La confrontation entre Naval Group et l’offre coréenne en Inde

Dans le cadre de la montée en puissance des conflits en indo-pacifique, on assiste à une course à l’armement des Etats pour avoir une capacité dissuasive ou être capable de mener une offensive. Les puissances maritimes des Etats deviennent un facteur clé pour défendre les intérêts nationaux. L’Inde l’a bien compris et a lancé plusieurs programmes de modernisation de sa flotte de sous-marins pour protéger ses côtes face notamment aux vilités Chinoises. De ce fait, une guerre commerciale agite les grands constructeurs mondiaux de sous-marins pour accompagner la montée en puissance de la capacité militaire maritime indienne. Cette guerre prend deux formes principales : technologique et diplomatique dont l’issue s’éclaircie pour deux acteurs : La France et la Corée du Sud.

Le positionnement géopolitique Indien

L’Inde, deuxième armée en nombre au monde, densifie ses achats d’armes pour être en mesure de répondre à ses deux principaux enjeux géopolitiques. Tout d’abord terrestre avec la surveillance et la dissuasion militaire sur les frontières directes avec le Pakistan et la Chine. Ensuite maritime car la zone composée du Golfe du Bengale de l’Océan Indien et la mer d’Oman devient un espace stratégique et économique mondial. Face à l’armement nucléaire de deux puissances voisines, le Pakistan et la Chine, et face à la récente densification de la flotte chinoise ; il est essentiel pour l’Inde, afin de maintenir un équilibre des forces de se doter de sous-marins de dernière génération. Elle lance donc dès 2014, le projet « P-75i ».

Les capacités maritimes militaires indiennes

En faisant abstraction des autres navires de guerre, l’Inde compte un sous-marin à propulsion nucléaire d’attaque d’origine russe, un sous-marin nucléaire lanceur d’engins indien, 14 sous-marins diesels d’origine russe, 5 sous-marins français et 1 allemand.  Cette force militaire est supérieure au Pakistan qui reste un voisin nuisible et qui s’arme suite à la commande de 8 sous-marins passé à la Chine (ii). Néanmoins, la marine Indienne reste largement inférieure à celle de son voisin Chinois qui, en plus, maitrise de mieux en mieux les enjeux maritimes de l’océan indien grâce aux implantations de base militaire et au développement de ports de commerce, de stations d’observations… notamment au Pakistan, à Djibouti, aux iles Maldives qui pourront aussi servir de point d’appui militaire ultérieurement.  Face à ce constat et après avoir commandé, en 2005, 6 sous-marins de type Scorpene à la France dont le 5ième a été livré le 23 janvier 2023 dans le cadre du programme 75 Alpha (iii), l’Inde a lancé le programme 75i.

Sans surprise sur ce type d’achats, notamment du fait de la lourde bureaucratie indienne, la réflexion du gouvernement indien a duré 10 ans de 2009 à 2019 (iv) pour définir le cahier des charges qui pourrait se résumer à :

. 6 sous-marins capables de tirer des missiles d’attaque terrestre et des missiles de croisière antinavires

. Favoriser le transfert de technologie avec la mise en place d’un partenariat stratégique

. Sous-marins permettant une immersion plus longue grâce au système AIP (Air Independant Power).

Les candidats pour remporter l'appel d'offres du programme 75i

Les enjeux géopolitiques de l’Inde n’ont pas permis à certains concurrents comme la Chine et les Etats-Unis de se positionner pour des raisons évidentes. Cinq candidats ont été officiellement présélectionnés pour l’appel d’offres en 2020 :

. Le Français Naval Group avec le Barracuda30 ou le Scorpène31.

. L’Espagnol Navantia avec son S-8032.

. L’Allemand ThyssenKrupp Marine Systems avec le Type 21433 ou le type 21834.

. La Russie avec l’Amour-165035.

. Le Coréen Daewoo Shipbuilding and Marine Engineering avec le DSME-300036.

Une guerre menée sur les fronts techniques et diplomatiques

Le cahier des charges de l’appel d’offres présente un axe fort de « partenariat stratégique » avec un transfert technologique à l’Inde afin de favoriser son économie locale et d’accroitre sa maitrise technologique. Les candidats robustes, tel que les Français, les Allemands et les Coréens sont habitués à ce type de demande et savent structurer les réponses techniques et les organisations opérationnelles en ce sens. Ils ont sans doute accompagné le gouvernement indien en ce sens entre 2010 et 2019 dans l’analyse des besoins pour la rédaction des marchés.

Le premier candidat à se retirer est le suédois Saab qui dès 2019 s’interroge sur l’axe « partenariat stratégique ». Il n’est donc pas présélectionné en 2020. En juillet 2021, au lancement de l’appel d’offres, un des deux chantiers navals identifiés par le gouvernement pour la « co-construction » des sous-marins sollicite les cinq candidats pour intégrer dans l’offre le système AIP avec la condition qu’il ait été éprouvé en situation opérationnelle. Cette contrainte technique additionnelle au cahier des charges, écarte trois candidats qui disposent de la technologie AIP mais pas en situation réelle : les Français, les Russes représentés par Andrey Baranov (v) et les Espagnols. On peut naturellement s’interroger sur cette demande additionnelle technique : est-elle motivée par des raisons géostratégiques qui n’auraient pas été identifié dans la phase préparatoire à l’AO ou est-elle un moyen d’écarter certains candidats ?

L’inde est connu pour une administration lente, complexe et délicate à influencer du fait de la longueur des marchés et du renouvellement des collaborateurs dans les administrations tous les 3 ans. Pour le projet 75i, dix ans ont été nécessaire pour aboutir à l’appel d’offres. Hors à son lancement, une nouvelle exigence majeure voit le jour via l’intermédiaire du chantier Mazagon Dock Shipbuilders Limited (MDL), détenu à 84% par le gouvernement indien. Il est donc peu probable que cette demande soit à l’initiative seule de MDL et l’oubli dans la phase préparatoire serait surprenant. En septembre 2021, les Allemands de ThyssenKrupp Marine Systems se retirent aussi du processus, invoquant une clause de responsabilité « restrictive », un « pourcentage de contenu indigène » élevée (vi), laissant le Coréen Daewoo seule en course.

Une stratégie diplomatique française qui replace Naval Group dans la course

La France a d’excellentes relations diplomatiques depuis des dizaines d’années avec l’Inde, matérialisées notamment avec la vente d’avions de chasse. Ces contrats sont des occasions diplomatiques pour Paris de maintenir une stratégie d’influence forte, lui permettant de remporter d’autres contrats d’armement comme en 2005 avec la livraison des 6 sous-marins « Scorpène ». La retenue diplomatique française envers l’Inde, soutien économique de la Russie dans le conflit russo-ukrainien, fait partie de la stratégie d’influence dans le cadre de la guerre économique :

  • Le 5 mai 2022 à Paris (vii), les deux hommes politiques appellent à « une cessation des hostilités » à la suite de la rencontre bilatérale.
  • Le 16 août 2022 (viii), le Président français et le Premier Ministre Indien Narendra Modi affichent leur détermination à « travailler ensemble » sur le conflit en Ukraine suite à une réunion téléphonique

Enfin, les efforts français sont aussi intimement liés à la défense des intérêts français qui détient la majeur partie de sa Zone Economique Exclusive (deuxième au monde) dans cette région du monde. C’est donc aussi dans ce cadre que le 18 novembre 2022, le Président Emmanuel Macron s’est rendu au sommet de l’APEC à Bangkok. La stratégie française semble donc combiner efforts diplomatiques, discrétion (Naval group s’est retiré discrètement de l’appel d’offres en cours pour ne pas porter nuisance au gouvernement Indien) et reconnaissance technologique afin de faire rapprocher les projets 75 et 75i de la marine Indienne. Ce rapprochement permettrait à la France de vendre des sous-marins additionnels.

Les derniers en piste

La Russie est le premier fournisseur d’armement pour l’Inde (ix), notamment via la revente de matériel soviétique (les sous-marins au diesel). La Russie et l’Inde ont noué une alliance stratégique qui se matérialisa par notamment, la présence de Vladimir Poutine en tant qu’invité d’honneur à la fête nationale indienne en Janvier 2007. Cette relation diplomatique est historique le prouve la réalisation d’un exercice militaire trilatéral « Vostok » (x) avec la Chine en septembre 2022, durant conflit russo-ukrainien. Néanmoins, la déclaration officielle « directe » d’Andrey Baranov le 15 août 2022 (xi), associée à la déstabilisation géopolitique globale accélérée par le conflit russo-ukrainien et l’incapacité pour la Russie d’assurer la continuité de ses programmes militaires du fait des sanctions internationales ; la sort probablement automatiquement du jeu commercial pour les futurs sous-marins Indiens. La stratégie espagnole est potentiellement nulle, probablement dû à l’absence de lien diplomatique fort entre les 2 Etats et à la position d’outsider de Navantia sur le marché des sous-marins. Les Coréens ont une approche diplomatique réduite, fondant avant tout la guerre commerciale sur la guerre technologique avec des compétences et des technologies maitrisés & reconnues dans des industries à haute valeur ajoutée (nucléaire, armement…). En effet, leur positionnement géographique et leurs voisins belliqueux les obligent à développer une autonomie dans tous les domaines qu’ils peuvent ensuite exporter. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur les raisons d’une discrétion diplomatique accrue qui les pénalisent probablement dans les marchés internationaux, y compris celui-ci avec le risque d’un marché caduc ; alors qu’ils sont les seuls désormais à pouvoir répondre à l’appel d’offres.

                                                               MSIE 41 de l’EGE

Sources :

(i) : https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/le-premier-ministre-indien-narendra-modi-a-paris-sur-fond-de-desaccord-sur-l-ukraine_5091388.html?_sm_au_=iRVTg7Df5wJTnjfP

(ii) : https://actu.fr/normandie/cherbourg-en-cotentin_50129/industrie-naval-group-bientot-de-nouveaux-sous-marins-a-construire-pour-l-inde_56644353.html

(iii) : https://www.navalnews.com/naval-news/2023/01/indian-navy-commissions-5th-scorpene-submarine-ins-vagir/

(iv) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Classe_Projet_75I

(v) : https://theprint.in/defence/drastic-changes-needed-in-p75i-tender-russia-on-indian-navys-submarine-plans/1083662/

(vi) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Classe_Projet_75I

(vii) : https://www.france24.com/fr/france/20220504-guerre-en-ukraine-emmanuel-macron-et-narendra-modi-appellent-%C3%A0-une-cessation-des-hostilit%C3%A9s

(viii) : https://www.lefigaro.fr/flash-actu/macron-et-modi-veulent-travailler-ensemble-sur-le-conflit-en-ukraine-20220816

(ix) : https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/le-premier-ministre-indien-narendra-modi-a-paris-sur-fond-de-desaccord-sur-l-ukraine_5091388.html

(x) : https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20220902-l-inde-participe-%C3%A0-reculons-%C3%A0-un-exercice-militaire-avec-la-russie-et-la-chine

(xi) : https://theprint.in/defence/drastic-changes-needed-in-p75i-tender-russia-on-indian-navys-submarine-plans/1083662/