La guerre de l’information autour de la quatrième année d’internat de médecine générale

« La dernière année du diplôme d’études spécialisées de médecine générale est effectuée en stage, sous un régime d’autonomie supervisée par un ou plusieurs praticiens, maîtres de stage, des universités agréés, dans des lieux agréés en pratique ambulatoire dans lesquels exercent un ou plusieurs médecins généralistes et en priorité dans les zones mentionnées au 1° de l’article L. 1434-4 du code de la santé publique. » Article 37 LFPSS 2023 (I)

Le 20 décembre 2022, à la veille des fêtes de fin d’année, la Direction de la Sécurité Sociale annonce, sur Décision du Conseil Constitutionnel, son Projet de loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2023. Ce projet de loi comprend la validation d’une quatrième année d’internat de médecine générale pour les nouvelles promotions d’internes dès la rentrée 2023(II). Le projet est validé en force par 49.3. Décision d’envergure dissimulée dans une série d’innovations moins structurelles, la validation d’une quatrième année de Diplôme d’études spécialisées (l’internat de médecine) de médecine générale apparaît comme une ultime tentative de sauvetage du soin libéral. Matière première du système hospitalier, pilier de « l’état d’urgence sanitaire » pendant la crise du COVID-19, l’interne est l’atout de la Santé française.

L’information apparaît dans les dernières lignes du communiqué officiel entre l’annonce de l’élargissement des critères de prise en charge de la contraception d’urgence sans prescription en pharmacie et le paragraphe actant la prolongation, pour un an, de l’expérimentation du cannabis à usage médical que les pharmaciens pourront délivrer en substitution médicamenteuse.

"L'article 37 porte à quatre années la durée du troisième cycle des études de médecine pour la spécialité de médecine générale et prévoit que la dernière année est effectuée sous forme de stage. Eu égard au nombre d'étudiants concernés par cette mesure dont la rémunération est assurée par l'assurance maladie, ces dispositions trouvent leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale et ont été adoptées selon une procédure conforme à la Constitution. » (III)

Quelques jours plus tard, et alors que les médias brandissent à nouveau le sensationnel (et ô combien vendeur) déclenchement imminent du Plan Blanc national, c’est, sans surprise, à l’hôpital public que le président Emmanuel Macron décide de débuter sa tournée de voeux présidentiels. Hasard du calendrier parlementaire, la validation du projet de loi de finance de la Sécurité Sociale 2023 étant passée sous les radars des fêtes de fin d’année, occultée de surcroît par le traditionnel (mais toujours imprévisible) épisode de grève du rail pour Noël, il convenait effectivement de revenir plus en détails sur les décisions politiques dans le domaine.

Forces en présence

La bataille informationnelle a ainsi opposé Le ministère de la Santé aux syndicats d’internes en médecine générale, au syndicat national des jeunes médecins généralistes de France (SNJMG) et aux syndicats de médecins généralistes solidaires de leurs jeunes confrères. Dès 2017, une quatrième année d’internat de médecine générale apparaît dans les tiroirs des services de l’Etat. C’est donc 5 ans après l’ébauche de ce projet que le texte a été étudié puis validé par le gouvernement d’E.Borne (IV). En pleine crise de l’hôpital et des déserts médicaux, les internes en médecine générale et la « communauté des soignants » au sens large (même si de communauté unie il n’y a pas vraiment, nous le verrons ensuite) n’ont pas été entendus.

Une bataille communicationnelle asymétrique

Les arguments officiels invoqués en faveur du prolongement d’une année du troisième cycle d’études de médecine générale sont 1 « l’enrichissement de la formation des futurs médecins » et  2 la découverte de « communautés territoriales de santé ».

Intéressons-nous d’emblée à ce dernier élément. Nouvelles chimères de l’innovation gouvernementale en matière de soin libéral, les communautés territoriales de santé suscitent un rejet quasi général de la part des soignants. Elles ne sont toujours pas mises en oeuvre et visent, pour rappel, à regrouper/distinguer sous forme d’îlots régionaux les différents exercices du soin libéral. L’idée est celle de la spécialisation médicale par territoire afin de faire naître puis d’entretenir chez les professionnels de santé des spécialisations locales. L’effet final recherché est l’amélioration de l’offre de soin dans une logique capacitaire d’économies d’échelle (médecine de l’adolescent dans telle maison de Santé, médecine pour les séniors dans telle autre).

Derrière la volonté soudaine de perfectionnement de la formation des jeunes médecins et cette créativité sémantique sans saveur, on comprend aisément que c’est bien la thématique sous-jacente des déserts médicaux qui est en jeu sans jamais être clairement énoncée. Symbole de l’effondrement du système de santé en général et de la médecine libérale en particulier(I), le désert médical est pourtant bien le résultat incontestable d’une absence de vision stratégique de long-terme et d’une incapacité gouvernementale à mettre en oeuvre des décisions politiques fortes. Prévoir n’est pas anticiper.

L’ambition d’une 4ème année d’internat de médecine générale est ainsi portée au deuxième plan des mesures phares de la LPFSS 2023 dans le paragraphe « Améliorer l’Accès à la santé » (la première mesure étant le renforcement du virage préventif, mieux vaut prévenir que guérir). Il s’agit pour les parlementaires de « simplifier et de renforcer la coordination et l’installation des professionnels de santé ».

A la lecture du communiqué du 20 décembre 2022 entérinant cette proposition, la volonté d’une 4ème année d’internat s’explique en premier lieu pour le gouvernement par une ambition de renforcement de la formation des jeunes médecins avec la création d’un statut de médecin Junior. Rappelons sans détour que les internes, dès leur sixième année de médecine générale effectuent leurs consultations et prescrivent de manière autonome. Théoriquement faux, ce constat est malheureusement vrai car aucune vérification n’est possible de la part des praticiens seniors (taux d’encadrement trop faible, impossibilité logistique, tensions horaires). La volonté gouvernementale se heurte ici à un dur principe de réalité. De plus, un interne en première année peut obtenir une licence de remplacement de médecine générale dès la validation de son premier semestre de médecine ambulatoire chez un praticien libéral. Considéré médecin il n’est simplement pas docteur, c’est-à-dire « thésé ».

Pour aller plus loin dans l’analyse de la stratégie communicationnelle du gouvernement, reprenons le communiqué d’annonce du 25 septembre 2022 (V) :

« la médecine générale est la seule spécialité médicale à n’avoir que trois années d’internat, sans la phase de consolidation qui définit le statut dit de « docteur junior », au cours de laquelle les futurs praticiens peuvent exercer en autonomie supervisée. Cette absence de phase de consolidation est considérée comme une faiblesse, qui ne favorise pas une installation immédiate en sortie de cursus ».

Qualifiée d’offensive, la communication du gouvernement est ici bel et bien mensongère, l’absence de statut « Junior » et de 4ème année de consolidation ne remet absolument pas en cause les 3 premières années d’études spécialisées au cours desquelles le jeune médecin exerce déjà, en autonomie, ou non ! Enfin, aucune étude ne vient prouver, ni même étayer la dernière phrase de cette citation quand on sait d’ailleurs que plus de 70% des jeunes diplômés ne souhaitent pas s’installer dans les 2 années qui suivent l’obtention de leur diplôme.

Énième argument du gouvernement, aussi pertinent qu’indiscutable : la spécialité de médecine générale est la seule qui s’effectue en trois contre 4 pour la majorité des autres spécialités. Il s’agit donc de réduire les « inégalités » entre jeunes médecins dans leurs parcours. (V) La mesure n’est en fait qu’une simple réduction des discriminations. Comment s’y opposer ?

Dès septembre 2022, dans le communiqué d’annonce du projet de loi finance, la proposition est habilement affiliée à la volonté présidentielle. Ainsi, « conformément aux engagements pris par le président de la République », la proposition d’ajout d’une 4ème année d’internat de médecine prend une tournure incontestable et finalement bien naturelle de par sa filiation élyséenne.

Enfin, nous l’avons évoqué plus haut, le calendrier de l’annonce ne peut être qu’un choix stratégique. En pleine crise nationale, une réforme complète du système médical apparaît à l’opinion publique comme résolument nécessaire. Qui viendra contester ce projet et défendre de futurs médecins libéraux « privilégiés » au capital sympathie bien mince et bientôt au sommet de la chaîne alimentaire en blouse blanche ?

Une contestation décousue et sans résonance. Un combat inégal et perdu d'avance

La communication aussi fragile qu’inaudible des internes est un élément à souligner immédiatement dans l’analyse de cette lutte informationnelle. Le deuxième argument en défaveur du camp médical est celui de la (trop) forte segmentation des professionnels de santé. A aucun moment depuis la rentrée 2022 et l’annonce officielle du projet de loi, l’opinion publique a pu observer une quelconque union médicale ou convergence des luttes entre les différents acteurs du monde de la Santé, en particulier du monde hospitalier en soutien du monde libéral. L’ouvrier ne manifeste plus aux côtés du professeur, l’aide-soignant ne se mêle pas au jeune médecin.

Ensuite, soulignons les difficultés structurelles auxquelles fait face la « stratégie » de communication des internes. Ces derniers souffrent bien souvent d’une image d’étudiants ultra-privilégiés dans l’imaginaire collectif. C’est ici l’idée de la condamnation immédiate d’une médecine libérale trop « libérale ». Rappelons pourtant qu’un interne se forme essentiellement à l’hôpital lors de ses deux premières années de DES (Diplôme d’études spécialisées) . Il y travaille 60 à 80 heures par semaines en étant payé entre 1400 et 1800 euros / mois. En effet, en 2ème année d’internat, la rémunération brute annuelle d’un jeune médecin s’élève à 20 450 (18 493,76 avant le 1er novembre 2020), en 3ème année, 27 042 (25 653,56 avant le 1er novembre 2020) (VI).

Les enjeux financiers d'une telle mesure gouvernementales : Les raisons de la colère face aux raisons de la réforme

L’idée est ici de souligner le mécanisme d’économies mis en œuvre par la sécurité sociale. Les économies sont en fait réalisées par l’Etat et l’hôpital public en préférant le soin libéral ambulatoire au soin hospitalier, beaucoup plus couteux par son fonctionnement. L’intention est également de profiter des facilités relatives de mise en œuvre des politiques de soin libéral en termes de délais et de calendrier, une politique hospitalière offrant moins de souplesse structurelle et nécessitant donc une vision à plus long-terme (équipement, investissements lourds etc.).

Cette décision permet aussi de substituer pour la sécurité sociale le coût d’un médecin généraliste face à celui d’un interne en 4ème année. Dans le cadre de sa 4ème année, le médecin junior permettra à son médecin tuteur de toucher l’essentiel des montants de consultations. Considérons ici l’interne comme la main d’œuvre low cost, plastique et agile du système médical. On pourrait multiplier ainsi les métaphores. Retenons seulement que le jeune interne si autonome et responsable en hospitalier lors de la crise COVID, ne le serait pas assez aujourd’hui en libéral.

Les conséquences d'un combat informationnel improvisé

Une communication gouvernementale forte contre des étudiants médecins isolés, mal perçus et sans résonance publique, il s’agit ici d’un cas classique d’encerclement cognitif par la sphère politique. Le narratif de l’Etat, soutenu par ailleurs par des médecins généralistes seniors installés (et dans l’impasse), est rôdé. Alors qu’une réforme du système de la médecine libérale est nécessaire pour contrer la désertification médicale de notre territoire, l’interne en médecine, main d’œuvre « bon marché » de la sécurité sociale, est enfermé dans son rôle de variable d’ajustement tout autant que dans la communication gouvernementale et le court-termisme structurel de notre pays.

Les enseignements à tier pour mener une guerre de l’information par le contenu :

. L’union fait la force (Les principaux concernés par ce conflit n'ont pas assez pris en compte les contradictions voire les oppositions des différents corps du personnel hospitalier)

. Gagner les cœurs plus que les esprits : entretien primordial du capital sympathie dans toute lutte idéologique auprès de l'opinion publique. Le narratif était trop centré sur des logiques d'intérêt et pas assez sur la santé comme nouveau besoin vital, c'est-à-dire une nouvelle approche qui doit dépasser les postures traditionnelles dans lesquelles s'enferme encore trp le crops médical.

. Nécessité d’expliquer une réalité bien plus profonde que la communication d’Etat pour rompre un encerclement cognitif classique. Le corps médical est trop enfermé dans son coeur de métier. Les plus déterminés doivent se familiariser avec les techniques de rpise de parole sur les réseaux sociaux et apprende à trouver des points d'appui cognitifs hors de leur milieu traditionnel d'expertise.


Auditeurs de la 41ème promotion MSIE de l'EGE

 

Sources

L’Etat des lieux de la médecine générale

Communiqué de Presse ANEMF

Assemblée nationale Article 37

Communiqué gouvernemental Loi de Financement Projet de Sécurité Sociale

Conseil Constitutionnel

Les revendications des internes

Communiqué de Presse

Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes