La guerre informationnelle après les tremblements de terre en Alsace

Le 4 décembre 2020, la banlieue nord de Strasbourg était touchée par un séisme, un séisme relativement faible, ayant fait uniquement des dégâts matériels (Environ 300 dossiers d’indemnisation ont été transmis), mais qui fut suffisamment puissant pour être ressenti dans toute l’agglomération strasbourgeoise. Le fossé rhénan est une zone sismique naturelle, mais depuis le début des années 2000, le Bas Rhin est soumis à des épisodes de sismicité induite par des activités industrielles, la très grande majorité est imperceptible. Strasbourg a subi des de nombreux tremblements de terre depuis 2018.

L’entreprise Geoven présente sur la commune de Vendenheim dans la banlieue nord de Strasbourg, a été rapidement pointée du doigt pour ce nième tremblement de terre. Depuis 2018, Geoven, une filiale du groupe Fonroche Géothermie, forait deux puits pour un projet de géothermie profonde. L’objectif était de mettre en service la deuxième centrale électrique géothermique en métropole après celle de Soultz-sous-Forêts opérée par une filiale d’EDF. Dans les jours qui suivent, la préfecture du Bas Rhin signe un arrêté pour mettre fin définitivement au projet de 100 millions € ainsi qu’à deux autres projets de géothermie profonde. Est-ce l’arrêt de cette filière en Alsace ? pourquoi cette réaction et cette peur des riverains ? Quelles sont les responsabilités de Fonroche ?

La géothermie en France

La géothermie utilise la chaleur naturelle du sous-sol. A partir de forage de profondeurs variables, on puise de l’eau entre 30°C et 200°C pour du chauffage ou des activités industrielles. Il s’agit d’une énergie renouvelable décarbonée, continue et pilotable. Elle possède aussi l’avantage une fois en opération, d’avoir une emprise bien plus faible que l’éolien ou le photovoltaïque très gourmands en foncier. On distingue trois types de géothermie : la géothermie de surface, qui utilise des forages de quelques centaines de mètres pour extraire une eau de 30-40°C, la géothermie profonde pour produire de l’eau chaude (elle utilise des forages entre 1500m et 2500m et une eau entre 60°C et 90°C) et enfin la géothermie profonde à très haute température qui permet de produire de l’électricité.

La centrale de Geoven fait partie de la dernière catégorie. Cette énergie est donc très intéressante pour les agglomérations qui souhaitent réduire leur empreinte carbone. Les projets de géothermie profonde ont des durées de vie longues (entre 30 et 40 ans). L’investissement initial est très important mais rentable car amorti sur le long terme. L’état Français promeut l’accès à l’énergie géothermique via l’ADEME (Agence de la transition écologique) et la SAF-ENVIRONNEMENT (filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations). Elles sont chargées par les pouvoirs publics de mettre en œuvre et de gérer la politique de promotion et d’aides financières pour cette source d’énergie. Elle se fait via deux fonds : le fond chaleur et les fonds de garanties des risques géologiques et géothermiques. Il faut comprendre que le deuxième fond, géré par la SAF-Environnement, garantit les risques de forage. Ce type de garantie est extrêmement favorable car les risques financiers liés aux forages sont élevés.

En France, la géothermie est principalement utilisée pour la création de chaleur. En 2019 en Ile de France, il n’y avait pas moins de 52 sites qui extraient la chaleur pour chauffer des maisons et fournir de la chaleur à des industries (223 869 équivalent-logements). La région parisienne possède un des plus grand réseau de chaleur géothermique d’Europe. La France cherche à rattraper son retard en géothermie électrogène malgré un potentiel intéressant en métropole. L’objectif fixé par le Ministère de la Transition Energétique est de passer de 8 MW en 2018 d’électricité produite à 53 MW en 2023. Cet objectif va être difficile à atteindre avec la fermeture définitive du site de Vendenheim.

Le projet de Geoven

Au milieu des années 2010, Fonroche lance un projet de géothermie profonde sur l’ancien site de la raffinerie de Reichstett. A l’arrêt des activités de raffinage, un éco parc avait été développé et différentes industries se sont installées dont Fonroche Géothermie. L’équipement devait permettre d’alimenter en électricité l’équivalent de 10 000 logements et l’équivalent de 26 000 logements ou de 70 ha de serres agricoles, en chaleur directe. Le projet est initialement approuvé par la préfecture du Bas Rhin via la DREAL (direction régionale de l’environnement de l’aménagement et du logement) en 2016. L’autorisation est donnée malgré l’opposition des communes de Vendenheim et de Wantzenau.

Comme le prévoit la réglementation, l’opérateur installe des capteurs pour mesurer la sismicité induite par les opérations. Hormis des risques de pollution, la sismicité induite est l’un des principaux risques, elle représente presque un tiers des phénomènes dangereux des opérations géothermiques. En novembre 2019, un épisode sismique est ressenti à 5km au sud du site de Geoven qui est immédiatement pointé du doigt. Via un communiqué de presse le 12 novembre 2019, Fonroche se dédouane d’être à l’origine de cet épisode sismique. Malgré cette communication, des études par des experts sont diligentées pour comprendre l’origine (naturel ou anthropique) de cet épisode sismique. Pour Jean Schmittbuhl, directeur de recherche CNRS à l’Institut Physique du globe de Strasbourg, cette pression très élevée accroît le risque de séisme. Il a participé à l’étude menée par l’EOST (École et observatoire des sciences de la terre) sur le séisme d’une magnitude de 3,2 qui s’était produit le 12 novembre 2019. En comparaison, ce séisme d’il y a un an était tout à fait différent : « L’épicentre se trouvait à 4 km des puits, à une profondeur comparable, sur la même zone de faille, mais c’était loin. Fonroche avait pu être « la goutte d’eau » à l’époque.

L’expert explique que les séismes au sud de Vendenhiem ont une origine humaine mais qu’il y a de fortes chances que le séisme se serait déclenché naturellement dans le future. Des tests complémentaires sont ensuite demandés par le BRGM et l’INERIS. Les tests recommandés commencent en octobre 2020 et induisent une série de séismes pour arriver au séisme du 4 décembre 2020. La préfète du Bas Rhin signe l’arrêt définitif du projet au soulagement des élus locaux et des riverains. GeoVen est alors accusé d’avoir foré bien au-delà de la profondeur autorisée et d’avoir injecté de l’eau avec des pressions trop fortes (comme mentionné par Jean Schmittbuhl). Jean-Philippe Soulé, directeur général de Fonroche Géothermie explique que les travaux ont été faits dans le respect des règles et du permis délivré. Cette communication factuelle est restée difficilement audible par des riverains effrayés par les épisodes sismiques à répétition et hostiles au projet dès le début. Fonroche n’a pas réussi à obtenir le support de riverains. Le support uniquement de la préfecture et de la DREAL a été très insuffisant dès que les problèmes de sismicité sont apparus. L’affrontement informationnelle a été perdu avant d’avoir commencé.

Impact de ce projet sur la géothermie en France et en Europe

Le site de Vendenhiem n’est pas le premier site dans le fossé rhénan à avoir rencontré des épisodes sismiques. Le site de Soultz-sous-Forêts à 50 km au nord de Strasbourg, a aussi connu des épisodes sismiques lors de la phase de tests, aucun épisode n’a semble-t-il généré de dégâts ou de désordre. En 2006 à Bâle (Suisse), le projet géothermique « Deep Heat Mining » a généré plusieurs séismes dont un qui a été à l’origine de dommages légers. La réaction de la population a obligé les autorités à abandonner le projet. En 2009 le site de géothermie de Landau à 20 km au nord de Wissembourg en Allemagne a été soumis à des épisodes de sismicité. Après une période d’arrêt du site, un forage a été refait et la centrale a redémarré en 2020 pour une période probatoire de cinq ans.

Les seuils d’alerte utilisés par la DREAL pour Geoven sont liés principalement à l’expérience du site de Soultz-sous-Forêts. L’arrêt du site de Geoven est une mauvaise nouvelle pour une industrie en recherche de maturité. La géothermie profonde pour la génération d’électricité va être impactée pour plusieurs années, ce qui rend certainement impossible d’atteindre l’objectif de 53 MW d’électricité en 2023. On peut aussi s’interroger si les connaissances sur la géothermie et la géologie en Alsace sont aujourd’hui suffisantes pour lancer des projets de grande ampleur comme celui de Vendenheim. Est-ce que les contraintes d’études de pré-implémentation et de mise en œuvre, ne vont pas rendre les projets non rentables à long terme ? Le retour d’expérience des autres échecs du fossé rhénan a-t-il été fait ? Comment convaincre un public qui est maintenant contre cette technologie ?

La France est en avance sur les réseaux de chaleur et la promotion de la géothermie faible profondeur. Pour la géothermie profonde haute température, il y a clairement un retard vis-à-vis de nos voisins. A titre d’exemple, l’Allemagne est en avance sur la génération d’électricité avec 10 centrales et 40,53MW d’électricité produits, à comparer avec les 900 à 1450MW produits par une centrale nucléaire.

La filière française : les contraintes et les opportunités

La majorité des projets est en zones urbaines ou péri-urbaines pour être proche des clients. Cette proximité est une contrainte car elle limite la capacité d’implémentation des unités de production d’électricité. Les réseaux de chaleurs sont moins affectés par ces contraintes mais les opérateurs doivent tout autant communiquer énormément avec les collectivités locales et les riverains.  La technologie est mal comprise et elle génère des interrogations et des peurs que les professionnels doivent apprendre à lever.

La géothermie profonde est une énergie subventionnée, l'Etat paie la différence entre le coût de production très élevé et le coût du marché. Le gouvernement a annoncé en janvier 2019 son intention d’arrêter les subventions pour la génération d’électricité géothermale, préférant miser sur une énergie de masse à bas coût. Sans subvention, les nouveaux projets sont en péril car ils ne seront plus rentables. Un forage en Alsace peut couter 55 millions €. Les acteurs du secteur comme L’AFPG (association française des professionnels de la géothermie) mettent en avant une expérience qui reste à construire.

Ces contraintes obligent les acteurs à être innovants en regardant les opportunité de cogénération. Vermillion Energy une compagnie pétrolier canadienne est installée dans le sud-ouest de la France. Elle a plusieurs projets de cogénération de chaleur et de production de pétrole. La chaleur géothermique chauffe gratuitement 15Ha de serres pour la culture de tomates, 550 habitations, et bientôt un groupe scolaire. Parallèlement, le BRGM a fait une étude du potentiel de reconversion en géothermie des puits pétroliers car la loi Hulot prévoit l’arrêt en France de l’exploitation des hydrocarbures en 2040. L’idée est de faire des économies en recyclant des puits existants.

Une voie encore plus prometteuse pour l’Alsace est la production de lithium. Les eaux produites en profondeur sont riches en lithium. Dans le cadre du projet de Geoven à Vendenheim, les analyses dans les eaux extraites des puits de forage confirment la présence de lithium en qualité et quantité très prometteuse permettant d’envisager la production annuelle de quelque 1 500 tonnes de lithium. L’extraction du lithium permettrait de répondre à 10% de la demande française en lithium pour la mobilité. ES Géothermie une filiale de EDF fait aussi des tests d’extraction sur le site de Soultz-sous-Forêts.

Comment améliorer l’acceptation des projets ?

Pour faire accepter les projets de géothermie profonde, le travail avec les riverains est tout autant nécessaire que des études techniques plus poussées pour réduire les risques d’un nouvel échec de projets équivalents à Geoven. Le lancement du projet de Geoven n’aurait pas dû se faire sans l’appuis des communautés locales. Une réforme du droit minier français pourrait aider à mieux prévoir le risque de refus de la société civile.  Il y a quelques années dans le cadre d’Horizon 2020, l’Europe a financé un projet d’analyse des risques financiers des projets de géothermie – georisk. Dans l’ensemble des risques identifiés on ne trouve pas les risques liés aux acteurs de la vie civile : riverains, ONG. L’exemple de Geoven montre que le risque sismique (listé comme un risque sur l’infrastructure) doit être pris en compte non seulement comme un risque naturel ou anthropique mais surtout comme un risque sociétal. Dans le cas de l’Alsace, le risque sismique a mené à l’arrêt du projet et surtout à une méfiance générale pour cette technologie qui est maintenant perçue comme peu sure et mal maitrisée techniquement.

 

Loic Michel
Auditeur de la 35ème promotion MSIE