La Centrafrique au cœur d’une guerre d’information

La Centrafrique, l’ex Oubangui-Chari, immensément riche en minerais et pierres précieuses, aussi vaste que la France et vingt fois plus grande que la Belgique, Jadis considéré comme un bastion du « pré-carré » français en Afrique centrale est devenue au cours des trois dernières années l’arrière-cour des ambitions russes sur le continent africain au grand dam de l’hexagone. Comment la France a-t-elle pu perdre pied dans « son porte-avion au cœur du continent », pour emprunter à Jean Pierre Tuquoi, auteur de Oubangui-Chari, le pays qui n’existait pas, au profit de la Russie de Vladimir Poutine ?

Comment Paris a « perdu » Bangui

Paul-Simon Handy, de l’institut d’études de sécurité de Dakar est formel : « La France a été prise de court par l’implication russe qui ne découlait pas d’une stratégie mûrement réfléchie. Moscou a agi par opportunité » en profitant du vide abyssal occasionné par la fin précipitée en octobre 2016 de l’opération militaire française Sangaris lancée en 2013 au plus fort des massacres intercommunautaires dans le pays et du désenchantement des nouvelles autorités Centrafricaines. « Nous avions souhaité que la Force Sangaris poursuive sa mission et avons regretté son retrait » reconnait sans détour, dans une interview au quotidien Le Monde , le Président Centrafricain, Faustin Touadéra, élu tout juste à peine, huit mois, avant l’acte de requiem de Sangaris.

Lâché par la France, le nouveau locataire du Palais de la Renaissance de Bangui, Faustin Touadéra, mathématicien formé à Lille, se tourne vers la Russie. En octobre 2017, il se rend dans la célèbre station balnéaire de Sotchi, au bord de la Mer Noire pour y rencontrer le ministre Russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. Cette visite signe le début d’un nouvel aggiornamento politico-militaire en Centrafrique marqué par la signature, un an plus tard, d’un accord de défense entre la Russie et l’ancienne colonie française à l’issue du tête-à-tête, à St Pétersbourg, entre le Président Touadéra et son homologue Russe Vladimir Poutine.

Moscou s’engage à défendre l’intégrité territoriale de la Centrafrique, envoie des centaines d’instructeurs dans le pays et livre du matériel militaire russe tel que prévu dans l’accord de coopération. Mais pas seulement ! Car ainsi que le souligne Thierry Vircoulon de l’institut français des relations internationales (Ifri) : « Les Russes ont ouvert deux bases dans le Nord-Est du pays, dans la zone diamantaire : à Bria et à Ouata. » et la compagnie minière russe Lobaye Invest Sarlu, dirigée par Evgenil Khodotov, réputé proche du Kremlin, se voit délivrer une demi-douzaine de permis d’exploration et d’exploitation.

Les médias au cœur de la lutte d’influence

Personne, ou presque, à Paris ne prend conscience de l’ampleur du déploiement russe en Centrafrique. « Mon premier courrier sur la présence russe datait du 8 novembre 2017, mais le message n’est pas passé. Des gens pensaient que ça n’avait aucune espèce d’importance » regrette l’ancien ambassadeur français à Bangui Christian Bader qui alerte aussi le Quai d’Orsay sur la campagne massive de dénigrement dirigée contre la France et financée par les Russes.

De fait, selon Julien Nocetti, spécialiste de la Russie, « la véritable motivation des Russes en Centrafrique est de nourrir et renforcer le sentiment anti-français en RCA, et affaiblir son influence en Afrique ». Ce qui expliquerait cette vaste campagne anti-française dans de nombreux médias centrafricains ainsi que l’observe Reporters Sans Frontières, qui affirme avoir recueilli des témoignages de centrafricains ayant été rémunérés par les russes pour mener ces campagnes qui trouvent écho dans les médias internationaux liés à Moscou : Sputnik et RT.

Dans les médias centrafricains, la Russie met en avant son absence de passé colonial et vante, par des campagnes d’influence les vertus de la coopération entre Bangui et Moscou. Le dessin animé produit par la compagnie minière russe Lobaye Invest met cela en scène, comme le raconte Poline Tchobar de la Fondation pour la Recherche Stratégique, l’histoire de ce « lion attaqué par une multitude d’hyènes qui fait appel à son ami l’ours, qui accourt depuis le Grand Nord pour l’aider à se défendre et à faire régner l’ordre en Afrique. »

La Chaine de Radio Lengo Songö « Nouons la solidarité », divers médias centrafricains (Centrafric matin, le Potentiel Centrafricain, Radio Révolution Panafricaine, la feuille volante du Président), ainsi que des ONG comme Urgences Panafricanistes, Aimons Notre Afrique auraient par ailleurs reçu des subsides russes pour alimenter le french bashing et chanter les louanges de Moscou. Sans compter la création de sites pro-russes tel que Bangui24News sur Facebook en outil de propagande hostile à la France. Des tracts inspirés par Moscou vont même jusqu’à être distribués dans la capitale centrafricaine. Ainsi l’un d’eux affirme sans ambages que « la Fédération de Russie est aux origines de la paix en République centrafricaine. »

Sur son compte Twitter, Valery Zakharov, qui se présente comme le conseiller spécial du Président de la RCA pour la Sécurité Nationale met en musique la propagande russe : « les Centrafricains sont sortis dans les rues de Bangui pour manifester leurs remerciements aux alliés de la RCA pour la lutte contre les rebelles. C’est la Russie qui a été la première à venir à l’aide et a beaucoup contribué au succès des FACA dans le maintien de la paix ». C’est également sur son compte Twitter que le monde entier découvrira la livraison à Bangui de dizaines de véhicules blindés, des chars et du matériel russe.

Riposte française 

La presse française n’est pas en reste, elle dénonce à longueurs d’articles et sur les plateaux de télévision la présence de mercenaires russes dans l’ancienne colonie. Le quotidien La Croix peste ainsi contre la présence de plus en plus visible des russes « À Bangui, ils sont partout. Les voici assurant la formation de l’armée centrafricaine, encadrant la garde présidentielle (…) Ils accueillent même le Président centrafricain à sa descente d’avion »

Pour contrer la campagne de dénigrement anti-française à Bangui, des officines proches de l’armée lancent une contre-offensive sur les réseaux sociaux en créant de faux profils et de faux comptes, qui pointent du doigt la Russie, l’accusant d’ingérence dans les élections centrafricaines. « Bien que les personnes derrière cela aient tenté de cacher leur identité et leur caractère coordonné, notre enquête a trouvé des liens avec des individus associés à l’armée française » indique Facebook qui fait le ménage et supprime 84 comptes et 16 profils Instagram liés à ces officines. Cette opération de contre-propagande « conçue sans une logistique très élaborée, voire de façon amateur » comme l’indique au média russe Sputnik, Fabrice Epelboin, enseignant à Science Po Paris, ne fera donc pas long feu.

Facebook suspend aussi de nombreux faux comptes téléguidés par les services de renseignement russe pour influencer la présidentielle centrafricaineDans le même temps, de manière plus visible, Paris s’active à contrer l’influence russe dans l’espace médiatique centrafricain. C’est ainsi qu’en novembre 2020, la France par le biais de son nouvel ambassadeur Jean-Marc Grosgurin alloue un financement en soutien au Haut Conseil de la Communication pour l’organisation d’un atelier de formation destiné aux journalistes de médias publics et privés. Présent à l’ouverture de ce séminaire de formation qui vise officiellement à lutter contre la désinformation pendant la campagne électorale et au-delà, le Président Faustin Touadera fustigera les campagnes de désinformation « contre les partenaires de la Centrafrique »

La tentative de conciliation

Dans ce rapport de force, le conseiller russe Valery Zakharov tente de minimiser la rivalité entre les deux pays. « Nous sommes dans le même bateau ici et notre tâche commune est d’aider la République Centrafricaine » déclare-t-il à Sputnik. La Russie a cependant renforcé sa présence militaire en Centrafrique et pourvu le pays en équipements militaires à grand renfort de publicité. De son côté la France semble avoir entamé un changement de cap en se réengageant après l’épisode déconcertant de la fin de l’opération Sangaris : 280 soldats ont été déployés au sein de la mission militaire de l’Union Européenne en République Centrafrique (EUTM-RCA) dirigée par un officier de haut rang français, le General de Brigade Éric Peltier. Sans compter, les allocations en forte hausse de l’Agence Française de Développement à Bangui, pour appuyer les projets de développement soumis par les autorités centrafricaines ;

Si les Forces armées centrafricaines ont pu reprendre le contrôle du corridor stratégique entre Bangui et le Cameroun, qui sert de mamelle nourricière au pays, plusieurs pans entiers du territoire centrafricain restent occupés par des groupes rebelles puissamment armés dont l’offensive récente n’a pas pu se faire, selon Paul-Simon Handy « sans soutien extérieur » , la stabilité de ce pays pourvu en ressources minières inestimables passe désormais par une pax franco-russe couplée à l’initiative africaine conduite par le Président Angolais João Lourenço.

Thierry Hot

Auditeur de la 36ème promotion MSIE