La confrontation numérique dans l’industrie automobile

Copieusement moqué par les acteurs traditionnels de l'automobile, Tesla est aujourd’hui le modèle à calquer, déclenchant la mutation du modèle industriel. Le constructeur californien a révélé sa maîtrise à concevoir la voiture-ordinateur autour d'un système d'exploitation central développé par ses propres ingénieurs, système d'exploitation à l’aube de devenir la pièce essentielle de l'automobile. Le logiciel va capturer une part croissante de la valeur dans l'automobile électrique et ultra-connectée pour représenter 6o % de la valeur d'un véhicule en 2030, amorçant la transformation du secteur de la construction automobile, désormais promu à vendre de la performance mécanique et informatique. Des « smartphones sur roues » et une combinaison de logiciels pilotent désormais intégralement les véhicules, depuis leur fonctionnement basique jusqu'aux outils d'information et de divertissement.

Une révolution s'annonce laissant entrevoir de profondes réflexions et l’alternative du « make or buy ». Un dilemme entre investissements de plusieurs milliards pour tenter de rivaliser avec les géants de la High-Tech disposant de compétences inégalées et de moyens illimités, ou l’abandon d’une part croissante de la valeur ajoutée et le risque avéré de vassalisation.Toute cette valeur ne pourra pas être créée par les seuls constructeurs tant les besoins en intelligence embarquée sont immenses.

La lutte qui se joue sous le capot illustre l’ardeur avec laquelle les entreprises s’impliquent aujourd’hui dans cette course effrénée et digitalisée. Google et Amazon se livrent une concurrences acharnée pour s’accaparer le tableau de bord, leurs systèmes respectifs étant en mesure de contrôler toutes les communications et toutes les applications.

L’entrée de nouveaux acteurs

La voiture connectée ouvre le monde de l’automobile à de nouveaux acteurs. Constructeurs, équipementiers et GAFAM devraient donc se partager le marché dans un jeu complexe et un savant mélange de concurrence et de partenariat. La voiture digitale sacralise l’union du monde connecté du smartphone et du monde automobile. L’ordinateur sur roues intègre la voie au monde extérieur où l’accès, le traitement, le partage et le stockage des données deviennent le nerf de la guerre.

La voiture connectée rentre dans sa phase d’accélération présentant les avantages compétitifs de la connaissance du client, l’accès au client et les données pour les constructeurs.  La question de fond pour les constructeurs est la protection des données à maitriser et à protéger aux fins de monétisation et de services différenciant pour le client.  La voie numérique n'est toutefois pas exempte de secousses. Le principal problème consiste à recruter les compétences. Ils sont déjà 11 000 chez Volkswagen, 10 000 chez BMW. En janvier 2021, Toyota nomme James Kuffner, ancien chef de la robotique chez Google, en tant que dirigeant de Woven Planet Holdings, filiale dédiée à la conception de véhicules autonomes et connectés.

Les industriels veulent protéger leurs marques

Le groupe Volkswagen engage sa transformation en tant que nouvel acteur dans l’univers du digital. Sa division Car. Software, crée en janvier 2020, a pour ambition de faire passer la part des logiciels développés en interne de 10 % à 60 % en 2025, soit un investissement de 7 milliards d'euros et l’emploi à terme 10.000 ingénieurs, tout en s’appuyant sur des partenaires comme Continental ou Microsoft. Autre illustration avec BMW, qui présentait en mars ses résultats 2020 et le lancement du système d'exploitation BMW OS 8: «Le système embarqué de traitement des données le plus puissant jamais développé par le groupe BMW». Le leader chinois Xiaomi va investir 10 milliards de dollars sur 10 ans dans le développement de sa voiture électrique et capitaliser sur son expérience des smartphones et des objets connectés.

France Software République

Renault conduit l’alliance européenne technologique baptisée «Software république», garantie de la souveraineté logicielle européenne dans la mobilité, et réunissant Atos, Dassault Systèmes, Groupe Renault, STMicroelectronics et Thales. «Nous voulons être maîtres de notre destin. Nous mettons donc ensemble des savoir-faire du meilleur niveau mondial », souligne Patrice Caine, PDG de Thales. La nouvelle alliance a annoncé la création d’un fonds d'investissement destiné au financement des « start-ups les plus prometteuses et un incubateur pour héberger des start-ups dans le domaine des technologies pour la mobilité intelligente».

Monétisation des données issues de la mobilité

Les systèmes de contrôle à distance de la télématique vont procurer un flot incessant de données. 40% des profits de l'industrie en 2035 proviendront des technologies de nouvelle mobilité selon Boston Consulting Group. Qui est l’automobiliste ? Où va-t-il ? Comment conduit-il ? Dans quel état est sa voiture ? « L’incertitude sera fortement réduite » déclare un rapport de McKinsey consacré à l’avenir de l’industrie de l’assurance. «Cela conduira à la démutualisation et à une concentration accrue sur la prédiction et la gestion des risques individuels, de préférence aux risques encourus par les communautés».

Les taux calculés sur le comportement réel présenteront un immense avantage en facilitant le calcul de primes appropriées ajustées en temps réel. Aux contrats d’assurance destinés par définition à minimiser les risques se substitueront des processus automatisés avec pour effet de diminuer substantiellement ces risques, voire de les supprimer. L’assurance comportementale promet une réduction du risque par le biais de procédés automatiques destinés à changer les comportements, générateurs de revenus : augmentation des taux en temps réel, pénalités financières, couvre-feu pour les jeunes conducteurs, verrouillage du moteur à distance…. des éléments de contrôle permanent de l’automobiliste, issus d’algorithmes, qui pourra ainsi être évalué , classifié.

Qui êtes-vous ? Où êtes-vous ? Où allez-vous ? Cette traduction en produits de prédiction ouvre la voie à la publicité ciblée et aux expériences vécues modelées destinées à attirer les utilisateurs dans des endroits bien précis et instaurer un Co-marketing.

La voiture est un instrument de souveraineté et de liberté individuelle

L’écrivain philosophe Matthew B. Crawford, spécialisé dans la pensée politique de l’antiquité, avait lancé en 2010 L’éloge du carburateur avant de s’atteler à la rédaction de Contact proposant une réflexion sur la notion d’attention et l’emprise des « exploiteurs de temps de cerveau disponible. » Son dernier essai Prendre la route. Une philosophie de la conduite, Matthew B. Crawford se penche sur la voiture automatisée, aseptisée, restrictive de liberté, atrophiant notre capacité à vivre en démocratie. « Il faut se méfier de tout ce qui sape notre autonomie en se parant d’impératifs liés à notre sécurité ». Les questions posées portent sur l’éthique des algorithmes, la valeur humaine, l’attention monétisée. Or, l’attention est notre apanage. L’intrusion de la publicité ciblée et des technologies omniprésentes constituent une invasion de l’intime.

Le véritable pouvoir est d’être désormais capable de modifier les actions en temps réel dans le monde réel. Des capteurs intelligents et connectés peuvent enregistrer et analyser n’importe quel type de comportement puis imaginer la manière dont ils pourront le modifier. Le conditionnement est une méthode connue, l’incitation au changement de comportement dont l’origine est associée à B.F. Skinner, célèbre behavioriste de Harvard. Skinner aspirait aux capacités de calcul qui perfectionneraient la prédiction et les contrôles comportementaux, permettant au savoir parfait de remplacer la politique en tant que moyen de prise de décision collective.

Le contrôle des données, le consentement, la transparence, la portabilité et des règles du jeu équitables ont été mis en évidence comme principes fondamentaux en matière de données et de vie privée en Europe. La France et l’Union européenne mènent un travail approfondi en vue d’encadrer l’accès aux données et aux fonctions embarquées des véhicules.  L’équilibre entre l’innovation technologique, la protection et l’utilisation des données personnelles doit demeurer un enjeu majeur, nécessitant la mise en place de solides garde-fous.

 

Sonia Monaca
Auditrice de la 35ème promotion MSIE

SOURCES – REFERENCES

  1. PRESSE
  1. Essais
  • L’Âge du capitalisme de surveillance", Shoshana Zuboff (2020).
  • Contact : pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver, Matthew Crawford (2016).
  • Eloge du carburateur : essai sur le sens et la valeur du travail, Matthew Crawford (2010).
  1. Rapports