L’affrontement entre les Etats-Unis et l’Union Européenne sur les normes alimentaires

Depuis quelques décennies, nos étals alimentaires mettent en avant des produits estampillés « LABEL ROUGE », « AOP », « IGP », « AB », « BIO », et plus récemment « CASHER », « HALAL », « VEGAN ». Aujourd’hui, nous consommons de plus en plus « qualité », « terroir », « mode de vie », « mode de production », « patrimoine » et même « appartenance à une communauté religieuse ». Parmi eux les SIQO, au centre d’une guerre d’influence internationale que se mènent les Etats-Unis, et l’Union Européenne autour de la vision de la protection et de la normalisation de la production alimentaire de qualité.

Naissance des SIQO

En France et en Europe, il faut distinguer deux groupes de signes distinctifs : les SIQO, Signe d’Identification de la Qualité et de l’Origine qui sont officiellement reconnus, avec des logos officiels et protégés par les pouvoirs publics, et les autres signes qui relèvent de la sphère privée. Les signes officiels de qualité recèlent en leur sein depuis leur création une vision du monde agricole basé sur le triptyque territoire/produit/qualité. Ces signes charrient avec eux également des notions de patrimoine, de tradition, de zone rurale. Le cahier des charges élaboré et respecté par les producteurs est le condensé de la connaissance collective des techniques et moyens de production permettant d’obtenir un produit spécifique en rapport avec un terroir, c’est-à- dire une zone géographique ayant une agronomie, une histoire, une culture propre.

Ce cadre cognitif a pris naissance dans les grands pays d’Europe producteurs de vins et de spiritueux, de volaille, de fromage tels la France, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, à la demande des producteurs par besoin de protection face aux menaces de contrefaçons, d’usurpation, de détournement, de la disparition de savoir-faire traditionnels. En France, Il prend corps juridique à partir de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes dans la vente des marchandises et des falsifications des denrées alimentaires et des produits agricoles. Les vins ordinaires furent sauvés par cette loi. A cette époque déjà, il semble que les vins fins et leurs appellations d’origine soient déjà galvaudés entrainant un schisme dans la profession viticole. S’en suit la loi du 06 mai 1919, et le décret-loi du 18 septembre 1935. En 1958, un traité de droit public international, l’arrangement de Lisbonne permet de protéger les appellations d’origine.

L’évolution de ce corpus juridique est bien décrite dans les archives de l’INAO (Institut National de l’origine et de la qualité) qui est en France l’institution officielle du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation ayant autorité sur l’attribution, l’organisation, la protection des SIQO. Les règlements 2081/92 et 2082/92 de 1992 marquent l’apport de l’Union Européenne dans le dispositif avec la création des AOP (Appellation d’origine protégée), IGP (Indication géographique protégée), l’AS (attestation de spécificité) et ancêtre de la STG (Spécialité traditionnelle garantie).

Aujourd’hui, les SIQO sont au nombre de cinq. Ils bénéficient d’un corpus juridique et institutionnel (l’Union Européenne et ses Etats membres), accordant aux produits labellisés une protection internationale publique :

-Le label rouge : créé en 1965 issue des crises de la standardisation de la volaille, permet de distinguer, grâce à un itinéraire technique de production garantissant la qualité supérieure du produit labellisé par rapport à un produit standard.

 -L’Appellation d’Origine Protégée/Contrôlée (AOP/AOC) : c’est la notion de terroir qui fonde la notion des appellations d’origine. Il représente la jonction entre un savoir-faire et une aire géographique, une nomination.

-L’Indication géographique protégée (IGP) : elle consacre la qualité et la réputation du produit agricole liées à une zone géographique de production.

-La spécialité traditionnelle garantie (STG) : c’est le label du savoir traditionnel typique.

-L’agriculture biologique (AB) : labellise des itinéraires de production végétale ou animale limitant les intrants chimiques, sans OGM, respectueux des biotopes naturels.

Pour obtenir un de ces précieux labels, les producteurs doivent se soumettre à des procédures d’habilitation par l’INAO et de contrôles permanents de la part d’organismes dûment habilités.

Grâce à cette méthode de valorisation et de maintien du niveau de qualité, l’excellence alimentaire européenne, sous la protection des SIQO, forme un fleuron alimentaire d’une valeur sûre, crédible et légitime à travers le monde.

Attaque des Etats-Unis contre les normes alimentaires européennes

Les Etats-Unis remettent en cause le règlement 2081/92 en vigueur dans l’union européenne. Le 1er juin 1999, soit 7 ans après son adoption, les Etats-Unis portent plainte contre la communauté européenne à l’organisation mondiale du commerce en s’appuyant sur l ’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 ainsi que l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (1994)

Deux conceptions du commerce s’affrontent autour des IG (indication géographique) :

. La protection des IG par les instruments généraux de fonctionnement du marché c’est-à-dire la règlementation de la concurrence déloyale, le droit des marques, l’accord ADPIC défendue par les Etats-Unis et groupe d’Etats tiers.

Autrement dit, en adhérent à l’OMC, l’IG est de fait protégé par l’adhésion d’un état à l’OMC.

. La protection sui generis des IG, par un système d’enregistrement contraignant, intégrant les IG dans les politiques publiques agricoles, conception défendue par l’union européenne. Fondé sur l’existence d’un lien au territoire, la protection des indications géographiques confèrent un monopole sauvegardant les intérêts des producteurs sur un marché concurrentiel.

Le règlement de ce différend abouti pour l’Union Européenne, le 20 mars 2006 à l’adoption du règlement 510/2006, permettant à la règlementation de l’UE d’être en conformité avec la décision de l’organe de règlement des différends de l’OMC, abrogeant ainsi le règlement 2081/92.

Ce différend oblige l’Europe à faire évoluer son référentiel juridique, économique, et scientifique pour défendre sa position, lui permettant ainsi de traverser la tempête et d’assoir la légitimité des IG à l’international.

L’ Union Européenne continue avec la coexistence des marques et des IG. Ces dernières sont mentionnées dans le nouveau droit des marques en France. Un nouveau protocole d’accord est signé entre l’INAO et L’INPI pour une meilleure protection des SIQO.

L’Europe maintient le cap

Le modèle des SIQO s’exporte dans les pays en développement. Peut-être d’autres valeurs que la qualité seront-elles magnifiées : l’environnement, le bien-être animal, la qualité de vie. La démarche a été modélisée à l’échelle internationale et peut servir de base de réflexion à d’autres groupes de pays tels le MERCOSUR, le CARICOM, la CEDEAO, la Chine. L’influence de la vision particulière de l’Europe de l’alimentation subsiste dans certaines parties du monde. C’est en tout cas le message délivré par le commissaire européen Phil Hogan, jadis assez critiqué sur ses prises de position à l’égard de la Politique Agricole Commune, lors de la 2ème édition d’ORIGO, le forum international dédié aux IG. Son interview traçait les lignes de la modernisation des IG en Europe et à l’international. L’accord annoncé avec la Chine a bien été signé.

 

Coretta Melyon
Auditrice de la 37ème promotion MSIE