La légalisation du cannabis récréatif : cas d’une offensive informationnelle

Légaliser ou ne pas légaliser ? Telle est la question. Tel est surtout le débat sur lequel la représentation nationale, via une mission d’information, souhaite maintenant avancer. Les partisans du « oui » et ceux du « non » ont leurs arguments bien rodés notamment ceux en faveur de la légalisation du cannabis récréatif. Pour être précis sur les termes, le sujet traite de l’encerclement cognitif afin de légaliser le cannabis récréatif qui se distingue du cannabis thérapeutique. Une légalisation aux enjeux économiques et géo-économiques si peu évoqués dans les médias.

Les partisans de la légalisation

Plusieurs acteurs entrent en scène pour défendre la légalisation du cannabis récréatif à commencer par au moins deux think tank : Terra Nova, le think tank qui se positionne à gauche sur le plan sociétal et le think tank Génération Libre qui promeut les libertés partout. Ces think tank qui se disent indépendants peuvent aussi compter sur le Conseil d’Analyse Economique, indépendant mais placé sous l’autorité du premier ministre. Autres acteurs : le syndicat professionnel du chanvre, Interchanvre ou bien encore l’Union des transformateurs industriels du chanvre. Le point de convergence de ces entités réside dans la légalisation du cannabis récréatif. Certains pour des raisons de sécurité publique d’autres parce que la liberté de consommer du cannabis, autrement le cannabis récréatif, est importante.

Ces offensives informationnelles existent depuis de nombreuses années et ont réussi à faire rentrer le débat de la légalisation du cannabis récréatif au sein de l’Assemblée nationale. En effet, une mission parlementaire sur le cannabis a été mise en place en janvier 2020 intitulé « Mission d’information commune sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis ». Cette mission parlementaire s’est fait connaitre notamment par le lancement en date du 13 janvier 2021 jusqu’àu 28 février 2021 d’une consultation citoyenne sur le cannabis récréatif. Cette consultation a compté au moins 19 000 connexions dès son ouverture. Ce questionnaire ouvert à tous tente à savoir si celui qui répond pense que le cannabis est aussi dangereux moins dangereux ou plus dangereux que l’alcool. Idem avec le tabac. Bien évidemment, il tente connaitre l’avis au citoyen, sur le sujet du cannabis récréatif. Près de 250 000 personnes qui se sont prononcées et qui motiveront des députés à déposer une proposition de loi en sa faveur. On peut s’interroger sur le parti pris à priori de ces députés à la tête de cette mission d’informations, toujours est-il qu’en l’état actuel des choses, il s’agit d’un coup d’épée dans l’eau. Enfin, jusqu’à ce que le gouvernement actuel et en premier le Président de la République Emmanuel Macron et son ministre de l’intérieur Gerald Darmanin changent de position en la matière « Je ne peux pas, en tant que ministre de l'Intérieur, en tant qu'homme politique dire à des parents qui se battent pour que leurs enfants sortent de l'addiction à la drogue, que l'on va légaliser cette merde. Et je dis bien 'cette merde' ». L’offensive informationnelle de ces acteurs va sans doute faire changer la loi en dépit des positions politique de ces derniers.

Un encerclement cognitif sous plusieurs formes

Alors que les réfractaires à la légalisation du cannabis récréatif opposent l’argument que « c’est de la merde », dans cette guerre d’information par le contenu, leurs opposants qui poussent l’Etat français à éliminer les entraves à la liberté d’entreprendre et de commerce du cannabis avancent d’abord par un axe scientifique : la feuille de cannabis est composée de multiples molécules dont principalement le THC et le CBD qu’il ne faut surtout pas confondre selon eux. En effet, de nombreux contenus écrits et vidéos pédagogiques viennent expliquer que le THC est effectivement dangereux car psychotrope contrairement au CBD qui ne représente aucun danger pour la santé.

Par conséquent, ils arrivent à démontrer que ce qui empêchait la légalisation du cannabis pour des raisons de santé publique n’est plus opérant car la consommation de CBD, en l’état actuel des données scientifiques, n’encoure aucun danger. Et c’est sur cette nuance fondamentalement scientifique que les promoteurs de la légalisation du cannabis se positionnent. En effet, ils souhaitent exclusivement produire et commercialiser les produits à base de CBD. Pour eux, la légalisation du cannabis récréatif est avant tout la légalisation de la production et de la commercialisation de produit à base exclusivement de la molécule CBD sans aucune présence du THC.

L’offensive informationnelle prend aussi forme sous l’angle juridique au regard du droit de l’Union européenne. En effet, via une question préjudicielle introduite par la cour d’appel d’Aix en Provence, la Cour de Justice de l’Union européenne a posé un arrêt fondamental en matière de légalisation du cannabis récréatif. Le 19 novembre 2020, la CJUE estime que « Un État membre ne peut interdire la commercialisation du cannabidiol (CBD) légalement produit dans un autre État membre lorsqu’il est extrait de la plante de cannabis sativa dans son intégralité et non de ses seules fibres et graines.  Cette interdiction peut toutefois être justifiée par un objectif de protection de la santé publique mais ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint » et que « la juridiction nationale doit apprécier les données scientifiques disponibles afin de s’assurer que le risque réel allégué pour la santé publique n’apparaît pas comme étant fondé sur des considérations purement hypothétiques. En effet, une interdiction de commercialisation du CBD, qui constitue, d’ailleurs, l’entrave la plus restrictive aux échanges concernant les produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres, ne saurait être adoptée que si ce risque apparaît comme suffisamment établi. »[1]

Autrement dit, en plus de l’axe scientifique, les partisans du cannabis récréatif peuvent compter sur l’arme du droit via cet arrêt pour faire avancer leurs offensives à condition de montrer que le risque de santé publique est inexistant. Ces deux offensives utilisées en parallèle permettent ainsi de contraindre l’Etat français à changer sa règlementation en matière d’économie du CBD sous peine d’être sanctionné par le droit de l’Union européenne.

Un marché prometteur

En sus des arguments liés à la liberté individuelle et à la culture ancestrale du chanvre, on observe un parfait encerclement cognitif à des fins économiques. Un enjeu important puisque ces acteurs visent à promouvoir le CBD made in France. Une production nationale permettant de lutter contre le cannabis en provenance du Maroc qui, dans ce qui est vendu dans le commerce sous terrain, est composé de THC. En d’autres termes, sur le marché de la consommation du cannabis récréatif, il s’agit pour les acteurs du CBD national de gagner des parts de marchés sur les trafiquants de drogue en proposant aux consommateurs des produits français et sain pour leurs santés.

Le marché français est super attractif pour les producteurs de cannabis et notamment pour ceux et celles qui souhaitent commercialiser le CBD français. Avec un marché de plus de 65 millions d’habitants, sachant que la France est le premier pays consommateurs d’anti dépresseurs, il s’agit effectivement d’un marché prometteur de 3, 24 milliards d’euros en 2020.   Par ailleurs, si la France autorise la légalisation de ce produit, par l’influence informationnelle des partisans du CBD, il faudra faire face à des entreprises internationales notamment américaines et canadiennes qui sont prêt à ouvrir des officines en France et qui ont déjà de quoi investir massivement en France.  Les opposants à cette légalisation ne peuvent plus se contenter d’injonctions morales pour faire face à cet encerclement cognitif en ordre de bataille.

 

Mohamed Gareche
Auditeur de la 35ème promotion MSIE

[1] Affaire C‑663/18, CJUE, 19 novembre 2020,