La guerre informationnelle concernant la sécurité des Jeux Olympiques

La France accueillera l’édition 2024 des Jeux Olympiques et Paralympiques. Dans un contexte post-covid avec des risques et des menaces de plus en plus importantes pour la France, la sécurité de cet événement sera un sujet central.  

Symbole de puissance organisationnelle, symbole de la capacité d’un pays à accueillir le monde entier, cet événement constitue un enjeu important tant sur le plan économique que sur l’image et le positionnement de la France sur l’échiquier international.

Le contexte

Selon les prévisions du FMI, en raison de l'apparition de la COVID-19, la croissance du PIB de la France devrait tomber à -7,2 % en 2020 et remonter à 4,5 % en 2021, sous réserve de la reprise économique mondiale post-pandémique. Le Premier ministre a présenté le 3 septembre 2020 le plan “France Relance”, une feuille de route dont l’objectif est de bâtir la France de 2030. Il doit aussi permettre à la France, comme à l’Europe, de confirmer sa robustesse et son attractivité dans le concert international des Nations.

Selon une étude, le marché mondial de la sécurité est estimé à 7 milliards de dollars à l’horizon 2024. Ces prévisions sont basées sur le développement de l’utilisation des nouvelles technologies. Les opportunités pour la filière de sécurité française sont réelles pour conquérir les marchés relatifs à cet événement et ainsi s’en servir comme tremplin sur le marché international.

De plus, l’utilisation des nouvelles technologies permettrait de faire des gains économiques important tout en conservant ou en augmentant le niveau de sécurité. Notamment l’utilisation de la reconnaissance faciale qui constitue un terrain de confrontation informationnel surtout dans le pays de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Son utilisation fait l’objet de débats au niveau mondial car elle soulève des questions touchant à des choix de société. L’union européenne a décidé un moratoire de trois à cinq ans pour évaluer les impacts de ces technologies sans pour autant interdire les expérimentations.

Face à la multiplication des menaces, un dilemme de sécurité technologique est en cours sur l’échiquier international entre les puissances. Reste à savoir si la France aura la capacité à assumer seul, sa souveraineté technologique et éthique. Les Jeux Olympiques étant un accélérateur de prise de position pour l’avenir. L’encerclement cognitif entre lutte contre le terrorisme, bataille technologique et l’échéance de l’événement du siècle constituent un terrain de guerre informationnelle.

Une convention avec l'industrie de sécurité française

En marge du forum international de la cybersécurité (FIC) à Lille le mercredi 29 janvier 2020, le ministre de l’Intérieur et la secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie ont signé avec le comité stratégique de la filière « industrie de sécurité » un contrat stratégique.

Le contrat du comité stratégique de filière (CSF) « Industries de sécurité » a identifié cinq projets structurants dont les feuilles de route sont détaillées dans le contrat de filière. Tous font l’objet d’engagements réciproques entre l’industrie et l’État :

  • La sécurité des grands événements et des JO Paris 2024 : développer une offre globale pour sécuriser les grands événements avec la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de 2024.
  • Cybersécurité et sécurité de l’Internet des objets (IOT) : faire émerger le potentiel exceptionnel de la France en matière de cybersécurité en alignant et mobilisant les différents acteurs sur des politiques d’éducation, d’innovation et de développements technologiques.
  • Identité numérique : clef de voute de l’économie numérique, le projet développe des solutions innovantes pour répondre aux enjeux de la lutte contre la fraude, de la protection des données personnelles et de la souveraineté numérique.
  • Territoires de confiance : assurer un leadership français éthique sur la sécurité de la ville intelligente et connectée, au travers de solutions globales pour les collectivités et les sites.
  • Numérique de confiance : structurer des offres industrielles de confiance compétitives pour répondre aux besoins des entreprises et de l’État dans le numérique.
  • Le projet a le triple objectif d’assurer la sécurité des Jeux, de soutenir la modernisation des forces de sécurité en cohérence avec le Livre Blanc de Sécurité Intérieure, et de structurer et développer la filière des industries de sécurité via le Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

Le projet de loi sur la sécurité globale prévoit d’encadrer l’utilisation des outils technologiques.

Les ONG et les associations de défense des libertés :

EDRi est le plus grand réseau européen de défense des droits et libertés en ligne. Le réseau EDRi est composé de 44 ONG, ainsi que d'experts, de défenseurs et d'universitaires qui travaillent pour défendre et faire progresser les droits numériques à travers l'Europe principalement.

EDRi a lancé la campagne « Reclaim Your Face » dans le but de faire interdire l’utilisation de la reconnaissance faciale et les autres technologies biométriques dans les espaces publics. Cette campagne a été créée suite au déploiement récent en Europe de ces technologies pour des raisons de sécurité.

Suites aux manifestations déclenchées par la mort de Georges Floyd en mai 2020, Anesty International milite pour faire interdire les technologies de surveillance de masse à des fins de surveillance de masse.

Depuis plusieurs villes des Etats-Unis ont supprimé l’utilisation de cette technologie. En juin, la société IBM a même renoncé aux développements de la reconnaissance faciale destinées à la surveillance de masse.

Le CIO et les organisateurs des Jeux Olympiques

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, la sécurité des Jeux Olympiques n’a cessé d’être renforcée. La multiplication des menaces et les répercutions d’un événement lors des Jeux ont des impacts sur la diplomatie mondiale.

La période des Jeux Olympiques ne constitue plus une trêve internationale. L’Allemagne lors des Jeux de Munich de 1972 où la liberté devait primer sur la sécurité ont eu la triste expérience de la prise d’otage sanglante d’un commando Palestinien. Dès le lendemain, des raides aériens ont eu lieu en représailles.  50 ans après, l’Allemagne a été contraint de faire un mea-culpa public. Les retombées internationales en termes d’image pour le pays organisateur sont trop importantes pour négliger la sécurité de cet événement.

L’utilisation de la vidéoprotection, de la reconnaissance faciale, des données biométriques ont été utilisées lors des précédentes éditions, Pékin 2008, Londres 2012, Rio 2016 et Tokyo se prépare à l’utiliser pour lutter contre le coronavirus.  Les avancés technologiques permettent de renforcer le niveau de sécurité et de fluidifier les accès lors de l’évènement.

La nature des confrontations

L’opposition entre sécurité et liberté permet de déstabiliser l’opinion public sur ces questions sur fond de guerre économique dans un marché en pleine expansion. Les gouvernements et les ONG vont exploiter la moindre faille pour mettre la France et l’Europe face à ses contradictions.

L’autre terrain de confrontation est sur la fiabilité technologique de la reconnaissance faciale. A ce jour, l’institut américain NIST (National Institute of Standards and Technology) fait référence dans l’évaluation de l’efficacité de cette technologie. Les sociétés chinoises sont très performantes et elles dominent le marché international.

Les biais raciaux des algorithmes est un problème crucial pour les entreprises de reconnaissance faciale dans le monde. La question des discriminations est également un sujet de confrontation comme l’exemple de la ville de Portland suite au décès de Gorges Floyd.

Les Jeux Olympiques seront utilisés comme tous les événements sportifs comme une façon de contrôler et de réguler les oppositions à l’apparition de ces technologies. La menace terroriste qui frappe l’Europe sera également un champ informationnel utilisé pour rassurer l’opinion sur la nécessité d’utiliser les nouvelles technologies.

Ces confrontations participent à une stratégie probable des Etats-Unis pour contrer les entreprises chinoises dans l’exportation de cette technologie.

Les Jeux Olympiques en Europe au centre de la stratégie américaine ?

La croissance des entreprises chinoises de reconnaissance faciale, leurs velléités d’expansion internationale et leur utilisation en moyen de surveillance de masse des populations sont des arguments récurrents avancés par les occidentaux. Le but étant de brandir la menace chinoise pour promouvoir un autre modèle d’utilisation de la technologie, plus éthique, respectant la protection des données individuelles.

Le but étant de promouvoir l’utilisation d’entreprise française ou européenne pour assurer une souveraineté technologique. La stratégie américaine consiste à accentuer les oppositions sur le plan éthique de l’utilisation de la reconnaissance faciale entre les pays occidentaux et la Chine. Le retrait de plusieurs villes américaines de l’utilisation de la reconnaissance faciale et le retrait d’IBM dans la compétition de ce secteur sert à affaiblir les méthodes chinoises de surveillance de masse des populations.

Les Etats-Unis à travers des sociétés-mères contrôlent les leaders du secteur pouvant les exposer au moment où l’Europe doit affronter des menaces exponentielles et où l’affirmation de la protection des données individuelles devient une question fondamentale dans les sociétés.

La stratégie américaine à travers l'exemple Idemia :

Idemia est une entreprise française de sécurité numérique spécialisée dans la biométrie, l'identification et l’authentification, la sécurité digitale, l’analyse de données et de vidéos. Elle est issue du rapprochement de Morpho, créée en 1982, filiale du groupe Safran entre 2007 et 2017 et leader des solutions de sécurité et d’identité, et d’Oberthur Technologies, acteur français de la sécurité digitale et physique, principalement pour les secteurs bancaires et des télécoms. Cette société est le leaders de l’identité augmenté et elle a remporté le contrat pour sécuriser l’espace Schengen pour lutter contre la criminalité clandestine en juin 2020.

La société mère d’Idemia est Advent International, un fond d’investissement américain.

Idemia participe à un projet de l’ONU qui vise à offrir une identité légal numérique à tous pour 2030. La société Morpho avait participé au programme Aadhaar lancé en 2010. Soutenu par la fondation Bill Gates, ce programme a permis d’attribuer à toute personne résident en Inde un identifiant unique associé à ses données biométriques et son état civil. Toutes les données collectées à travers les données biométriques permettent d’améliorer la sécurité et la fluidité aux frontières donc de maitriser toutes les entrées et sorties sur un territoire.

Avec 12 millions de visiteurs attendus lors des JO de 2024 et le contrôle des espaces européens la société Idemia devrait disposer du plus gros volume de données biométriques au monde.

La sécurité des Jeux Olympiques 2024 est au cœur de la bataille économique et technologique sino-américaine. La France et l’Europe devront définir une véritable stratégie si elles veulent à la hauteur de leurs ambitions.

 

Julien Fischer