La guerre de l’information sur les laboratoires d’armes biologiques en Ukraine

Très lucratif, le secteur des biotechnologies est également stratégique du fait de sa migration aisée du civil au militaire. Les innovations y sont ainsi susceptibles de reconfigurer l’échiquier mondial aussi brutalement, voire plus, qu’Internet. Mesurant bien les conséquences de retards en ce domaine, certains gouvernements cherchent des alliances pour gérer leurs dépendances et faire face à une redoutable prédation. De nature politique et militaire, les risques associés aux biotechnologies sont aussi sanitaires, écologiques et éthiques. De quoi créer des tensions, voire la panique dans les sociétés civiles. Que vaut la polémique lancée par la Russie à propos de laboratoires d’armes biologiques sous patronage américain en Ukraine ? Quelle est son influence sur l’opinion en occident ? Que savons-nous des activités de Metabiota et Black & Veatch Special Projects Corp., les sociétés incriminées ?

Spécificité du théâtre ukrainien

Plus de 120 sociétés/start up étrangères de biotechnologies (hors pharma) sont implantées en Ukraine, la plupart américaines. Des millions de dollars y furent investis par les Etats-Unis dans le domaine de la sécurité sanitaire. Pourtant, celle-ci est encore jugée très faible par l’élite scientifique ukrainienne, pour qui la souveraineté sanitaire du pays est aussi un sujet de préoccupation (1).

Publié en 2003, le livre du Président ukrainien Leonid Koutchma intitulé L’Ukraine n’est pas la Russie notamment son premier chapitre « Créer l’Ukrainien » – reste un ouvrage fondamental pour comprendre le conflit actuel : « Le processus de consolidation de la nation ukrainienne est loin d’être achevé. Nous n’avons toujours pas compris qui nous sommes… Parmi mes contemporains, il y en a qui réduisent la recherche de l’identité à la formule « rien comme chez les Moscovites ». Cette voie est complexe et infructueuse » […] « L’indépendance de l’Ukraine est utilisée en diplomatie comme si elle était moins importante pour nous que pour nos partenaires étrangers dans leurs jeux d'alliances – avec la Russie ou contre la Russie… » (2).

Ce constat plante le décor de la guerre cognitive opposant patriotes et nationalistes ukrainiens, russophones de l’est ukrainien et prédateurs extérieurs. Au prix de grandes tensions internes, Kiev vise l’intégration à l’Union Européenne ; mais rien n’est simple sur le terrain : les relations entre la Russie et l’Ukraine étant d’une rare complexité, ce sont les producteurs nationaux qui ont le plus souffert de multiples « va-et-vient », conséquences des guerres commerciales. Echec pour les uns, opportunité pour les autres. Tirant parti des orientations de politique étrangère des Etats-Unis, des entreprises américaines saisirent l’opportunité d’éliminer des acteurs historiques russes du marché ukrainien dans des domaines à fort potentiel. Les Américains savent parier sur le « temps long » et visent des dividendes qui ne sont pas comparables à ceux envisagés par les européens qui se contentent de commercer avec l’Ukraine dans des domaines moins stratégiques.

Il est connu que les entreprises américaines et les agences fédérales travaillent main dans la main, se renforçant mutuellement pour mieux désorienter leurs adversaires. Les premières bénéficient d’une protection efficace aux Etats-Unis et d’un fort soutien étatique à l’étranger. Dans ce cadre, la guerre de l’information autour de la conception d’armes biologiques en Ukraine est aussi un exemple de confrontation idéologique entre Etats.

Contexte et forces en présence

Dès le début du conflit en Ukraine, la Russie accusa le Pentagone de développer des armes biologiques au plus près de ses frontières. C’est en tout cas le raccourci fait dans les médias occidentaux. Cette guerre de l’information autour des activités américaines dans le domaine des biotechnologies se joue en fait depuis plusieurs années déjà dans l’espace post-soviétique, dont l’Ukraine. Mais cette fois, la Russie en quête de soutiens internationaux tenta de donner un écho plus large à ce dossier, notamment en Occident et en Afrique. Le ministre de la Défense russe communiqua lui-même sur le sujet, en incriminant plus particulièrement deux entreprises américaines : Metabiota et Black & Veatch Special Projects Corp. (3). Plus encore, le fils du Président des Etats-Unis fut aussi accusé de trafic d’influence et de corruption.

De leur côté, les Etats Unis usèrent des ressources technologiques, diplomatiques et juridiques à leur disposition pour que le front uni des alliés occidentaux étouffe dans l’œuf la polémique lancée par la Russie, quel que soit le vecteur de communication utilisé.

Le précédent de la réception du vaccin Spoutnik V

La pandémie de COVID-19 a montré la faiblesse de l’Europe, France comprise, face aux sociétés de biotechnologies américaines Pfizer et Moderna, sa dépendance n’étant pas sans conséquences (4). Bien que la Russie ait su produire son propre vaccin, ce dernier n’a jamais été approuvé par l’Agence européenne des médicaments, cela malgré la caution de la prestigieuse revue The Lancet et sa reconnaissance dans plus de 70 pays, majoritairement non occidentaux. Si en janvier 2022, la Therapeutic Goods Administration (TGA)(5) d’Australie reconnut le vaccin Spoutnik V et les personnes vaccinés avec ce produit, elle se garda bien de l’inclure dans sa liste des vaccins recommandés. La réaction des intérêts américains ne tarda pas. Elle prit la forme d’un article dans l’American Journal of Therapeutics (6) mettant en doute le niveau d’efficacité du vaccin russe selon les tranches d’âge des bénéficiaires. La presse française prit le train en marche avec des titres caractéristiques d’une guerre de l’information (7).

C’est dans ce contexte et en plein conflit russo-ukrainien que la Russie développa ses accusations visant des laboratoires américains. L’argumentaire russe s’inscrit dans sa rhétorique pour un monde multipolaire, contre le système monétaire international dollarisé, et surtout de reconquête de son rang sur la scène internationale. En désignant à l’Occident de possibles recherches sur des armes biologiques en Ukraine, la Russie ciblait d’une part l’Etat américain, d’autre part le secteur américain des biotechnologies et son crédit de confiance sur le marché mondial, auprès notamment de nombreux gouvernements.

L’accusation de prédation économique

La Russie accuse depuis plusieurs années les Etats-Unis de prédation économique. Cette accusation est inaudible en Occident. Au-delà des réflexes atlantistes, il apparaît que la concurrence et la conquête des marchés sont dans l’ordre des choses pour les sociétés démocratiques capitalistes, ce qui légitime la démarche américaine. C’est un exemple d’encerclement cognitif par le droit et les valeurs libérales.

Les archipels géopolitiques que sont la Russie et les Etats-Unis mesurent bien la place de la technologie dans leurs dispositifs de dissuasion. La chute de l’URSS détruisit le modèle soviétique de production et de contrôle des connaissances, au bénéfice du modèle américain. Celui-ci a fait ses preuves tout au long de l’histoire du leadership des Etats-Unis. La veille et le renseignement en sont des composantes importantes, qui permettent de court-circuiter tout progrès notable tant chez leurs alliés que chez leurs adversaires, avant une éventuelle captation organisée, y compris des cerveaux, au bénéfice des entreprises et de l’Etat américains.

L’argument de la sécurité internationale

Dans un second temps, la Russie reproche aux Etats-Unis de bafouer la confiance de l’Ukraine, pays jeune et fragile, en abusant de l’argument de la sécurité internationale. Le danger que représentaient les jeunes Républiques post-soviétiques dotées d’armes diverses, instables politiquement et corrompues, aurait dû être éliminé dans le cadre du programme Cooperative Threat Reduction (CTR). Le Biological Threat Reduction Program mis en œuvre par la Defense Threat Reduction Agency (DTRA) en fait partie. Des millions de dollars furent ainsi investis par le Département de la Défense des Etats-Unis dans la reconstitution complète de plusieurs laboratoires gouvernementaux ukrainiens (8), sous-traitée à Black & Veatch Special Projects Corp(9). Au total plus d’une dizaine de laboratoires dont l’Institut vétérinaire de l’Académie Sciences Agro (10) et ses trois laboratoires régionaux (11) sont concernés.

Parmi les nombreux piliers de l’influence américaine dans le viseur russe on trouve le Centre Scientifique et Technologique d'Ukraine (STCU), une organisation intergouvernementale dédiée à la non-prolifération des armes nucléaires, biologiques et chimiques, ainsi que des technologies connexes. Créé en 1993 par le biais d'un traité multilatéral, son objectif était d’employer les scientifiques travaillant à l’époque soviétique dans les domaines nucléaires, biologiques et chimiques, pour faciliter leur reconversion dans des carrières civiles correspondant à leurs domaines d'activité. Le STCU est toujours financé par les Etats-Unis (12), plusieurs agences gouvernementales (défense, santé, agri-agro etc.) accordant des subventions (« research grant ») aux scientifiques et ingénieurs ukrainiens. Un détail intéressant est l’amendement au contrat de coopération signé en 1997, qui accorde un statut diplomatique au personnel administratif et technique de cette institution (13).

La coordination au sein de ce nouvel écosystème est assurée par les sociétés Metabiota et Black & Veatch Special Projects Corp. Elles interviennent à tous les niveaux du contrôle sanitaire et apportent une assistance juridique. A la Maison des Etats-Unis à Kiev, sous couvert d’un groupe de travail du Biological Threat Reduction Program, ces entreprises intègrent progressivement le potentiel technique ukrainien dans l’orbite de l’OTAN, via notamment des research grant du NATO Advanced Study Institute dans le domaine des biotechnologies.

La fin de la souveraineté sanitaire de l’Ukraine

Le troisième volet de l’accusation russe est la destruction des acteurs nationaux et le contrôle du potentiel biotechnologique de l’Ukraine, avec comme résultat la récupération de son marché intérieur, mais aussi la création de facto d’un sous-traitant étranger assurant les étapes les plus coûteuses, chronophages, voire dangereuses des avancées américaines dans ce domaine, sous la direction des entreprises Metabiota et Black & Veatch Special Projects Corp.

Offrant des emplois et un peu de notoriété dans la presse scientifique anglo-saxonne, cette division du travail peut apparaître comme une excellente opération pour les chercheurs ukrainiens. Sur le site de la Librairie National de Médecine (Centre national d’information en biotechnologies), des publications scientifiques non classifiées dévoilent certains thèmes de recherches des laboratoires ukrainiens, financés par des entreprises américaines recevant elles-mêmes des fonds du gouvernement des Etats-Unis (14) dans le cadre de contract vehicles. En résumé, think of it like this: A contract vehicle is a hunting license for industry and a menu for our customers”(15).

La question bioéthique

Le quatrième point de l’accusation russe porte sur la bioéthique : la conquête du marché ukrainien s’est déroulée dans un cadre juridique très permissif, notamment comparé à celui de l’Union Européenne. « L’attrait de l’Ukraine est ses faibles coûts et le fait que ce domaine soit très peu encadré chez nous » (16), confirme Albert Totchilovsky de Biotexcom à Kiev. Certaines sociétés privées y réalisent à bas coûts des transactions (type mère porteuse), recherches et essais cliniques parfois interdits ailleurs pour des questions d’éthique ou de sécurité. Des journalistes ukrainiens révèlent régulièrement des scandales médicaux, par exemple dans le domaine des transplantations(17), sujet évoqué dans un rapport de la Commission Européenne de 2003 sur le trafic d’organes (18). En 2019, le Conseil de l’Europe lança un programme de protection des droits de l’homme en Ukraine dans le domaine des biotechnologies (19). En janvier 2022, le Président Zelensky signa une loi sur la régulation des transplantations pour renforcer leur traçabilité, mais on est encore loin de son application générale.

Corruption et trafic d’influence

Le cinquième assaut russe vise l’atteinte morale aux valeurs démocratiques promues par les Etats-Unis, entraînant une corruption amplifiée et du trafic d’influence. Le lobbying américain est toujours extrêmement bien calibré. Ses vecteurs d’influence sont multiples : des hauts fonctionnaires formés dans les institutions et entreprises américaines, des citoyens américains d’origine ukrainienne occupant des postes à responsabilité en Ukraine (comme la ministre de la Santé), etc. Dans ce cas précis, les Russes ne visent pas moins que le fils du Président actuel des Etats-Unis, Hunter Biden, qui aurait usé de son influence pour le compte de Metabiota dont il est actionnaire (20), via le Fond privé d’investissement Rosemont Seneca (21), dont le site a été supprimé mais reste consultable grâce aux archives d’Internet. En France comme aux Etats-Unis, Hunter Biden est certes présenté comme un personnage amoral, mais il est frappant de constater l’absence d’informations, de recherches ou d’articles sur Rosemont Seneca Partners et ses liens avec Metabiota. Il est notable par exemple que la société Rosemont Seneca Technology était déjà très active en Ukraine via Burisma Holding, la plus grande société privée opérant depuis 2002 sur le marché énergétique ukrainien, avec des licences dans trois régions clés (Dnieper-Donetsk, Carpates et Azov-Kouban). Depuis, le site burisma.com a été désactivé mais les archives d’Internet conservent la page détaillant son conseil d’administration (22).

Les Russes disposent de très nombreux documents authentiques, y compris sur les recherches menées dans les laboratoires ukrainiens (en anglais, en russe et en ukrainien). Ceux rendus publics sont encore accessibles sur internet (archives internet, des organismes ukrainiens, cloud…). Il y a aussi des rapports alarmistes des renseignements généraux ukrainiens datant de 2016 et d’enquêteurs citoyens ukrainiens, qui auraient conduit la Russie à se sentir plus menacée à partir de 2018, quand le Cooperative Biological Threat Engagement Program désigna le ministère de la Défense ukrainien comme second interlocuteur du projet, après le ministère de la Santé.

Une polémique étouffée dans l’œuf en Occident

Si l’accusation semble bien étayée, la Russie n’a jamais réussi à la diffuser efficacement et provoquer des débats à ce sujet. Elle rencontre deux problèmes, insurmontables actuellement : sa crédibilité en tant que source d’information et le gouffre idéologique la séparant de son audience potentielle. Le caractère inacceptable de la guerre en Ukraine a amplifié le biais cognitif historique sur la propagande du Kremlin. Dès lors, un bouclier de censure sans précédent a été dressé par la communauté occidentale. Toute information émanant de la Russie est classée à priori comme fake news.

Depuis le début de la polémique, les noms de Metabiota et Black & Veatch Special Projects Corp. ne sont jamais cités sur les sites institutionnels des grands médias français (Le Figaro, Le Monde, l’Express, Le Point …). Incapacité à investiguer ? Risques juridiques ? Alignement idéologique ? Les médias traditionnels français ne s’intéressent au « sujet porteur » des laboratoires biologiques que pour augmenter leur audience en s’indignant de l’absurdité de la propagande russe. Les acteurs concrets ne sont jamais mentionnés et restent finalement dans le flou d’une polémique totalement infructueuse pour la Russie.

Devant ce constat, la Russie essaya de cibler le grand public, considérant les gouvernements nationaux « sclérosés par l’influence atlantiste ». Mais les réseaux pro-russes sont faibles comparés à ceux de la sphère ukraino-américaine, et vite dans le viseur de la justice (23). Les médias russes Sputnik et RT sont censurés en Europe. Un nouveau media Omerta est catalogué pro-russe en lien avec l’extrême-droit français, avant même son lancement.

De nombreux comptes pro-russes sur les réseaux sociaux sont également censurés ou supprimés. Des personnalités au discours pro-russe sont discréditées (exemple frappant du reporter de guerre Anne-Laure Bonnel). Il reste Internet et ses communautés parfois peu fréquentables, où le sujet est débattu de façon idéologique par « les trolls du Kremlin », ou incohérente par des « profanes » et des « complotistes ».

La même censure opère dans les centres de réflexion. Une quasi-institution comme la Fondation pour la Recherche Stratégique publia une étude (24) qui ne va plus loin que les titres des journaux. La Russie a bel et bien perdu cette bataille de la guerre de l’information avec le refus net de l’ONU, dans une ambiance tendue, d’examiner sa demande d’enquête sur les activités biologiques des Etats-Unis en Ukraine (25). « Les Nations Unies n’ont ni le mandat ni la capacité opérationnelle ou technique d’enquêter à ce sujet », déclara M.  Adedeji Ebo, haut représentant adjoint chargé des questions de désarmement. La Russie a pourtant insisté, affirmant disposer de preuves, mais sans toutes les dévoiler, offrant ainsi la possibilité à ses adversaires de dénoncer un coup de bluff.

Un débat au long cours

Il faut dire que cette guerre de l’information se joue depuis des années en Ukraine, avec de nombreux documents incriminants en ukrainien ou en anglais. On constate là-bas de nombreux scandales médicaux et de mini-pandémies suivies de décès sur l’ensemble du territoire, malgré le système de surveillance voulu par les Américains. On trouve sur le site de la Présidence ukrainienne des pétitions alarmistes au sujet de foyers infectieux (26), qui demandent un contrôle accru des laboratoires biologiques sous supervision américaine. La Présidence y répond par la censure (de nombreux domaines .ru sont inaccessibles en Ukraine, comme les chaînes de télévision) et des sanctions (27) contre des entreprises ou personnes de différentes nationalités (28). Depuis le début du conflit, l’un des théâtres de la guerre de l’information est le réseau social Telegram, avec beaucoup d’exagérations, de désinformation, de manipulation. Afin de contrer les accusations russes, les Etats-Unis diffusent des messages humanistes prônant la qualité de vie et le bien-être mondial, directement ou par le biais d’organisations internationales (29).

Plus que « le collectif Occident », le reste du monde, notamment l’Afrique (30), est sensible à cette question à cause de précédent concernant des armes biologiques et chimiques. Si peu de ces Etats prennent ouvertement parti pour la Russie, beaucoup souhaitent secrètement sa victoire et la chute des Etats-Unis, pour avoir été à un moment ou un autre contraints dans leurs politiques ou leurs économies par la première puissance mondiale. La Russie est vue comme sonnant la charge contre les globalistes, le monde anglo-saxon de la finance, comme un héraut de la libération des nations brimées par une mondialisation profitant avant tout aux Occidentaux.

La défaite informationnelle russe

La Russie a perdu cette bataille de la guerre de l’information, qui constitue un cas d’école de mise en place d’un bouclier cognitif pour contraindre, voire censurer l’analyse. N’oublions pas que la souveraineté est d’abord une pensée avant d’être une action !

Au niveau de l’économie mondiale, il est de plus en plus difficile de contenir les ambitions des puissances émergentes. La compétition est donc ouverte et tous les coups semblent permis, avec des enjeux économiques vertigineux, comme la récente pandémie l’a mis en évidence. Elle a bien souligné les risques géopolitiques, sécuritaires et financiers de la délocalisation industrielle.

Ce qui est nouveau dans le cas des biotechnologies, c’est la délocalisation de la science, sa fragmentation et le cloisonnement de ses process. Cette stratégie est excellente pour préserver le secret de la finalité tout en gardant son contrôle. Elle demande néanmoins du temps et des efforts constants pour créer les acteurs susceptibles de la porter en noyautant les champs économiques, politiques et sociaux du pays cible. Si la France apparait plus opportuniste sur ce sujet (31), la planification stratégique et la continuité politique sont des piliers du soft power des Etats-Unis. La cartographie des investissements américains à l’étranger (dont l’Ukraine) dans la défense, l’humanitaire et la démocratie est très parlante (32). Il est donc important de répertorier toute action d’acteur étranger sur le territoire français pouvant constituer un début de maillage, susceptible à terme d’entraver la souveraineté de la France.

Pour ce qui est des accusations russes, il est douteux que des armes biologiques aient été fabriquées dans des laboratoires ukrainiens pour le compte des Etats-Unis. Mais il est fort probable que des laboratoires ukrainiens ont participé à des étapes importantes lors de travaux sur des pathogènes dangereux dont la finalité est naturellement double. Il est à peu près établi que l’assemblage final des études se fit sur le sol américain, ce qui est le but du dispositif. (33)

Mais ce qui reste à retenir c’est que du fait de ses interactions avec les entreprises américaines, la souveraineté sanitaire ukrainienne est fortement compromise par l’intrusion des Etats-Unis dans son secteur de la santé, en profondeur et au plus haut niveau. La maitrise de la communication concernant ce dossier a permis aux Américains d’atteindre leurs objectifs et de pérenniser leurs avantages, la Russie n’a pas réussi à déstabiliser son adversaire et perdu des parts de marché dans le secteur des vaccins et des biotechnologies sur des territoires à forts potentiels économiques comme l’Union Européenne.

 

Julia Snegur
Auditrice de la 41ème promotion MSIE de l’EGE

Notes

  1. https://m.day.kyiv.ua/ru/article/obshchestvo/v-otvet-na-biologicheskie-ugrozy
  2. https://www.litmir.me/br/?b=207468  (ouvrage en ukrainien, traduction de l’auteur)
  3. https://eng.mil.ru/files/files/Briefing%20Slides%20(June%2016,%202022).pdf  
  4. https://www.lesechos.fr/industrie-services/pharmacie-sante/covid-pfizer-et-moderna-augmentent-le-prix-de-leurs-vaccins-en-europe-1336262
  5. https://www.tga.gov.au/sites/default/files/covid-19-vaccines-not-registered-australia-current-international-use-tga-advice-recognition-02.pdf
  6. https://journals.lww.com/americantherapeutics/Fulltext/2022/10000/Plausibility_of_Claimed_Covid_19_Vaccine.1.aspx
  7. https://www.radiofrance.fr/franceinter/la-russie-a-fausse-les-essais-de-son-vaccin-anti-covid-spoutnik-v-affirment-des-chercheurs-australiens-9177859
  8. https://www.usaspending.gov/award/CONT_AWD_0004_9700_HDTRA108D0007_9700
  9. http://web.archive.org/web/20121014122405/https://www.homelandsecurity-technology.com/news/newsblack-veatch-to-continue-support-for-dtras-cbep-programme
  10. https://web.archive.org/web/20170211022339/https://photos.state.gov/libraries/ukraine/895/pdf/kiev-ivm-fact-sheet-eng.pdf
  11. https://web.archive.org/web/20210511164310/https://photos.state.gov/libraries/ukraine/895/pdf/dtro-luhansk-eng.pdf
  12. https://www.usaspending.gov/search/?hash=981c519c6b197c1b99e7baa50c13dd42
  13. http://www.stcu.int/documents/stcu_inf/founding_documents/1997_protocol/Protocol%20(Eng)%20to%20amend%20the%20Agreement%20to%20he%20establis%20the%20STCU.pdf
  14. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7812358/
  15. https://blog.immixgroup.com/2017/02/23/what-is-a-contract-vehicle/#:~:text=With%20that%20in%20mind%2C%20let's,is%20called%20a%20GSA%20Schedule.
  16.  https://delo.ua/business/ukraina-lidiruet-v-reproduktivnoj-medicine-ne-za-358495/
  17. https://www.coe.int/fr/web/bioethics/-/the-council-of-europe-help-courses-on-key-human-rights-principles-in-bioethics-was-launched-in-ukraine
  18. https://www.stopcor.org/ukr/section-suspilstvo/news-transplantatsiya-v-ukraini-manipulyatsii-z-donorskimi-organami-ta-zagubleni-diti-18-11-2021.html
  19. https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/X2H-Xref-ViewHTML.asp?FileID=10176&lang=fr
  20. https://www.healthtechalpha.com/investors/rosemont-seneca-technology-partners/3594  (autre source https://web.archive.org/web/20150514164722/http://www.rstp.com/companies  )
  21. https://web.archive.org/web/20100704182256/http://www.rosemontseneca.com/team.html  (autre source http://www.rstp.com/r-hunter-biden/)
  22. https://web.archive.org/web/20150218054943/http://burisma.com/
  23. https://www.tf1info.fr/justice-faits-divers/l-association-dialogue-franco-russe-copresidee-par-thierry-mariani-visee-par-deux-enquetes-2236518.html
  24. https://www.frstrategie.org/publications/notes/programme-biologique-militaire-ukraine-histoire-une-desinformation-russe-2022
  25. https://press.un.org/fr/2022/cs15084.doc.htm
  26. https://petition.president.gov.ua/petition/131262
  27. https://www.president.gov.ua/documents/1332017-21850
  28. https://www.president.gov.ua/storage/j-files-7.
  29. https://www.youtube.com/watch?v=jcnSYosuXmU
  30. https://www.youtube.com/watch?v=E3UVgcdP5LA  (pour exemple https://ugandaneyes.com/2022/04/06/why-should-africans-be-concerned-about-us-biolabs-in-ukraine/
  31. https://www.pasteur.fr/fr/journal-recherche/actualites/scientifiques-ukrainiens-offre-accueil-laboratoire-institut-pasteur-paris
  32. https://foreignassistance.gov/

33.https://www.youtube.com/watch?v=ydSf57SRtcQ