La grande consommation au cœur d’une confrontation informationnelle en Côte d’Ivoire

Du sachet de la ménagère au caddie du ménage en passant par le panier de la ménagère, la Côte d’Ivoire pays en voie d’émergence a enregistré une croissance dynamique remarquable au cours de la dernière décennie faisant d’elle le théâtre d’une concurrence ardue entre bon nombre d’acteurs de divers secteurs visant le portefeuille de sa classe moyenne. Ainsi de la brasserie au mobile money en passant par la santé, le secteur pétrolier et la grande distribution, sont apparus de nouveaux acteurs venus bousculer les tenants historiques de ces secteurs. Pour ce qui concerne le secteur de la grande distribution en Côte d’Ivoire d’une valeur de plus de 475 millions d’euros que nous nous proposons d’analyser ce jour au niveau de la guerre de l’information par le contenu entre deux enseignes qui ont décidé de ne rien concéder l’une à l’autre.  « Carrefour » géant français et numéro deux mondial de la Grande Distribution en s’implantant en décembre 2015 en Côte d’Ivoire décide d’attaquer sur ses terres « Prosuma » leader local et en Afrique francophone du secteur.

Le contexte concurrentiel

Prosuma fruit de plusieurs fusions acquisitions avec plus de 250 millions de ce CA annuels faisait face jusque-là à une rivalité de façade du groupe local CDCI qui n’impactait pas réellement son activité sur les ménages intermédiaires et prestiges. Cependant depuis l’intrusion de Carrefour qui a fait montre d’une agressivité significative avec l’implantation dans la capitale économique ivoirienne de 3 hypermarchés dans des zones hautement stratégiques poussant du coup Prosuma à passer de la posture défensive à l’offensive. Prosuma vise désormais toutes les classes, de la superette à l’hypermarché et use de toute forme de communication du média au hors média en passant par le numérique. Nos 2 acteurs se livrent donc depuis 2015 à un antagonisme informationnel par le contenu à travers leurs sites internet, pages Facebook, via des influenceurs du web et cyber activistes, des articles digitaux.

La dimension cyber de l’affrontement concurrentiel

Cette bataille sans merci de l’information par le contenu dans le secteur de la grande distribution ivoirienne s’est opérée sur plusieurs fronts notamment la qualité de services, les prix, l’e-service, le Géomarketing, la fidélisation, la vente à thème.

  • Face à la campagne de communication de Carrefour qui offrait des produits frais respectant la chaîne de froid, Prosuma a riposté déclarant offrir des produits du terroir, disponibles en permanence sans aucun risque de rupture, attirant l’attention des populations sur les risques de rupture d’approvisionnement de son concurrent.
  • Alors que Prosuma avait lancé YATOO sa plate-forme de vente en ligne, Carrefour s’est associé à JUMIA le leader de la vente en ligne en contre-attaque. Cette alliance a été si bien menée que YATOO en dépit de la multitude et de la diversité de ses référencements, de la flexibilité des moyens de paiements et de la souplesse des conditions de retraits a du néanmoins fermer laissant du coup JUMIA en roue-libre sur le segment.

 

Une incitation à la consommation

Face à l’offre Géomarketing de Carrefour indiquant sa proximité physique de ses consommateurs par l’implantation de 3 hypermarchés sur le District d’Abidjan, Prosuma a indiqué qu’en plus d’être beaucoup plus proche avec plus de 150 points de vente et une vingtaine d’enseignes.

L’esprit de créativité marketing s’est encore matérialisé quand la Noël, la Saint Valentin, les Pâques, le Ramadan, etc. sont des évènements que nos deux enseignes ne se laissent pas conter et dont ils épousent entièrement les couleurs et les thèmes à travers des ventes évènementielles. Les étals sont achalandés d’offres circonstancielles et circonstanciées. De la décoration des boutiques à la tenues du personnel en passant par des dégustations, des produits de saisons et au message tout y est pour pousser consommateur à acheter même quand ce n’est pas prévu.

Une guerre des prix frontale

Une vaste offre débouchant sur un leurre de guerre de prix dans un contexte de soldes quasi-permanentes au mépris de la règlementation locale des prix en vigueur. En effet malgré des prix dits-réduits les produits restent encore hors de portée du grand nombre des ménages ivoiriens qui constituent pourtant la grande partie du marché de la consommation. Cet affrontement sur le théâtre des prix qui semble être l’un des piliers de la politique marketing de chaque groupe manque de transparence et de clarté à l’image de la garantie du prix le plus bas dans les sociétés de consommation occidentales où les droits des consommateurs sont une priorité.

La fidélisation traditionnelle par une diversité de l’offre, des points-avoirs, des cartes-cadeaux ou de fidélité, des remises exceptionnelles, des tombolas avec de gros lots et des ouvertures H24 ( Casino Mandarine), pratiquée jusque-là par Prosuma a été totalement remis en cause par Carrefour qui a lancé l’offre 0% qui consistait à octroyer un crédit allant jusqu’à 48 mois pour tout achat d’équipement au-delà de 200 euros dans un pays où l’accès au crédit et le taux de bancarisation sont en deçà de  15 %.

Autant de thèmes alimentant le contenu d’une confrontation informationnelle entre 2 groupes internationaux qui se battent sur le segment très dynamique de la grande distribution avec 10 % de croissance annuelle dans une économie elle-même dynamique qui enregistré ces 10 dernières années un taux moyen avant COVID de 8 %.

La nécessité de campagnes informationnelles plus constructives pour les Ivoiriens

Cet affrontement sans merci dans la stratosphère du numérique par le contenu est malheureusement sans incidence majeure car nos deux protagonistes se battent pour à peine 70% du marché de la distribution formelle qui elle-même ne représente qu’environ 20% de la consommation des ménages ivoiriens. La contrefaçon, l’importation frauduleuse, la contrebande, la corruption, les trafics divers contribuent à alimenter la forte concurrence déloyale du secteur informel constitué du boutiquier de quartier, de l’étal du marché, de la superette de l’allogène du village.

Il advient donc dès lors qu’il y a une impérieuse nécessité de revoir le contenu de l’offre informationnelle de nos deux protagonistes afin de réaliser une nouvelle cartographie, un nouveau ciblage et surtout une potentialisation plus efficiente afin de prendre de nouvelles parts de marchés et permettre à la majorité des Ivoiriens de pouvoir accéder à leurs offres. Cela pourrait passer par des campagnes de sensibilisation contre les dangers de la contrefaçon et/ou des produits périmés, des offres beaucoup plus ajustées aux campagnes notamment des ventes foraines et gastronomiques, des actions RSE en faveur d’infrastructures économiques ou d’œuvres caritatives locales et enfin une véritable guerre des prix défiant toute concurrence permettant aux acteurs de l’informel de s’y approvisionner en grande partie.

Cette forte belligérance qui traduit le dynamisme du secteur et du pouvoir d’achat, pourrait à la fois profiter à ses acteurs, aux consommateurs et à l’État pourvu que chacun y mette du sien et joue sa partition dans le contenu de l’information distillée.

 

Moustapha Diaby Kassamba
Auditeur de la 37ème promotion MSIE