La loi PACTE favorise-t-elle l’encerclement cognitif étranger dans le processus de labellisation de nos entreprises ?

 

Les processus d’encerclement cognitif ne sont pas toujours faciles à identifier lorsque les parties prenantes se contentent du vernis de discussions techniques qui masquent le dessous de certaines cartes dont la portée peut être de nature stratégique. Le processus de labellisation de la société à mission qui accompagne la loi PACTE en est une illustration parmi d’autres.

De quoi s’agit-il ?

Le 22 mai 2019, le Parlement Français a promulgué la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) qui vise à « Permettre à nos entreprises d’innover, se transformer, grandir et créer des emplois » (Bruno Lemaire, Ministre de l’Économie et des Finances de France depuis 2017).

La loi PACTE est donc une nouvelle étape dans la transformation en profondeur de la France économique par le développement de l’intérêt social, la raison d’être et la société à mission. Son objectif est de mobiliser les entreprises commerciales vers des initiatives sociales et environnementales. La sphère politique en incitant à cette mutation veut répondre positivement à l’attente des citoyens français et aux pressions des partis politiques et des groupes de pressions et rattraper le retard juridique de la France, face aux États-Unis, la Grande Bretagne et l’Italie. Cependant, la loi PACTE engendre un effet d’aubaine permettant à des acteurs économiques étrangers d’influencer durablement nos structures politiques et économiques. En effet, « La transition écologique est la quatrième grande révolution industrielle après le charbon, l’électricité et l’internet. » (Bernard Carayon le 19/11/21.)

Des textes fondateurs de la transition écologique…à la loi PACTE.

Dans le cadre de la mutation des comportements de la société civile face aux enjeux climatiques, plusieurs textes fondateurs de portée internationale ont contribué à structurer la pensée d’une nouvelle dimension de l’entreprise moderne, nous citerons :

. 1976 / Les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales (révision en 2011)

. 1977 / La déclaration tripartite de l’OIT sur les entreprises multinationales (révision en 2017).  . 1999 / Le pacte mondial des Nations unies

. 2010 / La norme ISO 26000

. 2011 / Les principes directeurs des Nations Unies relatif aux entreprises et aux droit de l’homme

. 2015 / Les objectifs de développement durable

Ces contributions internationales ont conduit les états à repenser leur dimension environnementale et à imposer une vision holistique de l’entreprise (prendre en compte et rendre compte) comme le montre l’exemple de la France avec la mise en place de la loi PACTE. En complément de fondamentaux structurels, la sphère sociale française s’est vu influencée, depuis des décennies, par des discours environnementalistes puissants et des médiatisations présentant une rhétorique des enjeux politiques à défendre. Ainsi, en  intimant à tous de se réveiller face aux enjeux climatiques, le Président Jacques Chirac, lors de son discours au « Sommet de RIO » de 2000, influença historiquement la politique française vers la voie de la  transition écologique  et contribua à diriger une action globale auprès de la société civile ; Cette dernière s’empressera, par la suite, de répondre favorablement au travers de communication idoines et comportement sociaux plus éthiques. La prise en compte de la dimension « écologique » s’est poursuivie en France au travers de la mise en place d’un Ministère de l’environnement, de la créations des parcs nationaux, de la protection du littoral, de l’instauration du principe pollueur-payeur, du Grenelle de l’Environnement…

La promulgation de la loi PACTE est, par conséquent, une étape clé dans le processus d’ajustement des structures économiques françaises, faisant face à la contrainte de la contingence d’urgence environnementale dans un contexte mondialisation en mutation rapide.

La « mission » et son sous-entendu en termes de guerre économique

Rappelons que les organisations à mission, à vocation de conquête, ont toujours existé. Dès lors que des enjeux de conquête politico-militaire, économique, culturelle ont émergés, il s’est forgé dans la conscience collective une dimension de guerre économique corrélée à une intention justifiée d’une « mission ». Qu’elle ait été de nature clanique, étatique, commerciale, la mission fut l’épicentre de la recherche de pouvoirs, de savoirs, de propriété au travers de l’appropriation de la « valeur ajoutée économique » à travers le monde.

Plus récemment, la meurtrissure des guerres létales successives, vécues par le monde occidental depuis la Révolution française, imprima au sein des populations un réflexe de sauvegarde de l’humanité puis de son écosystème vital.

C’est dans ce contexte historique de protection et de reconstruction, que Bowen, père de la Responsabilité Sociétale des Entreprises, imagina au travers de son ouvrage «Aux sources de la Responsabilité́ Sociale de l'Entreprise: relecture et analyse d'un ouvrage séminal : « Social Responsibilities of the Businessman » d'Howard Bowen (1953)», les fondations de la Responsabilité Sociétale des Entreprises, forme contemporaine de cette dynamique sociale de l’entreprise à mission.

La labellisation de la société à mission, un enjeu d’influence et de puissance

Vingt ans après le Sommet de Rio, la réalité de la société à mission est confuse. Ébranlée par les crises financières de 2008, plongée dans des écosystèmes digitaux et normatifs pluriels, la conscience collective du faire mieux pour tous avec frugalité et résilience, prend le pas sur l’identité de la financiarisation des économies. L’heure est venu de devenir éthique, moral, responsable, empathique et, à cet effet de « mode morale », s’adosse une logique de guerre commerciale sino-américaine imposant aux parties de redéfinir de nouvelles règles de domination cognitive, normative et financière. Par ailleurs, comme l’explique Philippe Baumard dans « la guerre cognitive », la doctrine américaine aurait la vocation de « façonner le monde par l’harmonisation des pratiques et des normes internationales sur le modèle américain. Ainsi, en s’appuyant sur un réseau d’influenceurs politique et conditionnant la connaissance des organisations par des méthodes de management clairement orientées pour soutenir  la thèse libérale américaine, les États-Unis développent leur capacité à établir durablement leur souveraineté en contournant habilement la réglementation européenne (Privacy shield ou RGPD).

L’intrusion par le bais d’ONG anglosaxonnes

La loi PACTE, en introduisant l’entreprise à mission, a ouvert la porte de Pandore aux labels privés tel que « B Corporation », label privé américain de certification de démarche environnementale. Cette ONG, dont la mission est d’inciter les entreprises du monde à s’engager dans le mouvement des entreprises à impacts positifs, et dont le budget opérationnel est de 12 millions de dollars en 2019, trouve ses fondements en 2006, lorsque sont imaginés et créés les nouveaux statuts des entreprises à mission américaines (Benefit Corporation, Social Purpose Corporation, Flexible Purpose Corporation).

 

Bcorporation

 

Pour exister, « B Corporation » au travers de son entité « B LAB » et son diagnostic B IMPACT ASSEMENT,  a développé son principe de certification s’appuyant sur une logique marketing offensive. Elle est financée par des acteurs privés tel que The Rockefeller Foundation, Prudential, Skoll Foundation, assurant à eux seuls 32 % (soit3,84 M$) du financement de cette organisation. Il apparait évident que la présence de ses fondations privées, dans le financement de cette ONG, posent plusieurs questions : Est-ce une volonté d’exercer un greenwashing pour renforcer l’image de leurs investissements directs et indirects à l’étranger ? Est-ce la volonté des États-Unis d’intervenir indirectement sur le champs normatifs des standards des entreprises françaises pour mieux capter la valeur future de nos entreprises à potentiel par des fonds vautours en veille active ?

Une manière d’influencer habilement le monde politique

Ensuite, sur le plan politique, nous constatons l’encerclement cognitif réalisé par B Corporation. En effet, le Délégué Général de B Corporation France, Augustin Boulot, fut préalablement « Coordinateur au pôle soutien aux élus, communication et innovation politique au groupe La Rem ». Il dispose donc de ses entrées pour exercer sa fonction de lobbyiste auprès de notre corps politique ; il joue ainsi son rôle d’acteur pivot dans cette stratégie de conquête informationnelle. Cette action d’accroissement de puissance se perd dans le bruit de la transformation de la sphère économique française qui a réalisé, en septembre 2021, une mutation du CAC 40 en utilisant un nouvel indice, le CAC 40 « ESG » répondant au standard de la RSE ; une promesse d’un capitalisme plus florissant et d’une posture économique différenciée. La construction de l’avantage concurrentiel sera dorénavant attachée à la capacité des entreprises d’inscrire dans leurs gènes cette dimension environnementale. La traduction opérationnelle de cette transformation sera officialisé dans les rapports annuels environnementaux devenant une pierre impérative à l’édifice de leurs comptes annuels, ainsi que dans la transformation de leurs statuts, sous l’influence de la doctrine US qui les labélise (Exemple de Danone).

Enfin, la pénétration de B Corporation, entreprise américaine, comme certificateur de nos entreprises françaises interpelle. A ce jour, 95 % des entreprises certifiées en France par B Corporation, tel que YNSECT, pépite française, sont issues de la « start up machine » française.

Le label public de l’« Entreprise à mission », une voie française contrariée

L’article L.210-10 du code de commerce définit la société à mission. Son objectif est de mobiliser les entreprises commerciales vers des initiatives sociales et environnementales. La sphère politique en incitant à cette mutation veut répondre positivement à l’attente des citoyens français et aux pressions des partis politiques et des groupes de pressions et rattraper le retard juridique de la France, face aux États-Unis, la Grande Bretagne et l’Italie.

Conscient des enjeux, certains élus ont réagi, désireux de contrer cette position de certification privée, en proposant la création d’une certification publique des performances sociales et environnementales des entreprises. Cette proposition de loi du 22 octobre 2019 réalisée par Boris Vallaud, par Valérie Rabault ainsi que l’ensemble des membres du groupe Socialistes et apparentés, a été rejetée par l’Assemblée nationale. Un tel positionnement de l’Assemblée Nationale pose la questions de la propriété des éléments de réponses transmises à B Corporation lors du renseignement du questionnaire « B IMPACT ASSEMENT » par les acteurs français sur un serveur domicilié à San Antonio aux Etats-Unis d’Amérique et dont le « Registant Name » est : « Redacted for privacy », une opacité surprenante pour une ONG de portée internationale !

Comment interpréter un tel laisser faire du pouvoir politique actuel en France ?

Ne pas défendre offensivement nos institutions et nos entreprises, mobilisées pour la sauvegarde de notre économie, face à cet encerclement normatif indirect et à cette ingérence subversive américaine, est une erreur stratégique majeure. Une entreprise française ne peut, dans ses conditions de subversion, accepter de rester neutre et engager la souveraineté économique et environnementale de son pays en livrant, avec tant de facilités, les composantes de sa différence nationale en terme savoir-faire et d’usages sociétaux et environnementaux.

Au-delà de la volonté des États-Unis de promouvoir leur mode de pensée occidentale « Shaping the world » et les valeurs qui l’accompagnent « Shaping the mind », apparait un rôle étendu de leur mission initiale. En effet, après la posture identitaire de « gendarme du monde » mis en défaut dans les récents conflits lybien et afgan, les voici bienfaiteurs culturels de l’écolonomie holistique mondial, « Shaping the environmental status ». En contournant les règles de la RGPD pour obtenir à « coût marginal quasi-zéro » nos datas sensibles, en influençant structurellement et durablement les comportements de nos entreprises, les États-Unis modifie notre rapport à la « Compliance » et prépare, ainsi, le devenir de leur posture offensive de « puissance économique et environnementale ».

Les interrogation soulevées par ce système de certification

Devons-nous y voir une confirmation de l’ingérence US, dans nos dynamiques régionales au travers de la mise en place de son « information dominance » ?

Comment comprendre le laisser faire français face à la pénétration de la doctrine américaine dans nos nouveaux écosystèmes à fort enjeu comme la nouvelle école HECTAR fondée par Xavier Niel ?

La mise en place de la loi PACTE et sa traduction « entreprise à mission » dans une transition RSE constituent-elles un réel avantage concurrentiel pour la France ?

La question de la souveraineté effleurée par Emmanuel Macron au début de la pandémie ne concerne pas que le domaine de la santé.

Sur l’application de la loi PACTE, il serait risqué d’aseptiser le débat :

 Pourquoi acceptons-nous de confier à un tiers de confiance étranger le soin de certifier nos entreprises françaises à mission ?

. Pourquoi, à l’heure du questionnement sur le « Cloud Souverain », acceptons-nous de donner nos données stratégiques gratuitement à un Etat allié mais concurrent ?

. Qui, derrière cette ONG de façade, a intérêt à collecter nos données et à les exploiter ?

Que se passera-t-il demain, quand la Chine interviendra avec son propre label environnemental sur nos territoires au travers de ses investissement directs et indirects et en nous imposant, au prix du rêve d’un commerce florissant, ses règles du jeu ?

 

Jean Christophe Léon

 

Repères bibliographiques

La guerre cognitive – Christian Harbulot et Didier Lucas.

Histoire mondiale de la guerre économique – Ali Laïdi.

Rapport d'information n° 572 (2019-2020) de Mme Élisabeth LAMURE et M. Jacques LE NAY, fait au nom de la délégation aux entreprises, déposé le 25 juin 2020.

Le nationalisme économique américain – Christian Harbulot

 

Webographie

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