La guerre de l’information contre le chantier éolien marin de la Baie de Saint-Brieuc

Ce 7 mai 2021 au petit matin, galvanisés par un soutien populaire, plus de soixante navires de pêche fulminent contre le grand projet éolien en mer de la Baie de Saint-Brieuc. Positionnés au pied de la grande plateforme de forage, l’Aeolus, les 300 pêcheurs manifestent leur mécontentement, usant de leurs fusées de détresse.

Dans un contexte de transition énergétique, la France fait le choix de mettre en place progressivement des parcs éoliens marins, comme alternative à l’énergie nucléaire. Considérés par le gouvernement comme jouant un rôle majeur dans la stratégie énergétique française, sept projets de parcs éoliens sont en cours sur le territoire maritime français, à savoir Yeu-Noirmoutier, Saint-Nazaire, Saint-Brieuc, Courseulles, Fécamp, Dieppe-Le Tréport et Dunkerque. Néanmoins, la politique qui jaillit autour du chantier de la Baie de Saint-Brieuc, nécessite une attention toute particulière du fait de ses conséquences environnementales, économiques, politiques et sanitaires. D’ici 2023, les habitants de la côte pourront observer soixante-deux éoliennes de 205 mètres de haut, sur une surface de 75 kilomètres carrés.

Les enjeux sont tels que d’importantes rivalités règnent entre le gouvernement français, la société Ailes Marines, en charge du chantier éolien marin de la Baie de Saint-Brieuc, et le Comité des pêches des Côtes-d’Armor, le Comité départemental des pêches maritimes et élevage marin (CDPMEM) ainsi que la grande majorité des habitants de la côte.

Alors que l’objectif premier des énergies renouvelables est de palier aux incertitudes des autres énergies fossiles, destructrices de notre environnement, il semblerait que ce chantier soulève de nombreuses difficultés. Ainsi, il semble délicat de comprendre comment le gouvernement français laisse persister un tel projet, notamment quand les premiers retours du chantier paraissent en totale contradiction avec les objectifs de cette lutte.

Les associations écologistes telles que Greenpeace et Sea Shepherd ainsi que les Comités de pêches mènent depuis 2011 une vraie guerre de l’information contre le gouvernement français et la société Ailes Marines. Par leurs nombreuses dénonciations et par les différents recours juridiques engagés, les acteurs anti-éoliens tentent de lutter avec force contre ce chantier en cours depuis le 3 mai 2021.

Dix ans après le premier appel d’offres lancé par l’État français pour la construction du parc éolien marin de la Baie de Saint-Brieuc, les pêcheurs démontrent encore aujourd’hui leur mécontentement et leur résistance face à ce projet d’envergure. Pour désavantager les acteurs pro-éoliens, les pêcheurs font connaître, via les médias, les désastres du chantier sur tous les plans.

Une sensibilisation aux nuisances de l’écosystème marin

Les travaux engagés dans la Baie de Saint-Brieuc ont avant tout, un impact sur les sols marins. Une mauvaise analyse et des tests plus ou moins approfondis ont mis la société Ailes Marines dans une situation particulièrement délicate ces derniers mois. En tentant en vain de forer un des sols les plus durs d’Europe, ce dernier a dû interrompre à plusieurs reprises l’avancement des travaux pour réparer l’Aeolus, la plateforme de forage. D’une part, les analyses réalisées au préalable auraient dû démontrer qu’il était impossible de forer à un tel endroit. De ce fait, les multiples tentatives de forage ont provoqué des dégâts sur le navire de la société Van Oord le 14 juin 2021 provoquant une fuite d’huile de 100 litres, selon le communiqué de la Préfecture maritime de l’Atlantique. De ce fait, le préfet des Côtes d’Armor a autorisé, sous la demande d’Ailes Marines, le forage un peu plus au large.  C’est seulement vingt-quatre heures plus tard que ce dernier obtient l’autorisation de forer plus loin, dans un sol plus accessible. Néanmoins, les maires de Pléneuf et d’Erquy, ne semblent pas avoir eu l’occasion de participer à une telle décision. Cette succession d’évènement démontre la position de faiblesse de la commune face à des acteurs puissants économiquement et politiquement.

D’autre part, il semblerait qu’un tel chantier nuise fortement à la biodiversité. En effet, le 23 octobre 2015 la société Ailes Marines, a soumis une demande au Préfet des Côtes d’Armor, Pierre Lambert, « d’autorisation de construire, exploiter et démanteler le parc mais également des dérogations pour la destruction et la perturbation intentionnelles d’espèces protégées pour 54 espèces d’oiseaux, 5 espèces de mammifères marins et pour la destruction de leurs habitats ». Bien que la demande semble surprenante il n’en est pas moins de la réponse accordée par Yves Le Breton, successeur de Pierre Lambert, en 2017, qui accorde son autorisation à Ailes Marines. Plus étonnant encore, c’est sous l’aval de la ministre de l’Écologie, Madame Ségolène Royale, que la société Ailes Marines obtient cette autorisation.

De plus, ce rapport de force se fait constater également dans les nuisances causées envers la pêche des ressources halieutiques. En effet, la pêche est la première économie atteinte par le chantier éolien de la baie. Sur ce plan, les acteurs anti-éoliens dénoncent la problématique des nuisances sonores pour l’environnement aquatique perturbant fortement l’écosystème marin.

Les scientifiques ont remarqué que les vibrations causées par la plateforme de forage engendraient une mutation de celui-ci. De nouveaux mammifères marins viennent se greffer aux fixations des éoliennes pour développer leur reproduction. Ainsi, ce mouvement viendrait changer en profondeur le fonctionnement de l’écosystème actuel. Alors que les manifestants dénoncent le désastre que cause le chantier pour ces derniers, les scientifiques semblent démontrer que les vibrations causées par la foreuse ne les impactent pas. Mieux encore, l’introduction dans la baie de nouveaux habitats et par conséquent, la baisse temporaire de la pêche favoriserait la reproduction des espèces.

Alors que la baie abrite la plus grande réserve naturelle de Bretagne, intégrée dans le réseau Natura 2000, la France semble sous-estimer les conséquences environnementales de telles décisions. Ainsi, les associations Sea Shepherd et Gardez les caps se sont engagées dans une opération de diffusion d’un tel scandale.

Une guerre informationnelle bâtie sur une forte médiatisation du scandale

Entre communiqués de presse, campagnes, affiches et opérations en mer, l’association de défense des océans Sea Shepherd s’engage dans une guerre de l’information acharnée contre les décisions des acteurs pro-éoliens sur le chantier de Saint-Brieuc. L’ONG dénonce que « tous les projets français d’éolien en mer sont en contradiction avec les politiques de protection de l’environnement marin ».

Les ONG qui luttent contre ce projet ont engagé une communication de masse sur les réseaux et ont réalisé des interventions chocs pour déstabiliser à la fois l’opinion publique et la crédibilité des acteurs pro-éoliens. En effet, au travers de tous les différents moyens de communication, elles tentent en vain de sensibiliser la population et l’échiquier politique aux causes environnementales et animales, dont nuisent les éoliennes marines.

De plus, dans un contexte de transition énergétique et dans un contexte où la population devient de plus en plus soucieuse de l’environnement, quoi de mieux pour les anti-éoliens de marquer des points d’arrêt sur ces causes non respectées par le futur parc éolien marin, notamment en touchant les attentes légitimes de la société civile. Néanmoins, cette guerre de l’information parait unilatérale. En effet, les associations de défense de l’environnement et les comités luttant contre le chantier éolien en mer de Saint-Brieuc diffusent une forte communication sur tous les plans pour déstabiliser l’adversaire et affaiblir sa réputation.

Les pro-éoliens optent pour une stratégie de défense plus discrète, en gardant le silence contre les revendications des anti-éoliens, démontrant ainsi leur force et leur certitude dans la réalisation de ce projet offshore. Le gouvernement français ainsi que toutes les sociétés en charge du chantier détiennent une forte capacité à résister à la communication de masse délivrée par les anti-éoliens à leur encontre. 

Le maintien de la position de force des pro-éoliens

Bien que les ONG tentent en vain de lutter contre ce type de projet à grande ampleur, il n’en reste pas moins que la France se trouve dans un contexte où la transition énergétique prime. Un mouvement de reconsidération de notre consommation énergétique s’est ainsi mis en place. En 2015, les États se sont réunis lors de la COP21 pour discuter des problématiques liées au changement climatique. C’est dans un objectif de réduction des émissions de CO2 dans le monde, que pour ces mêmes raisons, la COP26 s’est organisée en novembre 2021. Dans ce contexte et alors que le projet éolien marin de la Baie de Saint-Brieuc avance « à grande vague », le recours à l’énergie éolienne semble pour le moins le plus adapté. Or, malgré les alertes, les problématiques dénoncées par les anti-éoliens, notamment sur les conséquences environnementales, paysagères, animalières et économiques, le gouvernement français et la société Ailes Marines mènent cette guerre économique, la tête haute. En effet, les sociétés en charge du chantier sont soutenues économiquement par le gouvernement français à la différence des ONG anti-éoliennes qui trouvent leur financement dans les cotisations.

Malgré la lutte acharnée contre le chantier éolien offshore de la Baie de Saint-Brieuc, les pro-éoliens maintiennent leur position de force. En effet, la succession des mandats présidentiels de Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron autorisant tous les trois le chantier du parc offshore, renforce la légitimité de la société Ailes Marines. Alors que la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili considère que ce projet est « une chance pour le climat, pour la Bretagne », d’autres considèrent que c’est un « saccage environnemental ».  La surdité de l’État favorise la continuité du chantier et par conséquent, elle favorise également la stratégie d’influence d’Ailes Marines sur les manifestants.

Par ailleurs, les recours juridiques menés contre ce chantier, ne semblent pas susciter l’inquiétude des acteurs pro-éoliens, et ce malgré la multiplicité des recours. En effet, le Conseil d’État a commencé par rejeter le 2 décembre 2020, le recours en annulation de l’autorisation d’exploitation du parc éolien marin en mer de Saint-Brieuc. L’association de protection de l’environnement Gardez les caps et la société Nass & Wind souhaitaient voir ce projet annulé au motif que l’appel d’offres n’avait pas été respecté. En effet, en 2012, la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE), chargée d’évaluer les offres en fonction des critères des cahiers des charges, avait positionné la société Nass & Wind en première position. Insatisfait, le gouvernement français souhaite que les cinq parcs éoliens en projet soient réalisés par différentes entreprises, le gouvernement nomme la société Ailes Marines, en charge du projet éolien de la Baie de Saint-Brieuc.

Le gouvernement français s’attire les foudres des associations et des comités des pêches. La justice, qui ne voit aucun inconvénient dans la continuation du chantier, prend le soin d’indemniser la société Nass & Wind, perdante du contrat à hauteur de 2,5 millions d’euros en réparation du préjudice causé « par l’irrégularité de la procédure d’appel d’offres ».  

A la suite à la décision du Conseil d’État, le Parquet National Financier ouvre une enquête préliminaire en septembre 2021. C e dernier a été saisi par le Comité des Pêches des Côtes d’Armor pour « recel et délit d’atteinte à l’égalité des candidats dans les marchés ». Parallèlement, ce même comité a déposé deux recours devant le tribunal administratif de Rennes, pour suspendre et annuler l’arrêté préfectoral qui réglemente la navigation pendant les travaux. Or, il s’avère que le comité perd une fois de plus alors que le parc éolien offshore se retrouvera au centre du plus grand gisement de Coquilles Saint-Jacques de France d’ici 2023, rien ne semble perturber la position arrêtée des pro-éoliens qui demeurent en position de force grâce au soutien politique et juridique dont ils profitent.

Ainsi, en communiquant tels qu’ils l’ont fait, les associations en charges de la préservation de l’environnement tentent avec conviction de percer les secrets les mieux gardés. La guerre à l’information semble être l’unique levier pour contester un projet qui selon eux, affecte plus que tout notre quotidien et celui de la biodiversité marine. Cependant, le travail acharné, réalisé par les anti-éoliens ne semble pas remettre en question la continuation du projet. Au contraire, ce virulent rapport de force ne prévoit pas de s’arrêter de sitôt. En effet, la situation actuelle de la Baie de Saint-Brieuc n’est pas unique. Le gouvernement prévoit de faire construire d’autres parcs éoliens offshore, les uns plus contestés que les autres, notamment au large d’Étretat, ce petit coin de paradis, bientôt dénaturé par des objectifs controversés.

Pauline Antoine
étudiante de la formation initiale SIE25