La défense du groupe Adani : Une communication de crise ratée

Note : cet article fait suite au précédent publié sur le sujet, que vous pouvez retrouver ici

Petit rappel des faits : le 24 janvier, Hindenburg Research publie un rapport sur le groupe Adani, l’accusant d’être une fraude massive. En conclusion du rapport, Hindenburg publie une liste de 88 questions pour le management du groupe, lui proposant d’y apporter des réponses afin d’élucider les points soulevés. Ces questions englobent des éléments portant directement sur les accusions de manipulation des cours boursiers des entreprises cotées constituant le Groupe, mais également des demandes de clarification concernant le passé, et le rôle actuel, de plusieurs personnes clefs du groupe, notamment des membres de la famille Adani.

La réponse d’Adani Group

Le 29 janvier, Adani Group contre-attaque en publiant une note de 413 pages qui se veut être une réponse aux allégations de la firme américaine. Dans cette note, 358 pages sont constituées d’annexes. Le reste de la note est constituée d’une réponse globale à l’attaque d’Hindenburg (5 pages), d’une présentation des activités du Groupe Adani et de son implication dans des projets environnementaux et caritatifs (19 pages), et de réponses aux 88 questions d’Hindenburg (28 pages).

Pourtant, la stratégie semble avoir échoué, les actions de la maison mère du Groupe, Adani Enterprises, étant en baisse de quasiment 50% depuis la publication de la réponse. Les investisseurs n’ont donc pas été rassurés par les explications du Groupe, qui sont même venues accentuer la panique.

Pourquoi ?

Plusieurs éléments de réponse soulignent l’échec de la communication de crise du Groupe.

Une rhétorique inadaptée

En début de note, le Groupe propose des arguments ad-hominem visant à décrédibiliser non pas le travail d’Hindenburg, mais sa nature même.

Qualifiant la firme américaine de « Madoff de Manhattan », alors qu’aucun rapport ne peut être fait entre les activités de Bernard Madoff, assimilées à une pyramide de Ponzi, et les activités d’Hindenburg, le Groupe Adani tente maladroitement d’assimiler son adversaire à une bande de criminels, et donc de décrédibiliser leur travail.

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Soulignant le fait que la société américaine a intérêt à provoquer une baisse des actions du Groupe, car étant vendeurs à découvert, ils concluent que le rapport n’est pas objectif, est biaisé et mal documenté.
Le raccourci est hasardeux. Le modèle économique d’Hindenburg étant basé sur la détection de fraudes dans des entreprises cotées afin de profiter d’une baisse des actions, la firme a plutôt intérêt à publier des éléments factuels, concrets et vérifiables.
Pourquoi ? Car leur succès tient à leur légitimité. Si des rapports inexacts ou mensongers sont publiés, il est fort probable que lors de la publication de prochains rapport le marché n’accorde pas sa confiance dans leurs analyses et donc qu’ils soient sans aucun effet sur le cours de l’action des cibles. La société américaine n’enregistrerait donc aucune plus-value liée à une baisse de l’action.
Pour pérenniser son modèle, Hindenburg a donc tout intérêt à proposer des analyses véridiques, basées sur des faits. Ce sont d’ailleurs ses précédents succès qui lui confèrent aujourd’hui une véritable légitimité vis-à-vis des marchés.

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Autre erreur : le Groupe tente d’assimiler le rapport à une attaque non pas contre lui-même, mais plutôt contre l’Inde, l’indépendance, intégrité et qualité de ses institutions, et sa croissance et ambition.
Pourtant, le rapport d’Hindenburg est principalement fondé sur des éléments concrets liés au Groupe et à des personnes clefs y évoluant. Les seuls aspects pouvant être assimilés à une attaque contre « l’Inde » figurent en introduction du document :

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Cette « attaque » est difficilement assimilable à l’Inde dans son ensemble, mais plutôt à des pratiques documentées liées à des pans très précis de l’économie indienne. Ici encore, la défense tombe à l’eau.

A noter également que ces éléments apparaissent en premier dans la réponse d’Adani, avant toute réponse concernant les allégations d’Hindenburg.

Des réponses partielles aux questions d’Hindenburg

Suivant la publication de la réponse du Groupe Adani, Hindenburg publie un communiqué.
Dans ce dernier, il considère que le Groupe a omis de répondre à 62 des 88 questions posées. En effet, la note d’Adani répond à des groupes de questions posées par Hindenburg, et les réponses sont souvent parcellaires et ignorent certains des éléments soulevés.

Le signal envoyé par le Groupe est alors négatif. En laissant penser que ses réponses couvrent l’ensemble des questions, ce qui n’est pas le cas, il laisse penser que ces omissions sont faites sciemment, et donc qu’il n’est en mesure d’apporter des éléments concrets permettant de contrer les allégations d’Hindenburg.

Des confirmations involontaires portant sur certaines des accusations d’Hindenburg

Malgré ses nombreuses omissions, le rapport du Groupe apporte pourtant un certain nombre de réponses… dont certaines viennent confirmer plusieurs accusations du Groupe. Parmi elles :

  • Le rapport d’Hindenburg pointe des transactions de plusieurs milliards de dollars entre le Groupe et un réseau de sociétés offshore détenues par Vinod Adani, le frère du fondateur d’Adani Group, Gautam Adani.

La réponse du Groupe : « Vinod Adani, frère du CEO, n’est pas affilié au Groupe et il n’existe donc aucun conflit lié à ces transactions »…

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C’est une double erreur du Groupe. Même en l’absence de tout poste officiel dans le Groupe, le frère du fondateur n’est pas une tierce partie, et on peut supposer que des conflits d’intérêts peuvent se poser dans son cas.
Et surtout, cette réponse vient valider la véritable accusation d’Hindenburg : l’existence d’un réseau de sociétés offshore participant activement à des transactions avec le Groupe.

Ce réseau de sociétés offshore a prêté près d’un milliard de dollars au Groupe Adani. La réponse du Groupe est simple :

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Cette dernière vient indirectement confirmer les accusations d’Hindenburg. En effet, si ces dernières étaient fausses, il serait simple pour le Groupe de démentir toute implication de la famille Adani, ou des proches, dans ce type de transaction.

Hindenburg résume la réponse d’Adani en fin de note : La réponse d’Adani confirme largement nos découvertes, et ignore nos questions clefs.

En conclusion, la gestion de la crise par le Groupe Adani est venue amplifier les doutes du marché

La stratégie retenue a pour le moins échoué à contrer l’attaque informationnelle menée par Hindenburg. En utilisant des attaques ad-hominem infondées, en choisissant d’omettre de répondre à la majorité des questions posées et en confirmant maladroitement certaines des accusations, le Groupe Adani a renforcé l’attaque.

L’affaire a aujourd’hui (6 février 2023) des répercussions sur l’ensemble du système financier indien, mais également sur la vie politique du pays. L’opposition demande en effet des comptes au premier ministre indien, notamment sur ses liens avec le dirigeant du Groupe.

 

Martin Toussaint