La guerre du homard en Nouvelle-Écosse

La "guerre du homard" en Nouvelle-Écosse fait référence aux tensions et aux différends permanents concernant les droits de pêche au homard entre les pêcheurs autochtones Mi'kmaq et les pêcheurs commerciaux non autochtones de la région. Ce conflit s'est aggravé à plusieurs reprises, certaines des escalades les plus récentes et les plus graves ayant eu lieu en 2020.[i] Le nœud du problème réside dans les interprétations divergentes des droits issus des traités et des efforts de conservation. Les Mi'kmaq revendiquent leur droit de pêcher le homard en dehors de la saison commerciale réglementée par le gouvernement fédéral, sur la base de traités datant du XVIIIe siècle, qui leur permettent, selon eux, de chasser et de pêcher toute l'année sur leurs territoires traditionnels afin d'en tirer des "moyens de subsistance modérés". Ce terme n'a cependant jamais été clairement défini par la loi canadienne ni clarifié dans les accords ultérieurs, ce qui a conduit à une zone grise juridique et à des pratiques contradictoires.[ii] Ce conflit constitue une étude de cas pertinente pour examiner le rôle de l'information dans les rapports de force et la résolution des conflits[iii].

AncreParties prenantes et nature du rapport de force

Les zones de pêche de homard de Nouvelle-Écosse représentent un microcosme d'une toile géopolitique plus large, où le rapport de force est influencé autant par les parties prenantes impliquées que par les ressources environnementales en question. Dans ce que l'on appelle la "guerre du homard", l'équilibre des forces est nettement déterminé par l'accessibilité, le contrôle et la diffusion de l'information entre les parties concernées. Ces parties prenantes, à savoir les pêcheurs autochtones Mi'kmaq, les pêcheurs commerciaux non autochtones, les organismes de réglementation, les organismes de surveillance de l'environnement et le gouvernement canadien, possèdent, contribuent et interprètent chacun un ensemble varié de données et de récits qui influencent la trajectoire du conflit.[iv]

Pour les Mi'kmaq, l'affirmation de droits issus de traités remontant aux traités de paix et d'amitié des années 1700 constitue le cœur de leur revendication[v]. Leur point de vue repose sur l'interprétation de documents historiques et sur un lien inhérent à la terre et à la mer, qui leur confère le droit de pêcher pour assurer une "subsistance convenable", un terme dont l'ambiguïté alimente une grande partie du différend. La manière dont ces informations sont comprises et communiquées est essentielle, car elle sous-tend leur position juridique et culturelle dans le conflit.[vi]

À l'inverse, les pêcheurs commerciaux opèrent dans un cadre défini par des réglementations contemporaines conçues pour garantir des pratiques de pêche durables. Ils fondent leurs revendications sur des évaluations scientifiques des populations de homards, des données économiques sur la dynamique du marché et le pouvoir législatif de la gestion actuelle de la pêche au Canada. Ces informations forment leur compréhension de la conservation, et motivent leur opposition à ce qu'ils perçoivent comme une pêche non réglementée de la part des pêcheurs Mi'kmaq.

Les organismes gouvernementaux, dont le ministère des Pêches et des Océans (MPO), sont à cheval sur ces visions du monde disparates, car ils ont pour mission de gérer les pêcheries de manière à trouver un équilibre entre les droits issus des traités et la conservation. Ils sont les arbitres du pouvoir, les parties prenantes qui doivent convertir en politique les informations provenant de sources juridiques, scientifiques et économiques.[vii] L'influence de chaque partie prenante est médiatisée par sa capacité à affirmer son contrôle sur les informations pertinentes pour le conflit. Il ne s'agit pas seulement de posséder des informations, mais aussi de façonner le contexte dans lequel elles sont reçues et comprises par d'autres. Les médias, en tant que relais de toutes ces voix, amplifient certains aspects du débat, faisant parfois pencher le rapport de force en faveur de ceux qui savent le mieux naviguer sur leurs canaux.[viii]

AncreStratégie des acteurs

Les pêcheurs Mi'kmaq, qui s'appuient sur les droits issus des traités, ont adopté des stratégies qui mettent l'accent sur leur légitimité juridique et culturelle[ix]. Ils ont cherché à faire valoir leurs arguments en affirmant ces droits dans la pratique, en continuant à pêcher comme ils affirment que leurs traités leur en donnent le droit. Sur le plan stratégique, ils ont également cherché à faire entendre leur voix par le biais d'alliances avec des groupes de la société civile et des universitaires, en s'appuyant sur des campagnes dans les médias qui mettent en lumière les griefs historiques et les luttes contemporaines pour les droits et la reconnaissance. En se positionnant dans le cadre d'un discours fondé sur les droits, ils remettent en question le discours réglementaire dominant et s'appuient sur les principes internationaux des droits de l'homme pour obtenir un soutien plus large.

Les pêcheurs commerciaux non autochtones ont adopté une approche à multiples facettes. Sur le terrain, certains se sont engagés dans des actions directes, comme la création de barrages et la protestation contre les activités de pêche des Mi'kmaq, dans le but d'attirer l'attention des médias et d'inciter le gouvernement à faire respecter les réglementations existantes en matière de pêche. Ils s'engagent également dans des actions de lobbying, cherchant à influencer les politiques en fournissant des données économiques et des recherches sur la conservation qui soutiennent leur position sur les saisons réglementées et la durabilité. En soulignant les risques pour les populations de homards et l'économie locale, ils positionnent leur stratégie dans un cadre économique et de conservation qui fait appel à la politique publique et à la stabilité économique.[x]

La stratégie de chaque acteur réagit également à celle des autres, s'adaptant à la nature évolutive du conflit. Par exemple, lorsque les pêcheurs Mi'kmaq font l'objet d'une attention internationale, les pêcheurs commerciaux et les organismes gouvernementaux ajustent leurs stratégies pour tenir compte du nouvel environnement informationnel. De même, lorsque les pêcheurs commerciaux font pression pour une application plus stricte de la loi, les Mi'kmaq répondent en faisant appel à des précédents historiques et à des droits légaux, renforçant ainsi leur propre contre-récit.

Le champ de bataille informationnel du conflit a donné lieu à l'utilisation de diverses tactiques, allant des contestations juridiques aux manifestations publiques et à l'activisme numérique. L'utilisation stratégique de l'information par chaque acteur, juridique, scientifique, historique ou autre, reflète leur compréhension de son pouvoir et leur capacité à l'exploiter pour façonner les résultats en leur faveur.[xi]

La guerre du homard en Nouvelle-Écosse illustre un conflit complexe où l'information est le pivot du pouvoir. Les parties prenantes disposent d'arsenaux informationnels distincts, des droits issus des traités aux données scientifiques, pour étayer leurs revendications et leurs stratégies. Les flux et reflux de ce conflit soulignent l'importance de l'interprétation, de la négociation et de la reconnaissance de perspectives variées. En tant que telle, la résolution dépend d'une intégration équilibrée de ces divers points de vue, indiquant une voie à suivre non seulement pour cette lutte spécifique, mais aussi pour le contexte plus large des conflits liés aux ressources naturelles impliquant les droits des peuples autochtones et la durabilité de l'environnement. L'issue de ce conflit pourrait bien devenir un modèle de conciliation des intérêts économiques avec l'impératif de maintien de la souveraineté autochtone et de l'intégrité écologique.[xii]

 

Timothé Durand,
étudiant de la 27ème promotion Stratégie et Intelligence Économique (SIE)

 

AncreSources

  • Bilefsky, Dan. “In ‘lobster War,’ Indigenous Canadians Face Attacks by Fishermen.” The New York Times, The New York Times, 20 Oct. 2020, www.nytimes.com/2020/10/20/world/canada/nova-scotia-lobster-war.html.
  • Hensley, Laura. “The Attacks on Mi’kmaq Lobster Fishers in Nova Scotia, Explained.” The Nova Scotia Lobster War, Explained, www.refinery29.com/en-ca/2020/10/10111352/nova-scotia-lobster-dispute-explained. Accessed 6 Nov. 2023.
  • Knight, Ivy. “The Nova Scotia Lobster Wars.” Food & Wine, Food & Wine, 13 Nov. 2020, www.foodandwine.com/news/the-nova-scotia-lobster-wars.
  • The Narwhal. “How an Indigenous Fishery Is Charting a New Path Forward amid Nova Scotia’s Lobster Wars.” The Narwhal, 6 Nov. 2023, thenarwhal.ca/nova-scotia-lobster-dispute-potlotek/.
  • Thomas, Jesse. “Concerns Grow in N.S. over Violence Surrounding Unauthorized Lobster Fishing.” Atlantic, CTV News, 1 Sept. 2023, atlantic.ctvnews.ca/concerns-grow-in-n-s-over-violence-surrounding-unauthorized-lobster-fishing-1.6545269.
  • “Why Are People Fighting over Lobster Fishing in Nova Scotia? | CBC Kids News.” CBCnews, CBC/Radio Canada, www.cbc.ca/kidsnews/post/why-are-people-fighting-over-lobster-fishing-in-nova-scotia. Accessed 6 Nov. 2023.

Notes

[i] https://www.foodandwine.com/news/the-nova-scotia-lobster-wars

[ii] https://www.nytimes.com/2020/10/20/world/canada/nova-scotia-lobster-war.html

[iii] https://www.cbc.ca/kidsnews/post/why-are-people-fighting-over-lobster-fishing-in-nova-scotia

[iv] https://www.foodandwine.com/news/the-nova-scotia-lobster-wars

[v] https://atlantic.ctvnews.ca/concerns-grow-in-n-s-over-violence-surrounding-unauthorized-lobster-fishing-1.6545269

[vi] https://www.nytimes.com/2020/10/20/world/canada/nova-scotia-lobster-war.html

[vii] https://www.refinery29.com/en-ca/2020/10/10111352/nova-scotia-lobster-dispute-explained

[viii] https://www.cbc.ca/kidsnews/post/why-are-people-fighting-over-lobster-fishing-in-nova-scotia

[ix] https://thenarwhal.ca/nova-scotia-lobster-dispute-potlotek/

[x] https://atlantic.ctvnews.ca/concerns-grow-in-n-s-over-violence-surrounding-unauthorized-lobster-fishing-1.6545269

[xi] https://www.refinery29.com/en-ca/2020/10/10111352/nova-scotia-lobster-dispute-explained