La guerre de l’information menée par Washington contre Huawei a affaibli durablement le géant chinois des télécommunications

La libération de Meng Wanzhou, fille du patron de Huawei et directrice financière de l’entreprise, a marqué vendredi 24 septembre une nouvelle étape dans l’affrontement opposant la firme au gouvernement américain. Près de trois ans après le début d’une crise majeur ayant initié une série de scandales liés au champion des télécommunications chinois, la fille de Ren Zhengfei a finalement repris l’avion pour la Chine. Si ce dénouement ne signifie pas pour autant l’apaisement des relations entre la Chine et les États-Unis, il marque en revanche une victoire partielle des Etats-Unis quant à la guerre économique, commerciale et informationnelle initiée sous l’administration Trump. A fortiori si l’on considère l’impact qu’elle a eu sur les résultats financiers de Huawei, ou encore sa perte de leadership dans le secteur des télécommunications. L’enjeu est pour le moins de taille : le pays qui dominera le développement des infrastructures 5G sera capable d’imposer ses normes, ses brevets et l’ensemble de la chaîne d'approvisionnement à l’échelle mondiale. En somme, les systèmes de télécommunications représentent un véritable outil stratégique de projection offensive de puissance. L’opposition des deux pays au travers de la question d’un tel leadership constitue ainsi un véritable cas de guerre de l’information, qui semble aujourd’hui avoir porté ses fruits. Retour sur les pratiques et techniques de déstabilisation désormais modus operandi de Washington : l’utilisation de l’arme juridique et l’instrumentalisation de l’argument sécuritaire.

L’utilisation de l’arme juridique : modus operandi des États-Unis face à la menace économique

Pour comprendre la pratique américaine de guerre de l’information, il convient de faire le point non seulement sur le contexte, qui constitue le mobile, mais également sur l’arme utilisée, ici l’extraterritorialité du droit américain. En effet, si la guerre économique opposant la Chine aux États-Unis n’est pas récente, elle a notamment été caractérisée ces dernières années par une course effrénée au leadership mondial sur le secteur des télécommunications. À ce titre, l’arrivée fulgurante du champion chinois sur le marché n’a pas manqué de déstabiliser les institutions les plus enracinées. En rivalisant avec les plus grandes entreprises du secteur, à l’instar de Samsung et Apple en termes de vente de smartphones, ainsi que par son positionnement sur le marché de la 5G, Huawei est même parvenue à déstabiliser le géant américain. Mais dans une logique de perte de vitesse des États-Unis sur les questions des télécoms et de la 5G, Washington a su réagir. Fort et clair. C’est dans ce contexte que s’inscrivent les tentatives de discrédit et de déstabilisation, désormais emblématiques, à l’encontre de la marque.

L’arrestation de Men Wanzhou dans la crise majeure imposée par Washington 

Le 1er décembre 2018, Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei et fille du patron du géant chinois Ren Zhengfei, est arrêtée par les autorités canadiennes à la descente de son avion à Vancouver. Elle est notamment accusée d’avoir menti au sujet de l’implication de Huawei dans le contournement de sanctions d’entreprises iraniennes, au travers de l’entreprise Skycom, et d’avoir ainsi tenté de contourner l’embargo américain sur l’Iran. Elle est donc arrêtée à la demande de la justice américaine, non seulement pour fraude fiscale et tentative d’évitement de sanctions imposées par l’extraterritorialité du droit américain, mais également pour complot avec pour but de dérober des secrets commerciaux. Nicole Boeckmann, procureure du district oriental de New York, dénonce alors un « effort concerté pour tromper les institutions de financement mondiaux, le gouvernement américain et le public sur les activités de Huawei en Iran »

Instrumentalisation de l’extraterritorialité du droit américain

Dans le cas de l’arrestation de Meng Wanzhou, ce sont des omissions lors d’une présentation à la banque HSBC en 2013 au sujet de la réalité du contrôle de Skycom (qui est une société iranienne), afin de ne pas endommager la relation avec la banque, qui a constitué le déclencheur de la procédure. Cette fois encore, c’est l’utilisation du dollar dans les transactions avec Skycom qui a permis aux États-Unis d’utiliser les lois d’extraterritorialité. Vendredi 24 septembre, cette situation a finalement connu un semblant de dénouement : a été signé un accord avec le département de la justice américaine, dans lequel la directrice financière de Huawei admet avoir menti au sujet des affaires menées par l’entreprise en Iran. Elle a donc été relâchée après presque 3 ans de détention, à la suite d’une longue audience donnée par le tribunal fédéral de Brooklyn. En vertu de l’accord, Meng a accepté de plaider coupable, et ne sera donc pas poursuivie par les autorités américaines (les accusations devraient être définitivement rejetées en décembre 2022). Deux heures plus tard, les autorités chinoises ont elles aussi relâché les deux Canadiens détenus dans le pays, elles qui avaient si farouchement nié tout lien entre l’arrestation des deux canadiens en Chine et l’arrestation de Meng Wanzhou. Ceux qui étaient perçus comme de véritables otages sont donc rentrés auprès de leur famille, clôturant un premier chapitre au paroxysme de tension entre la Chine et les États-Unis.

L’instrumentalisation de l’argument sécuritaire dans la guerre commerciale contre Huawei et la Chine

L’arrestation de Mme Meng n’était que le début d’une longue liste de déboires subis par Huawei. La chronologie des sanctions infligées par Washington, suivie par les décisions de nombreux pays de l'Union européenne et par le Royaume-Unis au sujet de renoncer - totalement ou partiellement - aux équipements Huawei, sont par ailleurs particulièrement révélateurs du succès de la partie engagée par les États-Unis. Les raisons citées par le gouvernement américain sont majoritairement sécuritaires : Washington pointe du doigt le risque de « portes dérobées », ou « backdoors » en anglais, qui constitueraient un risque pour la confidentialité des données des citoyens américains. En effet, le flou - volontaire ou involontaire - entourant la relation entre le gouvernement chinois et Huawei constitue selon l’administration Trump un véritable risque d’espionnage.

L’instrumentalisation de l’argument sécuritaire sous l’administration Trump

Ce sont donc les deux secteurs clés de Huawei qui ont été touchés : d’une part, la vente de smartphones, qui constitue la majorité de son chiffre d’affaires, et d’autre part le développement de la technologie 5G. Le 15 mai 2019, le département du Commerce des États-Unis a en effet placé Huawei sur la « Entity List », véritable liste noire commerciale, et ce moins de 6 mois après l’arrestation de Meng à Vancouver. Celle-ci interdit aux entreprises américaines de vendre de la technologie sensible aux entreprises citées, sauf en cas de dérogation. Cela signifie pour Huawei la perte de sa licence Android, système d’exploitation utilisé jusque-là par le fabricant, mais également la fin de nombreuses applications américaines majeures sur les téléphones Huawei. Le 17 novembre 2020, Huawei a donc été contraint de vendre sa marque d’entrée de gamme Honor afin de retarder les pénuries de stocks, cédant ainsi un peu plus sa place en tant que leader des ventes de smartphones. En effet, la marque représentait début 2019 37 % des ventes du groupe chinois. L’entreprise n’est pas non plus parvenue à reconstituer parfaitement une ligne d’approvisionnement de semi-conducteurs, et pour cause : depuis le 15 mai 2020, toute entreprise américaine ou non a pour interdiction de vendre des semi-conducteurs à Huawei, dès lors qu’elle utilise des technologies américaines. Trois mois plus tard, y étaient ajoutées à cette liste les trente-huit filiales de Huawei, afin que l’entreprise ne puisse pas contourner ces restrictions via ses partenariats industriels.

Les conséquences de l’attaque informationnelle menée contre Huawei

Dans cette affaire, la force des États-Unis a notamment résidé dans sa disposition à convaincre de nombreux pays de renoncer à l’équipementier chinois, et ce malgré les avantages techniques et économiques qui sont sont propres à ce dernier. Pour prendre la France comme exemple, le décret de décembre 2019 d’application de la loi « anti-Huawei », n'exclut  pas Huawei, mais confie à l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) le soin d’autoriser au préalable toute commande d’équipements 5G par les opérateurs. De son côté, le gouvernement italien a lui aussi publié ses recommandations concernant le géant chinois, qui soulèvent les risques qui lui sont incombés. Ajouté à cela la perte du marché britannique, les restrictions en Allemagne, ou encore le bannissement de l’entreprise en Suède, Huawei est donc exclu de son principal marché après la Chine. Cette situation constitue donc une véritable menace pour la vente de ses smartphones. Par ailleurs, elle est parvenue à porter atteinte non seulement à la réputation de la marque, mais également à la position de leader de Huawei dans le processus de développement de la 5G dans le monde.

Finalement, la chute du chiffre d’affaires de Huawei dans la vente de smartphones, qui représente la majeure partie de l’activité du géant numérique, est la conséquence directe des pratiques des États-Unis. Le vendredi 6 août 2021, Huawei publiait son rapport annuel et annonçait une forte chute de son chiffre d’affaires : une baisse de près de 30% par rapport à l’année précédente au même moment, soit un recul du chiffre d’affaires de près de 60 milliards d’euros à 42 milliards d’euros. La branche du groupe spécialisée dans les produits de consommation a elle reculé de 47% en un an, elle qui était passée leader mondial de la vente de smartphones en juillet 2020, devant Samsung. En quelques années, les attaques informationnelles et juridiques ont donc su donner un coup d’arrêt brutal à l’activité de Huawei.

La guerre de l’information comme principal levier de l'opposition entre la Chine et les États-Unis

La guerre de l’information menée par Washington a été un élément décisif dans la guerre économique l’opposant à la Chine. Dans cette guerre, les États-Unis ne se sont en effet pas uniquement protégés de Huawei, mais ont agi de sorte que le géant chinois soit dans l’incapacité d’imposer ses équipements aux membres de l’Union européenne et au Royaume-Uni. Il ne s’agit donc pas uniquement de protéger les acteurs de la 5G américaine, mais bien d’empêcher la Chine de poursuivre dans sa domination sur la question des technologies du futur, et ce en considérant que les risques que Huawei fait peser sur certains pays sont également des risques pour les États-Unis. Ces pratiques ne sont en outre pas sans rappeler l’affaire Alstom, lors de laquelle Frédéric Pierucci avait lui-même été arrêté au cours d’une escale entre deux vols. Et les similitudes entre les deux affaires ne s’arrêtent pas là : l’extraterritorialité du droit américain avait constitué, là encore, un élément décisif dans la guerre économique menée contre le groupe français.

En définitive, l’arrivée de Biden au pouvoir ne signifie pas pour autant un apaisement des tensions. La création de l’entente tripartite AUKUS et le ravivement de l’alliance du Quand fait néanmoins penser à un changement de dynamique : si l’administration Trump avait malmené Huawei à coup de sanctions et d’attaques pour le moins directes, l’administration Biden semble quant à elle plus friande de collaborations et coalitions en tous genres dans sa tentative d’endiguement de la puissance chinoise. Le Japon aurait lui-même annoncé, dans un projet de loi fin septembre, entendre désigner la Chine comme « ennemi numérique ». On peut même lire dans la foulée du texte la volonté du pays de renforcer sa collaboration avec, entre autres… les États-Unis et l’Australie.

Le récent succès rencontré par les Etats-Unis dans leurs manœuvres de déstabilisation de Huawei, géant chinois des télécommunications, témoigne indubitablement de l’efficacité des pratiques de Washington. L’usage offensif du droit, au travers de l’extraterritorialité de la législation américaine, couplé à l’instrumentalisation de l’argument sécuritaire, est parvenu non seulement à endiguer la poussée du géant chinois, mais également à le faire reculer. La force de la pratique américaine réside dans sa capacité à convaincre de nombreux pays à renoncer à l’équipementier Huawei, et ce en dépit de son extrême compétitivité sur les plans techniques et économiques.

Anna De Castro,
Etudiante de la 25ème promotion SIE

Sources

  1. Chine : pourquoi Huawei est au cœur des tensions avec les États-Unis (17 décembre 2018), Asialyst. 
  2. Affaire Huawei : abandon des poursuites, Meng Wanzhou libérée. (25 septembre 2021), Courrier international.
  3. Huawei CFO Wanzhou Meng Admits to Misleading Global Financial. (24 septembre 2021), United States Department of Justice.
  4. Williams, R. D. (30 octobre 2020). Beyond Huawei and TikTok : Untangling US concerns over Chinese tech companies and digital security. Brookings.
  5. Donnet, P.A. (26 septembre 2021). Affaire Huawei : Washington libère Meng Wanzhou, Pékin relâche les deux Canadiens. Asialyst.
  6. Le chiffre d’affaires de Huawei en recul, conséquence des sanctions des Etats-Unis toujours en vigueur. (6 août 2021). Le Monde.
  7. Fagot, V. (4 août 2021). Ventes de smartphones : la dégringolade de Huawei se poursuit. Le Monde.
  8. Joux, A. (6 septembre 2021). Huawei, symbole d’une nouvelle guerre froide. La REM - revue européenne des médias et du numérique.
  9. U.S. Export Restrictions on Huawei : Timeline of Events and Latest Updates. (1 mars 2021). Miller Proctor Law.
  10. Afp, L. F. A. (25 septembre 2021). Biden cherche à raviver le « Quad » , l’alliance avec l’Inde, le Japon et l’Australie. Le Figaro.