La culture Japonaise du renseignement économique

Racine historique 

Le terme ninja est un mot moderne pour désigner les « shinobis » (se faufiler) de la période Sengoku-Jidai (les provinces en guerre). Si l’inconscient collectif a gardé d’eux l’image d’assassin, leur mission principale était en réalité tournée vers l’espionnage, le sabotage et la désinformation, et lors des campagnes militaires, des missions d’éclaireurs et de guérilla.

Souvent opposé à la figure du samurai, symbole des vertus tel que l’honneur, l’honnêteté et le courage, les perceptions dans la société japonaise était en réalité plus complexe.

Premièrement, ces deux groupes étaient sociologiquement différents, l’un composé de la noblesse, l’autre venant du monde rurale et paysan, ce qui induit un système de valeur différent.

C’est ainsi que les shinobis fréquentaient par pragmatisme, les lieux où circulent l’information. En effet les tavernes, maison de prostitution et marché était évité par la caste samurai, qui devait vivre éloigné de la gloutonnerie, la luxure et l’avarice.

La période troublée de Kamakura (1185-1333) vit émergée les shinobi. Cette période historique est celle qui voit s’affronter les deux grandes familles Minamoto et Taira. Les conflits entre les clans, les familles, les militaires et les nobles donnèrent lieu à une période de forte instabilité. Pour prendre l’avantage sur un adversaire, il était crucial de connaître ses intentions, l’état de ses troupes, de ses finances, du moral des paysans, de l’abondance des récoltes… L’espionnage devint la règle et qui de mieux que les shinobi pour s’acquitter de la tâche. Le recours à l’assassinat pouvait etre envisagé lorsque la guerre semblait inévitable, ce qui économisait le coup d’une mobilisation, tant en vie qu’en argent.

Une deuxième période pour les shinobis vit le jour sous le règne de Ieyasu Tokugawa. Une fois solidement installé au pouvoir, Ieyasu Tokugawa se servit des shinobis pour surveiller les seigneurs locaux et éviter toute rébellion, il s’appuya sur un vaste réseau, employé par le shogunat et rebaptisé onmitsu.

Les bouleversements de l'ère Meiji

Le film « Le dernier Samouraï » d’Edward Zwick résume pour beaucoup la perception d’une culture japonaise, figée dans la tradition et le passé, difficilement capable de s’adapter à la modernité, illustrer par ce film d’une charge de cavalerie sur les mitrailleuses américaines. 

La réalité est entièrement différente. Si les bouleversements sociologiques (fin de la féodalité), économique (industrialisation et commerce) et militaire (développement de la marine impérial) ont profondément changé le Japon, l’Occident persiste dans une erreur de lecture de cette histoire. Comme le dit Inazo Nitobe dans son « Bushido » en 1900, ce n’est pas l’Occident qui a appris au Japon, mais le Japon qui a appris de l’Occident. Les Japonais ont su avec intelligence identifier leurs faiblesses, aller chercher des solutions en Occident, et de les adaptés à sauce nippone. Il faudra la guerre Russo-Japonaise de 1905 pour que l’Occident comprenne que le Japon avait bien rattrapé son retard pour se hisser au rang de puissance. 

La mission Iwakura est une véritable opération de renseignement protéiforme où un grand nombre de dirigeants, d’observateurs, et d’étudiants, vont être envoyés pour apprendre de l’Occident. Douze pays et cent vingt villes seront ainsi visités. Cette mission, permettra de collecter une moisson d’informations économiques, politiques, et éducatives. Tous les aspects, tant positifs que négatifs des sociétés occidentales, seront analysés méticuleusement, jusqu'au rôle qu’y tiennent les religions. On observe la naissance de ce qui sera une force du Japon, son réseau à travers le monde et sa capacité de capter des informations utiles sur le plan économique ou technologique. Ces efforts ont été appuyés par des organismes publics tels que le JETRO « Japan External Trade Organisation » et un réseau très réactif de société de commerce, les Sogo SoSHas. 

Les exemples sont nombreux, les navires achetés aux britanniques seront étudiés pour être reproduit par les ingénieurs et les chantiers nippons, ce qui permettra au Japon de se doter d’une flotte de guerre conséquente. Le coton est un autre cas de réussite, où l’empire du Soleil Levant réussira à concurrencer le coton britannique en Asie rapidement. Cette industrialisation à marche forcée mettra également le pays face à son manque de ressource, comme le charbon. Ce qui entrainera par la suite une logique de conquête.

On observe également dans le champ culturel une fusion des systèmes de valeurs entre monde rurale et monde de la noblesse incarné par les samouraïs. Si les qualités et les vertus de ces guerriers sont porté en haute estime et comme un modèle par la société japonaise, le pragmatisme, la subtilité et les subterfuges des shinobis sont également accepté comme indispensable au développement du Japon. Cette fusion peut expliquer le comportement soudé des entreprises et des acteurs économiques et politique lorsqu’il s’agit de conquérir des marchés internationaux. 

Le Japon et la quête de "l'indispensabilité stratégique"

Après la défaite de la Seconde Guerre mondiale, le Japon doit faire face à un défi de taille : reconstruire sa souveraineté en ne possédant plus de bras armés et en accueillant des forces d’occupation américaine sur son territoire.

Cette remontée en puissance va pouvoir passer par une politique de sécurité économique, d’autant plus importante que le Japon est une économie fortement industrialisée, mais extrêmement dépendante de ses importations car ne possédant que très peu de ressources sur son sol.

La situation géographique du Japon va également façonner l’orientation de son renseignement. Le Japon est une ile extrêmement dépendante de ses importations pour nourrir ses industries, entourer de nations puissantes comme la Chine, la Russie ou les états de Corée. Pour assurer sa sécurité, le Japon cherche donc à développer son « indispensabilité stratégique », concept qui vise « de façon stratégique, à accroître le nombre de secteurs dans la structure industrielle mondiale, où le Japon est essentiel à la communauté internationale ».

La JETRO est une véritable organisation japonaise de renseignement commercial. Consciente de la surveillance exercée par le FBI et la Central Intelligence Agency, la JETRO se conforme très certainement à la législation américaine. Cette organisation s’occupe de la collecte de renseignements commerciaux, d'informations commerciales et concurrentielles par des méthodes légales et éthiques. Ces informations peuvent être obtenues à partir de sources ouvertes, telles que des articles de journaux, des revues spécialisées, des documents déposés auprès de la Security & Exchange Commission (SEC), des bases de données spécialisées. Les informations ainsi collectées sont par la suite mises à disposition des entreprises japonaises afin de leur fournir un avantage informationnel vis-à-vis de leurs concurrents, et donc d’un avantage compétitif.

L’importance du renseignement économique peut être souligné par le document « Defence of Japan 2022 » du ministère de la Défense japonais, ou les enjeux économique sont plusieurs fois mentionner, notamment la notion d’indispensabilité stratégique. Qu’un document officiel du ministère de la Défense parle des enjeux de la sécurité économique en Indopacifique, démontre la place que tient l’économie dans la défense du Japon.

Ce document mentionne également les lignes pour augmenter les capacités de renseignement du Japon : augmentation des capacités Cyber, GEOINT, OSINT, HUMINT et SIGINT, renforcement de la coopération avec la Corée du Sud et les US dans le partage des renseignements.

L’importance des réseaux dans la culture nippone ressort dans ce document, ou le partage du renseignement et la collaboration avec les alliés est fortement encouragé et amené à se développer. Les réseaux des attachés de défense déployés dans 86 ambassades fournissent ainsi du renseignement humain, et celui est appelé à croître en effectif.

Enfin, l’affaire de Shanghaï démontre que la force des traditions imprègnent encore la société japonaise. En mai 2004 un diplomate japonais se suicide après une tentative de chantage des services de renseignement chinois, qui ont eu vent de sa liaison avec une hôtesse d’un club de Karaoke.

Le suicide est une tradition héritée du « Bushido », le code de l’honneur des Samouraïs qui influence encore aujourd’hui la nation japonaise, ou les suicides restent fréquent.

La posture défensive continue à prédominer

On peut donc noter dans l’orientation actuelle du renseignement japonais le résultat d’une culture millénaire, affrontant un contexte d’insécurité internationale et régionale, particulièrement menaçant pour une nation cruellement dépendante de ses importations. Ainsi, on peut constater que la culture du renseignement japonais s’appuie aujourd’hui sur trois piliers : technologique, coopératif, et sécuritaire.

Technologique : dans sa volonté de rester une nation à la pointe de la technologie, le Japon développe ses capacités de renseignement par satellite, par écoute et interception électromagnétique, et enfin ses capacités cyber.

Coopératif : les réseaux d’alliances et de partenariats jouent un rôle central pour le Japon, en augmentant ainsi ses capacités de renseignement par ceux apportés par ces alliés et partenaires. Cette circulation des informations contribue à la sécurité économique du Japon en lui permettant de mieux identifier les menaces.

Sécuritaire : la volonté japonaise d’assurer sa sécurité par sa puissance économique et son indispensabilité stratégique signifie une emphase sur la protection des entreprises japonaise, objectif important y compris pour le ministère de la Défense japonais, qui inclut dans ses missions de collaborer avec les autres institutions pour le contre-espionnage économiques. La création récente d’un ministre de la Sécurité Economique qui a surtout pour l’instant une portée symbolique souligne l’importance que le pouvoir accorde aux nouvelles menaces du monde immatériel.

Gary Frank,
étudiant de la 2ième promotion Renseignement et Intelligence Économique (RENSIE)

 

 

Sources

Nitobe, I., Baldock, J., & Leibovici, A. (2017). Le code du samouraï. Guy Trédaniel éditeur. 

Calvet, R. (2012). Une histoire des samouraïs. Larousse.

Souyri, P.-F. (2021). Les guerriers dans la rizière: La Longue Histoire des samouraïs. Flammarion.

Nitobe, I., Baldock, J., & Leibovici, A. (2017). Le code du samouraï. Guy Trédaniel éditeur.

Ère Meiji une révolution politique, économique et esthétique, Jean-Max ROBIN, Académie des Sciences et Lettres de Montpellier.

Nish, I. (2008). The Iwakura Mission in America and Europe : A new assessment. essay, Routledge.

Chapter 1 Japan: New Development of National Security policy. (n.d.-a). Institut National des Etudes de Défense, Japon. 

L’ambition japonaise d’une stratégie de sécurité économique, IRSEM.