La société civile peut-elle être vecteur de normes ? Le cas du carbone score

Le 25 avril 2019, Emmanuel Macron annonce la création d’une Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) qui a pour objectif de chercher des solutions pour la transition écologique et la justice fiscale.

Considérée comme une nouveauté politique en France, elle s’inspire du fonctionnement d’assemblées citoyennes constituées en Islande (2010) et en Irlande (2012). La création de cette Convention est soutenue par le CESE et a pour objectifs politiques d’apporter plus de démocratie délibérative et de tourner la page des « gilets jaunes ». Elle doit répondre à la question suivante : Comment réduire d’au moins 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, dans le respect de la justice sociale ? Une confrontation informationnelle va naître de cette question entre deux acteurs : le gouvernement français et des représentants de la société civile.

L'origine du débat

La convention Citoyenne pour le Climat a démarré ses travaux les 4-5-6 octobre 2019 Pour présenter le livrable final au gouvernement et à la presse les 19-20 et 21 juin 2020. Le Gouvernement a répondu à ces 149 propositions le lundi 29 juin 2020 via le Président de la République Emmanuel Macron avec un avis favorable sur l’obligation d’affichage d’un score carbone pour tous les produits de consommation et les services. Néanmoins, un avis officiel de la CCC sur les réponses apportées par le gouvernement le 2 Mars 2021 a été publié affichant 31% des citoyens de la CCC insatisfait de la position du gouvernement sur la mesure du carbone score (pour 34% satisfait) et recommandant la mise en place des deux actions ci-dessous :

. Proposition C1.1 : Développer puis mettre en place un score carbone sur tous les produits de consommation et les services

. Proposition C1.2 : Rendre obligatoire l’affichage des émissions de gaz à effet de serre dans les commerces et lieux de consommation ainsi que dans les publicités pour les marques

L’objectif recherché par le CCC avec l’outil « carbone score » est de répondre au besoin de plus de transparence sur ce qui est acheté/consommé et à la nécessité de sensibiliser la population sur l’impact environnemental de son action, via l’information. La CCC offrant même la note de 2,5 sur 10 au projet de loi de Barbara Pompili, le considérant comme peu ambitieux. La stratégie du gouvernement qui par la voie de B. Pompili rétorquera que les citoyens issus de la CCC font de la politique via ces notations et de décrédibiliser l’avis de la CCC. Nous sommes dans une guerre d’information typique avec un rapport du fort (le gouvernement) au faible (la CCC). 

Un combat informationnel sur un étiquetage sur le carbone

Le 9 mars 2021, l’Assemblée Nationale valide l’expérimentation de la mise en place d’un étiquetage « carbone score » avec une expérimentation de 5 ans. La bataille informationnelle et technique initiée entre la CCC et le gouvernement se déplace alors au sein de l’hémicycle. Sujet de société, cet étiquetage fait réagir les élus écologistes qui jugent par la voie de Delphine Batho qui le gouvernement ralenti le processus et ne le contraint pas avec une durée d’expérimentation de 5 ans.

Le débat se déplace aussi sur les critères de calcul du carbone score avec des amendements pour prendre en compte les émissions de gaz à effet de serre, les atteintes à la biodiversité et la consommation des ressources naturelles. La notion de spécificité de calcul pour des secteurs précis est aussi introduite par le gouvernement : pour les produits agricoles, sylvicoles et alimentaires ; « les externalités environnementales des systèmes de production » pourront être intégrées. Est-ce que les discussions portant sur son mode de calcul ne nuisent-elles pas dans le temps à l’efficacité et lisibilité du dispositif ? Est-ce que cet affichage gagne-t-il ou perd-t-il en pertinence si son socle (méthode de comptabilisation de l’impact carbone) est évolutif selon les secteurs ? Seul son déploiement à grande échelle et la réaction, comme l’adhésion des citoyens permettra sous doute d’y répondre. 

Dans la continuité du « combat informationnel » au niveau du pouvoir législatif pour faire face à cet outil « carbone score », des initiatives voient le jour. Deux amendements ont été déposés par deux groupes politiques différents, avec comme proposition la création d’un label « faible intensité carbone » et d’un « score environnementale ». Une initiative plus ancienne avec le label « Bas Carbone » reçoit aussi une volonté politique récente (le 26 Aout 2021) d’être dynamisée, par la Ministre de la Transition Ecologique. Pour la CCC, c’est une guerre de l’intoxication subite car son message et la portée de son outil (le carbone score) sont dilués au travers de ces contre-propositions. Une guerre chanceuse pour le gouvernement et provoquée à l’Assemblée grâce à la sur-réaction des différents partis politiques qui l’ont transformé en combat politique.

On peut donc s’interroger sur la concordance temporelle globale (entre les discussions sur les méthodes de calcul et sur les différents affichages environnementaux possibles) qui peut générer un risque de confusion et mettre à mal le déploiement d’un outil informationnel fiable, lisible, unique et clair.

Une guerre économique sous-jacente

En effet, tant les consommateurs que les sociétés privées ont besoin d’une vision claire à la lecture les enjeux économiques associés :

. Les entreprises françaises vont devoir investir dans des ressources humaines et des outils techniques pour modéliser le score carbone de chacun de leur produit. Certaines s’interrogent sur l’investissement associé nécessaire vs le bénéfice attendu quand elles ont une grande largeur de gamme (textile) ou un renouvellement régulier de la largeur de gamme (la mode vestimentaire à bas prix).

. D’autres sont soucieuses des distorsions de concurrence probables entre PME et grands groupes qui n’auront pas la même capacité ni les mêmes facilités pour calculer et afficher ce carbone score.

. En termes d’image : la perception des convives/consommateurs issue de la notation d’un produit devient-elle un accélérateur ou un frein à l’achat ?

. L’anticipation de cet affichage par la France devient-elle une source de compétitivité européenne voire mondiale sur le marché français pour les entreprises françaises bénéficiant de score proche de A et B ou devient-elle une tâche administrative additionnelle réduisant la capacité d’action de l’entreprise ?

La notion de « score carbone ne fait pas allusion à la notion de compétitivité prix et de guerre économique au sein du débat français alors que d’autres Etats comme le Royaume-Uni, pensent à l’afficher. L’Union Européenne a aussi lancé un programme de réflexion à ce sujet.  Dans une période où les enjeux de planification et de réalisation d’un virage environnemental correspondent à des préoccupations majeures des sociétés civiles, ne serait-ce pas l’opportunité pour une marque française d’augmenter son capital de notoriété et de sympathie ?

Avantage de l'instauration d'une "norme civile" à la française ?

Serait-ce l’occasion d’intégrer une « norme civile » au marché français des biens et des services afin de favoriser les entreprises françaises et afin de favoriser la production/ la relocalisation sur le territoire. Nous définissons dans cet article la notion de « norme civile » comme une attente issue de la société civile, retranscrite sur l’ensemble des biens et des services via un moyen d’identification facile générant un acte de consommation potentiellement modifié à grande échelle. Cette « norme civile » impliquerait donc un changement de production ou de prestation de la part des sociétés marchandes afin d’être perçu comme « positive/favorable » face à cette « norme civile » dans une tendance où le patriotisme cherche un second souffle (« Made in France »).

Dans le cadre de la guerre informationnelle mondiale où la prise d’initiative sur l’établissement des normes est un rouage essentiel de compétitivité mondiale, la notion de « norme civile » peut-elle être un outil de souplesse et d’efficacité pour un état afin de se défendre économiquement vs la rigidité et la complexité des normes internationales ?

Le carbone score est né de la société civile et actuellement repris et modélisé par le gouvernement français via l’ADEME. Plutôt qu’une guerre interne, française, liée à des considérations idéologiques et politiques, n’est-ce pas l’occasion cognitive collective de rentrer dans un combat informationnel avec nos partenaires externes (Etats et entreprises étrangères) afin d’être parmi les premiers pays à établir cette « norme civile » avec le carbone score,  basée sur des principes de calculs scientifiques permettant y fine une relocalisation et une ré-industrialisation de la France ?

 

Thibault Chevalier

Auditeur de la 41ème promotion MSIE de l’EGE