La guerre économique des batteries rechargeables

Nous sommes entourés de batteries de toutes formes et de toutes tailles. On les trouve dans nos téléphones, nos smartphones et nos tablettes, pour ne citer que ceux-là. Mais ce sont celles qui équipent nos voitures électriques et hybrides, qui aujourd’hui nous intéressent plus particulièrement. Car il s’agit d’un secteur économique en pleine transformation. Ces batteries rechargeables sont le cœur de la voiture électrique, c’est un équipement essentiel qui représente près du quart de son prix. Elles sont un des atouts majeurs de la transition énergétique et un élément clé de la lutte contre le gaz à effet de serre et le réchauffement climatique.

Depuis le protocole de Kyoto de 1995 et l’accord de Paris sur le climat en 2015, tous deux visant à maintenir sur le long terme le réchauffement de la planète à un niveau « nettement en dessous de 2°C », la transition énergétique et écologique est en marche et bouleverse les stratégies et rapports de puissance. Aujourd'hui, de plus en plus de véhicules roulent avec des batteries électriques rechargeables. Mais quels sont les véritables enjeux économiques et environnementaux qui se cachent derrière ce réel changement de paradigme technologique ?

La mainmise de l’empire chinois sur le marché des batteries 

La course à l'investissement dans la fabrication des batteries dans le monde bat son plein et la Chine a plusieurs longueurs d’avance. Son objectif est de devenir le maître du monde en 2050, et pour y parvenir tous les moyens sont permis, y compris le vol de technologies comme relaté dans l’édifiant documentaire d’ARTE sur la guerre économique.

Pour revenir à la guerre économique et commerciale des batteries, qui fait rage dans le monde et qui est déjà remportée par la Chine, on peut dire que la France a perdu la bataille, car les français n'y ont pas cru. Cependant, c’est bien Michel Armand, un français qui a inventé en 1980 la batterie au lithium qui équipe les Autolib' et la plupart des voitures électriques. La France n’a pas su créer un véritable projet industriel autour de cette invention.  Michel Armand a fini par quitter la France pour le Canada et la société Hydro-Québec.

De son côté, quelques années après, le CNRS, qui était le propriétaire en titre du brevet de Michel Armand le cède pour une somme dérisoire à une Startup : la société Phostech Lithium, spécialisée dans la fabrication du phosphate de fer lithié, composant servant à fabriquer des batteries pour voitures électriques et hybrides. 

Lors d’une conférence à laquelle des ingénieurs chinois ont participé, il paraitrait que notre inventeur français aurait divulgué par inadvertance la formule de ses recherches. La Chine s'est indument emparée de ce savoir et a même décidé de ne pas obéir aux injonctions de l'Office Mondial des Brevets et n’a jamais payé aucune redevance sur le phosphate de fer. Cet épisode montre que « La France ne dispose pas d’une véritable capacité de protection de ses informations sensibles ou stratégiques » comme l'écrivirent dans le journal l’Opinion en aout 2016 Olivier Hassid et Philippe Muller Feuga.

L'agressivité commerciale chinoise

La Chine s’est engagée dans la bataille des batteries pour les voitures avec l’ambition de dominer le monde. Le contrôle en amont sur les minéraux, nécessaires à leur fabrication, et plus particulièrement l'approvisionnement en cobalt et lithium, matières premières indispensables à la confection des accumulateurs, constitue un avantage concurrentiel et fait partie de sa stratégie. La guerre économique de ces batteries fait rage derrière le boom des voitures électriques.

Selon l’US Geological Survey, la Chine domine ce marché des matériaux rares et des métaux, composants principaux pour la fabrication des batteries rechargeables, un marché juteux. Elle maîtrise la quasi-totalité de ce marché. Sur les 170.000 tonnes produites l’an dernier, 71% (120.000 tonnes) l’ont été par cette dernière. Les autres producteurs : L’Australie (20.000 tonnes) et les États-Unis (15.000 tonnes) sont loin derrière.

Cette situation de quasi-monopole de la Chine sur les terres rares semble prendre, ces jours-ci, un tournant dangereux dans la guerre commerciale et économique que se livrent sans merci les deux premières puissances mondiales : Les Etats Unis et la Chine. D’après un article révélé par le Financial Time et repris par le site Zonebourse, "Le mois dernier, le ministère Chinois de l'industrie et des technologies de l'information a proposé un projet de régulation de la production et de l'exportation de 17 minéraux de terres rares en Chine, qui contrôle environ 80% de l'offre mondiale". Ceci est un avertissement sérieux adressé au monde entier et plus particulièrement aux Etats-Unis qui ont besoin de ces terres rares pour la construction de leur jet de combat de nouvelle génération de Lockheed Martin, le F-35.

Cet événement fait écho à l’interview donnée par Christian Saint-Etienne au magazine « Le Mag » du Printemps de l’économie 2020 et ayant pour titre « La guerre commerciale n’exclut pas la guerre militaire »

Dans sa poursuite de la conquête du marché mondial des batteries, on pouvait lire dans un article du 28 juin 2017 de Joe Ryan Bloomberg : « China Is About to Bury Elon Musk in Batteries ». La Chine est sur le point d'enterrer Elon Musk dans le marché des batteries. Les plans de la Chine prévoyaient de produire trois fois plus de batteries au lithium que la "Gigafactory" de Musk, implantée dans le désert du Nevada.

La Chine est en passe d’imposer au monde ses propres normes de fabrication

Mais la Chine, passée maitre dans la stratégie du Soft Power, veut devenir une puissance normative. Une bataille sur les normes mondiales autour du lithium est en vue entre la Chine et l’Union Européenne. Selon Reuters, Thierry Breton, Commissaire européen au Marché intérieur, a exhorté les gouvernements de l'UE à être plus actifs dans l'établissement de normes mondiales pour les batteries ultralégères au lithium métal, clé de nombreuses industries stratégiques et de voitures électriques, ou à céder un avantage technologique à la Chine. « L’influence sur les règles et normes internationales, c’est-à-dire sur les règles du jeu économique, est une composante essentielle quoique peu visible de la compétitivité des entreprises et des États », indique Claude Revel dans son rapport, ayant pour titre : Développer une influence normative stratégique pour la France.

Alors que la Chine a bénéficié des largesses ou naïvetés des occidentaux pour intégrer en 2001 l’OMC, Organisation mondiale du commerce sans lui en imposer les règles, elle veut désormais influer sur la rédaction de normes internationales sur le lithium pour favoriser ses entreprises sur les marchés internationaux. Ceci s’apparente à une guerre juridique systémique, telle qu’elle est décrite par Olivier de Maison Rouge dans les cahiers de la guerre économique de l’EGE #1.

Face à une production des batteries rechargeables dominée par l’Asie, l’Europe prend des initiatives

Alors que l’Union Européenne ne produit actuellement que 1 % des batteries lithium-ion dans le monde, ses concurrents asiatiques accaparent les trois quarts de l’offre mondiale. Le podium des fabricants se compose de : Le chinois Contemporary Amperex Technology (CATL), le japonais Panasonic ou encore le sud-coréen LG-Chem, vient ensuite l’américain Tesla.

Face à cette hégémonie asiatique et dans une moindre mesure américaine, L'Europe veut briser cette emprise américano-asiatique sur la fabrication des batteries. Sous l’impulsion de l’Allemagne et de la France, l’UE a lancé « l’Airbus des Batteries » en automne 2017, accompagné d’une autorisation pour des aides publiques de 3,2 milliards d’Euro. Puis le 26 janvier 2021, la Commission européenne a autorisé le versement de 2,9 milliards d'euros d'aides publiques pour un projet commun à douze Etats membres, dont la France, le but étant d’atteindre 25 % de part de marché de fabrication de batteries au niveau mondial d’ici 2030.

"Germany First"

L’Allemagne, à la tête de la présidence tournante de l’Union européenne de juillet à fin décembre 2020, est parvenue quelques jours avant la fin de sa mission à arracher le traité d’investissement entre la Chine et l’UE. En tant que premier partenaire commercial de la Chine en Europe, elle avait un précieux avantage économique à conclure cet accord. Ce faisant, elle a fait preuve d’une grande intelligence économique. Son pouvoir d'influence en Europe et dans le monde va lui permettre d’attirer sur son sol les plus grands constructeurs mondiaux de batteries : Contemporary Amperex Technology Co. Limited (CATL) construit actuellement sa première usine en Europe à ERFURT, Tesla établira courant cette année près de Berlin sa plus grande usine de batteries au monde, SVOLT Energy Technology, une entreprise chinoise va entamer la construction d’une usine de fabrication de batteries à Überherrn (province de la Sarre). PSA, via sa filiale allemande Opel, s'est allié au groupe Saft, filiale du pétrolier Total, pour implanter une usine de cellules de batteries à Kaiserslautern, dans l'est de l'Allemagne.

L'impact environnemental des batteries de voitures

La transition énergétique implique une très forte croissance des besoins en batteries. Leur fabrication est une étape importante pour atteindre les objectifs climatiques d'ici 2030, un parcours semé d'embûches, tant la guerre informationnelle prend une place prépondérante dans leur impact sur l’environnement.

Dans les années 90, General Motors (GM), pour satisfaire les nouvelles lois californiennes sur les véhicules à zéro émission a lancé la fabrication de l'EV1, première voiture électrique de série de l'ère moderne. Ce fut un grand succès commercial mais une campagne de désinformation et de dénigrement orchestrée par les lobbies pétroliers, soutenus par l'administration Bush d’alors a obligé GM à abandonner en 2001 son programme de fabrication de l’EV1. Un documentaire sorti en 2006 “Qui a tué la voiture électrique » retrace cette histoire.

Ce qui s’est passé pour l’EV1 pourrait se reproduire avec les voitures électriques qui sillonnent de plus en plus nos routes. Alors que plusieurs études scientifiques mettent en avant l’avantage écologique des batteries lithium-ions, des voix s’élèvent et parlent de « la grosse arnaque » autour des voitures électriques. Dans les médias et sur les réseaux sociaux, défenseurs et détracteurs s'affrontent à coup de fake news. Le débat autour des terres et métaux rares pour la fabrication des batteries atteint son paroxysme. Le lithium, dont sont en partie composées les batteries, est une ressource difficile à extraire et sa la production a des impacts très forts sur l’environnement. Le journaliste Guillaume Pitron, auteur de « La Guerre des métaux rares » met en avant les énormes quantités d’eau et de produits chimiques nécessaires à l’extraction et au raffinage de ces métaux. Un article du Monde Diplomatique, sous le titre « La face honteuse du métal bleu », dénonce l’exploitation des enfants employés dans les mines de cobalt en République démocratique du Congo. Enfin, en Finlande, le grand développement des batteries pour voitures électriques inquiète les écologistes.

On voit bien que la transition énergétique n'est pas un long fleuve tranquille, la guerre de l’information est au cœur de la transition écologique, et cette guerre reste à gagner.

 

Hedi Dardour
Auditeur de la 36ème promotion MSIE