Ingérence et influence des médias dans l’élection présidentielle française

Plus les années politiques passaient, plus l’impact des sondages augmente faisant et défaisant les législatives et présidentielles. Sur la période de l’élection présidentielle entre février et mai 2017, 311 sondages déclarés ont été publiés (au total plus de 500 autour du sujet). Bien sûr, l’élection présidentielle n’aura lieu qu’en avril 2022 mais déjà on peut observer une différence notable du nombre de sondages publiés dès 2021. 82 sondages concernant l’élection présidentielle de 2022 ont été publiés en 2021 (3). Depuis le 01er janvier 2022, 89 (dont 14 seulement pour mars) sondages ont été publiés.

Sondage : L'instrument de propagande capable de piétiner la libre opinion individuelle 

Qu’est-ce qu’un sondage ? : “Un sondage est, quelle que soit sa dénomination, une enquête statistique visant à donner une indication quantitative, à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d’une population par l’interrogation d’un échantillon.” (Définition de la Commission des sondages).  Le sondage par échantillon a été popularisé par l’américain George GALLUP (1) dans les années 30, suivi par son alter ego français Jean STOETZEL fondateur de l’IFOP. L’ascension des sondages au cours d’une élection présidentielle s’est notamment fait ressentir en 1974, date à laquelle est également apparu le premier débat de l’entre-deux tours dans le cadre de l’élection présidentielle française.

Deux effets de sondage ont été identifiés par des politologues entre autres (2) : les effets bandwagon et l’effet underdog. Le bandwagon ou « effet de mode », encourage l’électeur à se retrouver dans le camp du gagnant, donc à rejoindre la majorité. Cela s’apparente à de l’opportunisme lorsque l’électeur s’aligne à l’avis du plus grand nombre sans réelle réflexion.

Pour ce qui est de l’underdog ou « opprimé », il s’agit d’une tendance à voter, s’engager pour le candidat à la traîne dans les sondages. Il ne faut bien sûr pas oublier les particularités qui font les élections présidentielles françaises, souvent les citoyens français votent en fonction de leur aversion à d’autres candidats et non en fonction de leur préférence (exemple : 2002, élection présidentielle, Jacques CHIRAC et Jean-Marie LE PEN). Deux autres effets qu’ont les sondages sur les élections sont à observer : l’effet « humble the winner » ou « humilier le vainqueur » qui correspondrait à une volonté de tenir tête au vainqueur proclamé, de manière à le rendre plus humble face à un électorat non-acquis. Pour finir, l’effet « snob the loser » ou « snober le perdant », qui consiste à abandonner le camp du perdant pressenti de l’élection (2016, primaire de la droite Nicolas SARKOZY).

Ce qui change le « visage » de la campagne présidentielle actuelle, ce sont les multiples bouleversements connus depuis 2018 : le mouvement des Gilets Jaunes de 2018 à 2020, suivi par l’épidémie de COVID19 de 2020 à aujourd’hui et actuellement le guerre en Ukraine depuis 2014 mais qui n’a été relayée réellement que depuis février 2022. (Tous ces évènements ont également été largement (sur)couverts par les sondages, ce qui pourrait expliquer une lassitude de l’audimat, surtout à la suite de la pandémie).

Les sondages sont commandés par les partis politiques autant que par les médias, ces derniers espérant un partage massif de l’étude afin de profiter d’une publicité gratuite. Toutefois les candidats dans l’ensemble se plaignent de ces enquêtes d’opinion (souvent lorsqu’elles les desservent) autant qu’ils les commandent afin de se positionner au plus juste de l’avis de l’électorat. Que de sondages vus et revus, parfois diffusés en continu sur certaines chaînes d’informations. Le but ? Inviter fortement le panel sélectionné, qui se veut représentatif de la population, à se positionner sur les sujets abordés, car aujourd’hui il est inenvisageable d’être « sans opinion ».

Hors période présidentielle, les sondages publiés se font plus rares. Ils traitent davantage de la bien portance de la population et de son ressenti sur certains sujets comme le réchauffement climatique lors du dernier sommet de la COP21, du budget dédié ou l’attention de partir tout simplement en vacances. Mais y-a-t-il des sondages sur des sujets à l’international le reste du temps ? Non. Actuellement la guerre en Ukraine a submergé les médias. Entraînant une (sur)sollicitation auprès de la population française à statuer sur sa volonté d’accueillir des réfugiés de guerre ukrainiens et à exprimer son ressenti face aux actes de Vladimir POUTINE. Ces sondages effectués ont pour but de sonder la population et de présenter l’actualité sous un certain angle. « Le couple information-études d'opinion (celles publiées, du moins) enferme le citoyen.(…)« Êtres bien concrets dans leur vie de tous les jours, ils deviennent abstraits dans le sondage dans la mesure où il n'est pas tenu compte en fait de leurs origines sociales, de leur tranche d'âge, de leur formation scolaire et culturelle qui conditionnent leur vocabulaire et leur appréhension des thèmes auxquels ils doivent réagir. »

L'application ELYZE

C’est l’histoire d’une jeune femme Elise (4) qui hésitait à voter pour la prochaine élection présidentielle qui serait à l’origine de l’idée de l’application ELYZE par ses deux créateurs. Le storytelling est intéressant… Le but de cette application est de diminuer le taux d’abstention aux élections françaises (22.7% en 2017, 20.5% en 2012 et de sensibiliser la tranche d’âge 18-34 ans aux votes, étant la part de la population s’abstenant le plus. L’application se rapproche énormément du système de fonctionnement de l’application de rencontre Tinder (top 3 des applications de rencontres en France), il suffit de « balayer son écran » (swiper) dans un sens ou l’autre pour marquer son accord ou non avec la proposition montrée. Au bout d’une cinquantaine de questions, l’algorithme propose alors un primo classement des candidats politiques dont l’utilisateur est le plus proche. Evidemment plus l’utilisateur « joue le jeu » et continue à swiper les propositions, plus le résultat de classement sera précis. Cependant l’application a déjà connu des déboires informatiques et malgré une « correction » de la part des créateurs d’ELYZE, ces failles ont laissé place au doute et la CNIL (Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés) surveille.

« Des internautes ont souligné que des candidats avaient plus de propositions que d’autres, ce qui biaisait tout le processus. Sans compter que les quinze personnalités politiques sélectionnées – sur la quarantaine en lice – (au moment du lancement de l’application début janvier 2022) n’ont pas toutes de programme officiel, rendant la comparaison difficile »(5).

En acceptant toutes les propositions faites par ELYZE, le candidat en tête du classement personnel n’est autre que le président actuel de la République Emmanuel Macron. Une correction a été apportée afin de régler l’algorithme défectueux qui orientait immanquablement le choix de l’utilisateur. De plus, un internaute a également réussi à ajouter des propositions hors contexte, démontrant la faiblesse du code de l’application, rapidement corrigé par la suite. Cependant, la question la plus préoccupante réside dans la protection des données, car bien qu’il soit possible d’utiliser l’application sans identifiants, les conditions générales d’utilisation évoquent la possibilité « d’une revente des données anonymisées à des tiers ». Qui serait concernée par cette revente de données alors, des groupes de réflexion (Think Tank), des instituts de sondage ? Autre question à soulever : celle de l’hébergement du site qui pose un cas d’éthique. Cette application, ayant pour but d’intéresser la population française au scrutin de l’élection présidentielle de 2022, est tout simplement hébergée par le géant américain Amazon. Quand on connaît l’extraterritorialité du droit américain et sa différence quant au traitement de données personnelles, le sujet laisse songeur…

En cas de manquement au respect du règlement général sur la protection des données (RGPD), l’autorité administrative évoque la possibilité de « faire usage de ses pouvoirs répressifs »(6).

Quand la popularité conditionne la présidentiabilité

Courant des années 2000, les nouveaux outils de communication transcendent leur finalité privée. Facebook en est le parfait exemple à travers l’exemple du scandale « Cambridge Analytica ». Révélée en 2018, l’affaire Cambridge Analytica révèle le maillage étroit entre l’entreprise spécialisée dans le recueil et l'analyse de données en ligne dans le cadre de campagnes électorales. Dans cette affaire, Facebook a donné accès à cette entreprise aux informations de plus de 50 millions de ses utilisateurs. Contre rémunération, les utilisateurs devaient répondre à des questions, donner accès à leurs données Facebook. Données transmises à Cambridge Analytica et utilisées afin d’influencer l’opinion de l’électorat américain à travers des opérations de communications ciblées (publicités en ligne, évènements, etc). Enfin l’entreprise a été financée à hauteur de 15 millions de dollars par l’un des principaux donateurs du Parti Républicain et l’ancien directeur de campagne du candidat républicain Steeve BANNON qui était lui-même investisseur et vice-président de Cambridge Analytica.

Enfin, il y a une évolution supplémentaire actuellement. Nous sommes dans une ère d’hypercommunication. Là où la vérité était recherchée et mise en avant il y a une décennie, aujourd’hui elle est secondaire remplacée par une recherche du « sensationnel » et de la réaction. Les candidats à la présidentielle ont pris en compte depuis 2017 le pilier essentiel que représentent les réseaux sociaux comme nouvel outil de communication, dans un but de proximité avec leurs électorats. Vous pouvez donc retrouver les candidats sur : GETTR (filiale France créée en 2021, par un ancien proche de Donald TRUMP (trouver nom) concentrant la mouvance d’extrême droite), sur TWITCH (initialement plateforme de « gamers, visant à simplifier et intensifier l’échange direct entre candidat et électorat), FACEBOOK, TWITTER, INSTAGRAM, TIK TOK. Sans parler des émissions spéciales diffusées par certaines chaînes d’informations en continu comme BFM, LCI, CNEWS. Que d’affluence …toutes ces interventions et publications submergent l’audimat d’informations. Il ne dispose que de quelques instants seulement pour juger des propos imagés, remplacés aussitôt par d’autres. Sa réflexion n’a pas le temps de mûrir et n’aboutit pas à un avis clair sur le sujet, sur le candidat. Le lendemain, le ballet d’informations reprend, un nouveau sondage est publié, tel(le) candidat(e) perd 0.2 point, quand un(e) autre en prend 0.4, et un(e) autre se retrouve au sein d’un scandale pour avoir utilisé le mauvais terme dans son argumentation. C’est ce qui arrive quand il y a une surexposition médiatique (numérique), les erreurs s’accumulent, confirmant/ravivant le manque de confiance des électeurs vis-à-vis des candidat(e)s.

Les nouvelles technologies et ingérences en force

Créée aux alentours de 2014, la technique des deepfake s’est réellement fait connaître à compter de 2017 sur le site Reddit. Ils se composent de face swap (remplacement du visage), lip sync (synchronisation des lèvres) et motion imitation (imitation du mouvement). Selon une analyse, les deepfakes trouvés en ligne seraient passés de 8 000 à 15 000 en l’espace d’un an (2018-2019). Cette augmentation s’explique par une banalisation des outils de création de deepfake grâce à des applications comme FakeApp. Cette prouesse de l’intelligence artificielle permet de créer des contenus potentiellement compromettant quand d’autres ont choisi de s’en servir à des fins divertissantes ( émission « C’est Canteloup ») ou de communication (la campagne de Greenpeace mettant en scène les personnalités politiques actuelles face à la problématique du climat (7). Si une des vocations communes du deepfake est de distraire, le choix des personnes visées en dit long sur leur notoriété.

Les deepfake pourraient propager des rumeurs en temps d’élections. Les candidats visés pourraient passer leur temps à se défendre après avoir été la cible de deepfake, plutôt que de défendre leurs idées de programmes. L’électorat doit se défendre déjà de malinformation, de mésinformation, les deepfake s’ajoutent à la liste des éléments de la désinformation (8).

Actuellement les deepfakes sont de plus en plus sophistiqués et de moins en moins détectables. Cependant un réel effort a été fait par Google et sa base de données de deepfakes mise à disposition pour aider au développement de logiciel performant, ainsi que l’outil web In Vid financé par l’UE.

Les réponses législatives à ces menaces

Face à ces menaces qui mettent en danger notre liberté d’opinion individuelle, diverses lois ont été mises en place. L’une des plus anciennes allant dans ce sens : la loi de 1977, relative à la publication et la diffusion des sondages d’opinion, limitant la diffusion durant les élections afin de préserver la libre opinion individuelle (voir l’élection présidentielle de 1974 en François Mitterrand et Valérie Giscard d’Estaing). Vient ensuite la loi contre la manipulation d’information adoptée définitivement en 2018, essentiellement mise en place contre la désinformation en période électorale afin de protéger l’électorat ; se concentrer sur les tentatives[CH1]  d’influence sur les résultats d’élection (9). D’autres structures ont été mises en place afin de répondre au mieux à la situation, comme VIGINUM (sous la directions du SGDSN) depuis septembre 2021. Ses missions consistent à « veiller, détecter et caractériser les opérations d'ingérence numérique étrangères aux fins de manipulation de l'information sur les réseaux sociaux ».

Bien que le mode de diffusion de l’information ait évolué depuis des années, la consommation de l’information par l’utilisateur a également changé. Il est demandeur d’un cycle plus court entre l’évènement survenu (tous domaines) et sa diffusion. Cette diffusion devant répondre à un impératif de temps, la fiabilité des sources et la véracité de l’information sont souvent en-dessous de ce qu’elles devraient être. Ces faits sont renforcés par le détournement de la population vis-à-vis des médias traditionnels au profit des réseaux sociaux.

Mais il reste une constante qui échappe à la problématique des menaces véhiculées par le biais des réseaux sociaux : les retombées d’une pression médiatique à partir d’un rapport officiel du Sénat rendu par la Commission d'enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques.

 

Charlotte Rousseaux