La ZLECAF va-t-elle stimuler l'économie africaine ou bien se transformer en outil de prédation économique

L’Afrique a une longue histoire d’initiatives visant à créer une coopération économique régionale. Citons l’exemple de l’union douanière d’Afrique Australe (SACU) de 1889, conclue entre la colonie Britannique du Cap de Bonne Espérance et la république Boer de l’Etat de libre d’orange .Tout comme le CEA (Communauté Economique Africaine), établie par le traité relatif à la coopération de l’Afrique de l’Est en 1967 dans le but de renforcer le CER (Communauté Economique Régionale) qui avait ses limites surtout dans les initiatives douanières. Tous ces jonglages ont finalement abouti en 2006 par des votes favorables à la reconnaissance d’une nouvelle CER lors de l’Assemblé générale des Chefs d’Etats et de Gouvernement de l’Union Africaine. C’est ainsi que l’UA en 2015 dirigé par Dr. Nkosazana Dlamini-Zuma a ouvert les négociations en vue de la création de la zone de libre-échange continentale sous le nom de la ZLECAF.

La ZLECAF est un projet de libre échange économique en cours de création sur l’ensemble du continent Africain. Le Projet recouvre plusieurs Institution Economique et politique des Etats Africains, telle la zone tripartite de libre-échange, le COMESA, le CAE, le SADC, le CEEAC, la CEDEAO. L’objectif principal est d’intégrer 55 pays dans ce projet. Il eut plusieurs sessions ordinaires de la Conférence de l’UA entre 2015 et 2018. C’est en 2018 que 44 pays ont été signataires de ce projet au sommet à Kigali.

Le 7 juillet 2019, le président du Nigeria, Muhammadu Buhari, et le président du Bénin, Patrice Talon, signent l'accord de libre-échange lors d'un sommet de l'Union africaine au Niger. Cela totalise en tout à ce jour 54 pays signataires. C’est seulement en 2020 que le Nigéria approuve sa ratification. Aujourd’hui il n’y que 8 Etats non ratificateurs (Bénin, Liberia, Libye, Madagascar, Mozambique, Somalie, Soudan et le Soudan du Sud).

Comment expliquer la position de retrait de ces 8 Etats qui sont devant le dilemme suivant :  un tel accord va-t-il favoriser leur développement économique comme l’expliquent les grands médias internationaux ou sera-t-il perçu in fine comme un outil de prédation économique entre puissances africaines ou internationales ?

Les arguments en faveur du ZLECAF

Dans un premier temps, l'objectif de la ZLECAF sera de favoriser le commerce intra-africain en permettant de faire des affaires plus facilement sur tout le continent. L’accord de libre-échange envisage de supprimer les droits de douane pour 90 % des marchandises. Les négociations portant sur les tarifs et les règles d’origine sont encore en cours.

En définition la ZLECAF permettra d’une part :

. De sortir 30 millions d'Africains de l'extrême pauvreté et d'augmenter les revenus de près de 68 millions d'autres personnes qui vivent avec moins de 5,50 dollars par jour.

. D’augmenter les revenus de l'Afrique de 450 milliards de dollars d'ici à 2035 (soit une progression de 7 %) tout en ajoutant 76 milliards de dollars aux revenus du reste du monde.

. D’accroître de 560 milliards de dollars les exportations africaines, essentiellement dans le secteur manufacturier.

. De favoriser une progression salariale plus importante pour les femmes (+10,5 %) que pour les hommes (+9,9 %).

. D’augmenter de 10,3 % le salaire des travailleurs non qualifiés et de 9,8 % celui des travailleurs qualifiés.

D’autre part la phase opérationnelle de l’accord établissant la zone de libre-échange continentale africaine enclenché, devrait faire émerger un marché de 1,27 milliard de personnes, dont le PIB cumulé s’élève à 2460 milliards de francs et dont les dépenses totales des ménages et des entreprises dépassent 3900 milliards.

Les critiques contre de projet

En effet[AdMdM2]  il y a un blocage au niveau de ces pays pour déposer leurs instruments de ratification.

Le Docteur Hicham Hafid chercheur à l’université Mohamed V, lors d’un interview sur Medi1TV Africa « disait que le plus grand blocage est celui du chevauchement et de l’alignement par rapport aux principaux objectifs et devoir de certains pays, qui posera un obstacle à leur ratification ».

Le niveau d’engagement et préparation pour la mise en œuvre de la ZLECAF avait révélé que le Bénin occupe la 31ème place avec 47,79. Ce rapport a été rédigé sur la base de 3 critères. Il s’agit premièrement de l’engagement envers l’Accord, le Traité de libre-échange, à travers la signature et la ratification à la ZLECAF ensuite à la mise place d’une stratégie nationale de mise en œuvre selon le cahier de charge de la ZLECAF. Le deuxième indicateur concerne l’engagement à travers la ratification du protocole de la libre circulation des personnes et de l’ouverture des visas du pays. Il n’est pas étonnant que le Bénin, pays voisin direct du Nigéria, reste silencieux sur le sujet à cause problèmes de de libre circulation avec un voisin dont la démographie importante est si importante. Ce serait une aubaine pour le Nigéria de faire rentrer facilement des profils d’hommes d’affaires non recommandables sur le territoire béninois et influencer l’écosystème des affaires au Bénin grâce à cet accord. D’autre part Le Bénin compte beaucoup sur ses ressources douanières pour se développer et cet accord risquerait de réduire la marge de ses recettes financière douanière[i].

En revanche pour certains des autres pays qui n’ont pas ratifié tels que le Libéria, le Soudan du sud ou la Libye, le blocage se trouve dans les domaines de la libre circulation des personnes ainsi que de l’intégration sociale, commerciale et financière. Ces pays trouvent que la ZLECAF sera peu performante pour répondre à leurs aspirations.

Ces huit pays non ratifiés attendent encore plus de ce que la ZLECAF pourrait leur apporter face à leur réalité économique et politique. En étudiant cet accord, ils en déduisent que ce sont les grandes économies africaines qui seront le plus susceptibles à tirer leur épingle du jeu. Cela explique peut-être pourquoi l’Afrique du Sud ait été un fer de lance dans la bonne marche de ce projet.

Pourquoi l’Afrique du Sud est le pays le plus motivé dans cet accord ?

Cette nation apparait régulièrement dans ce processus. M. Wamkele Mene, le premier secrétaire de cet accord de libre échange est de nationalité sud-africaine. Rappelons à ce propos que c’est en 2015 que Dr. Madame Nkosazana Dlamini-Zuma gouverneur de l’UA a ouvert les négociations en vue de la création de la zone de libre-échange continentale. Madame Nkosazana Dlamini-Zuma était l’ancienne épouse de l’ancien président sud-africain, Jacob Zuma. Il s’agit d’une étrange coïncidence : c’est durant le mandat du Président Jacob Zuma que le projet a été initié et a été plus argumenté et favorisé dans les grands congrès africains.

L’Afrique du Sud cherche-t-elle dans ce projet de libre-échange, à conclure un accord équilibré ou être à la tête de l’Afrique sachant que son plus grand concurrent en Afrique est le Nigéria.

L’Afrique du Sud[ii] est la première économie d’Afrique australe (plus de deux-tiers du PIB) et la seconde en Afrique sub-saharienne (420 milliards de dollars en 2021) derrière le Nigéria (440 milliards de dollars). La situation des finances publiques sud-africaine est dans le rouge depuis de nombreuses années. Un tel déficit supérieur à 4,5% du PIB en moyenne sur la décennie, s’explique par la faiblesse de sa croissance, de la désorganisation de l’administration fiscale et du soutien financier accordé aux entreprises publiques sous la présidence de Jacob ZUMA.

Pour remédier à un tel déficit après plusieurs années de financement par les bailleurs internationaux entre 2018 à 2020, l’Afrique du Sud a contracté en moyenne 960 milliards de dollars d’Aide Publique au Développement (APD) par an auprès des bailleurs bilatéraux. La grande majorité de cette somme a été décaissée par les Etats-Unis (60%) et l’Allemagne (19%). La France se place en troisième position, avec 80 milliards de dollars de versement brut par an, soit 8,5% du total. Selon les années, entre 60% et 80% de cette somme provenait du décaissement de prêts de l’AFD.

Avec tous ces prêts, on peut s’interroger sur la nature de la contrepartie ? Par quel instrument, le trésor public sud-africain pourrait-il amortir facilement ces engagements. A-t-il besoin d’une stimulation économique sous régionale qui aiderait l’Afrique du Sud à défendre ses intérêts de manière subtile et continuer à avoir un ascendant sur les autres pays africains en régularisant ses dettes. On peut s’interroger sur l’apport des USA dans le cadre de la bonne mise en place de ce projet connaissant bien sa proximité forte avec l’Afrique du Sud.

Que veulent les USA en retour de la création de la ZLECAF

Notons que ces sept dernières années, l’influence grandissante de la Russie sur le continent, couplée aux liens étroits tissés entre la Chine et plusieurs pays africains, a poussé les Etats-Unis à passer à l'offensive sur le plan économique en Afrique . Prétoria occupe toujours une place de choix dans cette offensive de charme.

C’est pourquoi le Président Joe Biden, qui jusqu'ici ne s'est pas rendu en Afrique, a organisé en décembre 2022 à Washington un grand sommet avec des dirigeants africains. Ce qu’on peut retenir de ce sommet, est que les USA comptent profiter de la ZELCAF pour stimuler ses échanges avec le continent africain par la signature d’un accord de partenariat puissant dans l’optique de redynamiser la coopération commerciale. Washington veut mettre la Chine en hors-jeu sur tout le continent africain. Le commerce entre les USA et l’Afrique s’élevait à 64 milliards de dollars contre 254 mlilliards avec la Chine en 2021 ce qui fait de Pékin le partenaire premium de l’Afrique en termes d’échanges commerciaux.

L’ambassadrice américaine, KatherineTai, rappelait que l’administration Biden reconnait qu’il est impossible de relever les défis actuels du commerce international sans la contribution de l’Afrique. On peut s’interroger sur la manière dont les USA désirent être un partenaire important pour la mise en œuvre de ce projet.

 

Paul Luc Uriel Cakpo
auditeur de la 41ème promotion MSIE

 

[i] La Douane fournit à l’Etat Béninois une bonne partie de ses ressources budgétaires. Ainsi pour le compte du premier semestre 2017, les recettes douanières se sont élevées à 127.3 milliards de francs CFA soit 30 % des recettes ordinaires, très important pour un Etat souverain.

[ii] En 2021, le pays affichait un PIB par habitant de 6 950 dollars ce qui lui donne le numéro 1 de la plus grande économie en Afrique.