ou bien le massacre systématique de civils (généralement Peuls ou Touaregs) au centre et au nord du Mali (tel que le massacre de Moura) documentés par de nombreux média et ONG internationales. Récemment, une enquête diligentée par l'ONG Forbidden Stories, et menée par plusieurs média internationaux (Le Monde, France 24, Istories) la SMP russe aurait détenu, en dehors de tout cadre légal et même de la supervision des FAMA, et torturé des centaines de civils dans au moins six camps situés au Mali.
Sources :
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/exploitation-des-mines-d-or-du-mali-par-wagner-quelles-consequences-geopolitiques-20240220
https://www.rfi.fr/fr/afrique/20250612-une-nouvelle-enqu%C3%AAte-du-consortium-forbidden-stories-r%C3%A9v%C3%A8le-la-pr%C3%A9sence-de-prisons-secr%C3%A8tes-de-wagner-au-mali

Suite du DST 5.1 sur l’investigation de Jeune Afrique « Les tirailleurs de Poutine » avec Yves Plumey Bobo. Cette seconde partie porte sur la guerre de l’information menée par la Russie au Sahel contre les pays occidentaux. Ancienne puissance coloniale, la France doit répondre à de nombreuses offensives qui instrumentalisent son Histoire et parasitent son dialogue avec l’Afrique. Comment le continent noir peut-il s’émanciper des différentes propagandes extérieures afin de défendre ses propres intérêts ? Quelles sont les retombées de l’influence russe dans la perception des populations de ces pays ? En quoi les réseaux sociaux ont-ils modifié le paradigme en guerre de l’information ? Que nous enseigne la culture subversive pratiquée par la Russie ?
L’axe central de l’encerclement cognitif russe en France
Inversion accusatoire, contradiction entre narratif officiel et actions sur le terrain : la Russie est coutumière de ces pratiques. Mieux, elles sont au cœur de ses opérations d'encerclement cognitifs à destination de l'occident, de l'Afrique ou du Levant. On note par ailleurs une singulière continuité historique dans la praxis de la Russie en la matière qui n'a pas fondamentalement pas changée depuis la guerre froide.
Pour la Russie, ces actions informationnelles offensives visent à faire évoluer les perceptions conformément au narratif de l'émetteur. Leur encerclement cognitif vise donc à dégrader la capacité d'action de « France » (société politique, décideurs économiques, acteurs influents de la société civile et de médias potentiellement conservateurs mais adoptant une position prorusse sur certains sujets), en faussant les rapports de force, en sapant sa légitimité, en cassant la cohésion sociopolitique et en tentant de fragiliser le moral de la population cible.
Concernant la Russie, on distingue quatre piliers à son encerclement cognitif :
La « promotion de la paix » :
Les Soviétiques ont tenté pendant toute la guerre froide d'instrumentaliser les mouvements de paix afin d'affaiblir l'occident dans sa course aux armements. Ce fut le cas notamment à travers le World Peace Council et ses organisations associées ou bien la Fondation Soviétique pour la Paix créée dans le sillage des mouvements anti-armes nucléaires. Elle est désormais la Fondation Russe pour la Paix. Elle s'est distinguée ces dernières années en finançant plusieurs voyages parlementaires de députés français en Russie. Le 5 juin dernier, sur la chaine pro-russe et complotistes francophone GPTV,https://geopolitique-profonde.com/videos/anatoli-karpov-echecs-russie2/ le président de la Fondation, par ailleurs député à la Douma, Anatoli Karpov s'inquiétait de la surenchère nucléaire sur la scène mondiale.
Ici l'objectif vise clairement à paralyser la volonté de combattre via la promotion, en occident, de discours pacifistes.
La « stigmatisation de l'agresseur », et subsidiairement la victimisation de la Russie, puissance "encerclée" par l'occident
"La Russie veut la paix" est également un slogan qui s'est multiplié ces derniers mois. Il est utilisé pour contrebalancer la posture soi-disant belliqueuse des occidentaux ou seulement des européens depuis l’élection de Donald Trump.
Alors que les attaques russes se poursuivaient en Ukraine, les relais d'influence pro-russes comme Pierre de Gaulle ou le compte "Camille Moscow"- tout comme les officiels russes comme la diplomate Maria Zakharova ou le ministre des affaires étrangères Serguiei Lavrov- accusaient systématiquement l'occident de vouloir saboter les efforts de paix de la Russie, d'alimenter le conflit en Ukraine et de préparer une guerre contre la Russie.
Rappelons que la Russie « citadelle assiégée » est au cœur du narratif de Moscou depuis le début du conflit. Il justifie la guerre préventive contre l'Ukraine -considéré comme une chasse gardée- face aux velléités belliqueuses de l'OTAN à l'encontre de la Russie. Là encore, la filiation avec les narratifs soviétiques de la guerre froide -"les bases américaines encerclent l'URSS- est directe.
Ici, l'encerclement cognitif vise explicitement à fausser le rapport de force afin de décrédibiliser la défense européenne de l'Ukraine.
La « libération des peuples » et subsidiairement la promotion d'un ordre international alternatif, centré sur le "sud global"
La Russie promeut, notamment à travers les BRICS, un ordre international alternatif du système occidental présenté comme néocolonial, décadent et hypocrite. Un discours que l'on retrouve d'ailleurs dans d'autres pays hostiles à la France comme la Turquie ou l'Azerbaïdjan.
Pourtant, comme on l'a vu, les prédations russes en Afrique, qu'elles soient humaines ou minières, démontrent le peu de cas de Moscou vis à vis des intérêts du continent africain.
Ici, le but est de casser l'image et la légitimité des pays occidentaux afin d'en récolter des effets diplomatiques. La France en a directement fait les frais en Afrique, via des narratifs la présentant comme une force coloniale, exploitant les ressources et finançant les groupes terroristes.
Même chose dans les outre-mer, où la Russie (comme l'Azerbaidjan) appuient sur le néo-colonialisme de la France afin d'y attiser instabilité et séparatisme.
La promotion de la dialectique du « peuple contre les élites dégénérées »
En occident, la Russie, exploite les oppositions et les sphères "dissidentes" ou "conservatrices". Les élites sont présentées comme corrompues, incapables et dégénérées. Le "déclin de la France", l'inefficacité de son arméesont des thèmes connexes régulièrement mis en avant. La chaine X Stratpol, de Xavier Moreau diffuse régulièrement ce genre d'éléments de langages.
Dans les deux derniers cas le but est bien de disloquer l'action collective, tout démoralisant les citoyens sur les capacités de défense nationale.
Les points de convergence des influenceurs pro-russes français
L’encerclement cognitif est une démarche visible dans la mise en avant des éléments de langage. Les travaux que l’EGE comme le CR451 mènent sur ce type de dossier font ressortir des postures cognitives récurrentes dans l’analyse de leurs prises de pistions sur les réseaux sociaux :
- La consolidation de la légitimité poutinienne (évacuation du bien fondé de toute lecture critique sur la réalité russe).
- La construction d’un processus de victimisation. Certains de ces influenceurs se présentent comme les futures victimes d’un système qui va les censurer et les empêcher d’exprimer leurs idées.
- Le minage informationnel de l’élection présidentielle 2027 en France. Les influenceurs pro-russes français adoptent une posture de défiance de principe par rapport à la classe politique française et émettent des critiques systématiques pour démonter la pertinence de leurs prises de position.
Christian Harbulot
Directeur de l’EGE et du CR451
Annexe
Extraits du rapport de Lacoye Mateus : La campagne de Crimée, une opération informationnelle exemplaire
La nature informationnelle du conflit non linéaire.
Techniques ou conflits ambigus, non conventionnels, non linéaires, asymétriques, hybrides… : la nouvelle conception russe du conflit interétatique est difficilement appréhendée en Occident.
(…)
Le journal russe Pensée militaire souligne les avantages des techniques asymétriques mises en œuvre sur les plans politique, économique, informationnel, technologique et écologique, face à un adversaire disposant de capacités militaires supérieures[i].
De même, Valery Gerasimov écrit que l’efficacité des moyens non militaires afin d’atteindre des objectifs politiques et stratégiques dépasse aujourd’hui celui des moyens conventionnels : la tendance est à un usage important des moyens politiques, économiques, informationnels, humanitaires, auxquels sont adjoints des moyens militaires dissimulés dont des opérations informationnelles et des forces spéciales[ii]. Cette présentation semble indiquer que l’information est au cœur de l’asymétrie dans une telle conception.
« …utilise une force conventionnelle et non conventionnelle ; intègre à l’usage de la force des outils non militaires dans les domaines du cyber, de l’économique et du politique ; intègre le tout dans un immense et puissant programme d’information warfare, et le soutient par l’idéologie. Ceci représente un changement dans la nature du conflit. L’objectif de l’opération est de briser l’intégrité de l’Etat – en l’espèce de l’Ukraine – avant d’avoir besoin de passer la frontière avec une force d’invasion déclenchant ainsi l’Article 5. Nous assistons ainsi à une forme de conflit qui se situe en dessous de notre seuil de réponse. »[iii].
(…)
A l’image du journal russe Pensée militaire, quel que soit le qualificatif que l’on choisisse de retenir – conflictualité asymétrique, non linéaire, hybride… - ces analyses placent l’information au cœur de l’actuelle stratégie conflictuelle russe.
Conflit asymétrique non militaire, comprenant des méthodes informationnelles, morales, psychologiques, idéologiques, diplomatiques et économiques, afin d’établir un environnement politique, économique et militaire favorable.
Opérations spéciales afin d’induire en erreur les décideurs politiques et militaires au travers de mesures coordonnées menées par les canaux diplomatiques, médiatiques et les agendas gouvernementales et militaires, en faisant fuiter de faux ordres, directives, instructions et informations.
Intimider, tromper et corrompre des membres du gouvernement et des officiers militaires afin qu’ils n’accomplissent pas leur devoir de service public.
Propagande de déstabilisation afin d’augmenter le mécontentement au sein de la population, stimulée par l’arrivée de groupes de militants russes, intensifier la subversion.
(…)
Le cas ukrainien comme « test case »
Le cas ukrainien est perçu comme un « test case » utile pour étudier la nouvelle conception russe de conflit non linéaire axé sur l’information.
En termes de savoir-faire, une analyse pertinente des campagnes informationnelles visant l’annexion de la Crimée doit autant se pencher sur la construction du contenu informationnel que sur les vecteurs contenant l’information.
Le cadre narratif de long terme : au sein d’un monde multipolaire, l’existence d’un « monde russe » légitime la défense des « compatriotes » à l’étranger
La campagne informationnelle menée en Ukraine fait écho aux documents officiels russes de politique étrangère tels que celui de 2007 et de 2009 [iv] mettant en œuvre des axes narratifs déjà exposés dans ces documents :
-la défense des « compatriotes » russes résidant à l’étranger,
-l’existence d’un « monde russe », et son corollaire, l’idée d’une différence de civilisations dans le monde.
(…)
Le « soft power » russe, mutation d’un concept américain
Dans son article « Russia and the Changing World », Vladimir Poutine évoque l’exercice du “soft power” à l’ère du cyberespace. Il présente son analyse comme une leçon tirée des Printemps arabes.
(…)
Pour Vladimir Poutine, le « soft power » est un ensemble de méthodes et d’instruments qui, au travers notamment de leviers informationnels, permet de réaliser des objectifs de politique étrangère sans avoir recours aux armes. L’accent est mis sur deux vecteurs d’influence : les nouvelles technologies d’information et de communication et les organisations non gouvernementales [v].
Le discours du Concept de la politique extérieure de la Fédération de Russie, publié le 18 février 2013, souligne la volonté de l’Etat russe de privilégier la dimension informationnelle dans la mise en œuvre de sa politique extérieure. Cette dimension comprend des méthodes et technologies alternatives à la diplomatie classique : les capacités de la société civile, les méthodes et les technologies de l’information et de la communication et les technologies humanitaires, avec des risques d’interférence dans les affaires intérieures, de déstabilisation et de manipulation [vi].
(…)
En tout état de cause, la campagne de Crimée confronte l’Occident, pour la première fois, à la question de défense à adopter face à des campagnes informationnelles qui ne visent pas la construction de l’attractivité mais la destruction de la légitimité de l’adversaire que ce soit l’existence de l’Etat, son intégrité territoriale, ses choix politiques… L’objectif opérationnel est alors de miner, au travers des opérations informationnelles, la « capacité d’action collective » (Aron, 1962).
(…)
Le modèle juridique et libéral occidental piégé au sein de son propre discours.
Le respect des droits de l’homme est devenu objet de polémique et vecteur de dénonciation de contradictions chez l’adversaire, sur son propre territoire :
« Les autorités britanniques donnent toujours des leçons de démocratie à d’autres États, mais ne disent rien sur la situation dans ce domaine au Royaume-Uni. Il existe pourtant là-bas énormément de problèmes. En témoignent notamment les résultats du deuxième cycle de l’examen périodique universel de la Grande Bretagne par le Conseil des droits de l’homme de l’Onu, qui s’est soldé par plus de 130 recommandations aux autorités britanniques concernant la correction des lacunes dans le domaine des droits de l’homme. […].»[vii]
« Nous sommes très préoccupés de voir que la situation autour de la prison de Guantanamo reste, dans l'ensemble, peu réjouissante. […] »[viii]
(…)
La Crimée est un « test case », un cas de mise en œuvre d’une stratégie discursive plus globale. Le modèle informationnel est applicable à bien d’autres pays. Aucun des axes narratifs n’est spécifique à l’Ukraine : existence d’un « monde russe », défense des « compatriotes », fondement du droit humanitaire.
Le modèle européen de régulation de la puissance étatique, fondé sur le droit et axé sur des valeurs libérales et humanitaires, est ainsi soumis à une forte pression. L’annexion de la Crimée n’est pas une question purement ukrainienne : elle piège la conception occidentale de la puissance.
Notes
[i] Col. S.G. CHEKINOV (Res.), Doctor of Technical Sciences Lt. Gen. S.A. BOGDANOV (Ret.), Doctor of Military Sciences, The Nature and Content of a New-Generation War, MILITARY THOUGHT: A Russian Journal of Military Theory and Strategy, East View Press, cité dans Jānis Bērziņš, « Russia’s New Generation Warfare in Ukraine: Implications for the Latvian Defense Policy”., National Defense Academy of Latvia, Center for Security and Strategic Research, p.
[ii] Cité par P. Pomerantsev, M. Weiss, dans « The Menace of Unreality: How the Kremlin Weaponizes Information, Culture and Money”, THE INTERPRETER, a project of the Institute of Modern Russia, p.29.
[iii] Q266 du rapport “Towards the next Defence and Security Review: Part Two-NATO - Defence Committee”
[iv] Souligné par nos soins
[v] Vladimir Poutine, “Russia and the Changing World”, RT, publié le 27 février 2012.
[vii] Communiqué de Kostantin Dolgov, délégué du Ministère russe des Affaires étrangères pour les droits de l'homme, la démocratie et la primauté du droit, concernant la partie russe du rapport du ministère britannique des Affaires étrangères sur le respect des droits de l’homme dans le monde, du 27 janvier 2015,
[viii] Commentaire de Konstantin Dolgov, délégué du Ministère russe des Affaires étrangères pour les droits de l'homme, la démocratie et la primauté du droit, concernant la prison de la base militaire américaine de Guantanamo, du 16 janvier 2015.