L’accroissement de puissance de l’Allemagne doit demeurer sous haute surveillance

Tandis que l'Allemagne profite de l'Union européenne pour prospérer économiquement, la France la protège au prix d'un coût exorbitant. Dans un monde plus que jamais multipolaire, où la résurgence de géants à l’ambition de nouveau assumée, remet au gout du jour le concept oublié de puissance, les relations avec nos voisins, notamment l'Allemagne, doivent être vécues à la lumière de nos intérêts et du point de vue de la confrontation parce qu'il n'y a pas de paix entre des puissances inégales.
Les mutations récentes et profondes de la politique mondiale imposent une réflexion stratégique sur cette apparente unité Franco-Allemande, comme dirait Woody Allen « un couple c’est quand deux personnes n’en font plus qu’une… mais la question est de savoir laquelle ». La réalité de ce couple est plus brutale.
Dans ce cas, parler de rapports de forces n'est plus un tabou. L'analyse de certaines contradictions allemandes nous aide à mieux comprendre les défis futurs de cette relation.  L’Allemagne s’affiche comme un géant économique et sa balance commerciale en témoigne. A contrario, la France accuse une faiblesse structurelle de son déficit. [1]
Cet avantage compétitif est le résultat d’une stratégie d’équilibriste

Berlin adopte une posture de combat contre le nucléaire français

Le monde est régi par l'ordre Mélien. Mieux vaut, pour une nation savoir préserver ses intérêts face aux attaques d’autres puissances. La France l’a observé à ses dépens dans le cadre de son opposition avec l’Allemagne sur sa politique énergétique.
D’un point de vue politico-stratégique, l’Allemagne a mis en place un encerclement cognitif autour du nucléaire français. [2] L’Energiewende autrement dit la transition énergétique allemande a servi de cheval de Troie à une stratégie offensive de la part de Berlin face à l’énorme potentiel du nucléaire français. Comme expliqué dans un rapport publié par l’EGE, [3] l’Allemagne a mené une campagne de promotion du gaz naturel contre le nucléaire. Or, celui-ci est 40 fois plus polluant. Ces attaques subversives ont aveuglé une partie des Européens. 

C’est un bon exemple du positionnement stratégique allemands face à la domination technologique nucléaire française. L’intensité de la confrontation franco-allemande au sujet de l’avenir énergétique de l’Europe montre un basculement du centre de gravité.

L’Allemagne et ses dépendances : Gaz russe et exportations vers la Chine

Les matières premières ont toujours accompagné les grandes explorations, les empires et les guerres. Elles ont souvent contrarié le cours de l’histoire. L’Allemagne est très dépendante du gaz, qui lui sert principalement à créer de la chaleur et à produire de l’électricité. Berlin importe majoritairement son gaz naturel de Russie. [4]
Ce choix de dépendance énergétique, assumé, rentre clairement en contradiction avec les intérêts européens. Pourquoi un tel choix alors que les pays de l’Union Européenne peuvent disposer d’une souveraineté énergétique via le nucléaire ?

Au-delà de sa dépendance énergétique, l’Allemagne doit faire face à sa dépendance aux exportations chinoises. En effet, l’empire du milieu constitue le premier marché du trio automobile allemand. Mercedes a vu ses ventes plus que doubler en Chine ces cinq dernières années (28 % de ses ventes en 2018). De son côté BMW y réalise également environ un quart de ses ventes. L’enjeu est tel que, le président du directoire de Volkswagen, pilote personnellement les opérations du groupe dans le pays. [5]
Ses choix stratégiques ont pour conséquences d’accentuer les divisions au sein de l’UE. D’un côté la Russie et de l’autre la Chine, deux pays qui se détachent du bloc occidental face au conflit Russo-Ukrainien. Au regard de ses intérêts nationaux, il est alors difficile pour Berlin de s’aligner sur les autres états membres notamment dans le cadre des sanctions envers ses partenaires économiques.

Réarmement : Un appétit pour l’achat d’armements américains

La guerre entre l’Ukraine et la Russie pousse l’Allemagne à revoir sa politique de défense.
"Nous allons à partir de maintenant, d'année en année, investir plus de 2% de notre PIB dans notre défense", a déclaré le chancelier Olaf Scholz lors d'une séance exceptionnelle à la chambre des députés. [6] Le successeur d’Angela Merkel affirme clairement ses nouvelles ambitions. Ce changement de paradigme marque le changement d’une époque, celle d’une Allemagne militairement neutre.

L'Allemagne s’est tournée vers l’achat de F-35 américains [7] Voilà un nouveau désaveu à la souveraineté européenne lorsqu’on connait la solide réputation du Rafale français. Ce virage assumé est révélateur de la stratégie ambigüe de l’Allemagne, tantôt européenne lorsqu’il s’agit d’obtenir rapidement en masse des vaccins, tantôt souveraine lorsqu’il s’agit de ses industries. La réalité est de plus en plus évidente, dans les domaines stratégiques, Berlin fait cavalier seul dans une Europe à 27.

Les contradictions allemandes les obligent à jouer un rôle d’équilibriste en ayant pour but de rassurer les Européens tout en déplaçant leurs pions d’attaque. Le SCAF (Système de combat aérien du futur) qui s’appuiera sur un avion de combat 100% européens où la France et l’Allemagne sont partis prenantes, se retrouve fragilisé par une Allemagne atlantiste. [8]  Le choix de la dépendance militaire allemande envers les Etats-Unis créé de nouvelles fragilités et tensions au sein de l’union européenne. Une nouvelle fois Berlin décide d’agir seul ce qui a de quoi frustrer la France et d’autres pays européens.

La ligne rouge du conseil de sécurité de l’ONU et la dissuasion nucléaire

Lors d’une session extraordinaire au Bundestag, à Berlin, le chancelier Olaf Scholz a annoncé un lourd investissement en matière de Défense. Cet effort exceptionnel marque un changement de cap historique. Le pacifisme allemand d’après-guerre est donc rompu et du côté de Paris on se félicite d’avoir un nouveau partenaire en termes de défense militaire. Pour autant, même si Berlin a décidé de sortir le carnet de chèque et d’augmenter ses dépenses militaires, sa stratégie est encore plus poussée comme l’a rappelé dernièrement son chancelier Olaf Scholz. Ce dernier a déclaré que « si nous prenons l’Union européenne au sérieux, l’UE devrait également parler d’une seule voix au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. A moyen terme, le siège de la France pourrait être transformé en siège de l’UE ». [9] Via cette déclaration, la France est une nouvelle fois de plus en plus bousculée par l’Allemagne. La forte augmentation du budget de défense allemand peut permettre à Berlin   de ravir très rapidement le "leadership" de Paris en matière de défense en Europe.

Mais n’oublions pas le passé. Traumatisée par deux guerres mondiales, l’Europe ne peut omettre le rôle central de l’Allemagne dans leur déclenchement, ni ses excès militaristes et encore moins son bilan catastrophique en août 1945. C’est la raison pour laquelle il ne peut pas être accordé de chèque en blanc à ce pays s’il cherche de nouveau à acquérir une prédominance géostratégique dans le concert des nations.

 

Radouane Bouhafs
Auditeur en MSIE - Executive MBA en Management Stratégique et Intelligence Economique


Sources:

[1] https://www.capital.fr/economie-politique/la-france-est-plombee-par-son-deficit-commercial-alors-que-lallemagne-exporte-a-tout-va-1414028

[2] https://www.breageeknews.fr/lallemagne-et-la-france-saffrontent-sur-les-nouvelles-classifications-vertes-de-lue-pour-le-nucleaire-et-le-gaz-naturel/

[3] https://www.ege.fr/infoguerre/jattaque-comment-lallemagne-tente-daffaiblir-durablement-la-france-sur-la-question-de-lenergie

[4] https://www.ouest-france.fr/monde/guerre-en-ukraine/comment-l-allemagne-est-devenue-accro-au-gaz-russe-1501196c-96f3-11ec-8fae-40afe3244c99

[5] https://www.lesechos.fr/monde/europe/commerce-lallemagne-plus-dependante-que-jamais-de-la-chine-1316805

[6] https://allemagneenfrance.diplo.de/fr-fr/actualites-nouvelles-d-allemagne/01-Politiquefederale/-/2517784#:~:text=Le%20chancelier%20Olaf%20Scholz%20l,semaine%20en%20Conseil%20des%20ministres

[7] http://www.opex360.com/2022/03/14/berlin-a-pris-la-decision-dacquerir-une-trentaine-de-chasseurs-bombardiers-f-35a/

[8] https://www.challenges.fr/entreprise/defense/derriere-l-accord-sur-le-scaf-la-grande-fissure-franco-allemande_770629

[9] https://www.lepoint.fr/europe/onu-l-allemagne-veut-que-la-france-cede-son-siege-au-conseil-de-securite-30-11-2018-2275513_2626.php

[10] https://www.capital.fr/economie-politique/un-depute-allemand-veut-que-la-france-partage-ses-armes-nucleaires-avec-lallemagne-1361430