L’affrontement mondial pour la conquête de l’énergie du futur, l’hélium-3

Coûts astronomiques, obstacles techniques, freins politiques… les raisons pour lesquelles l’Homme n'a pas remis les pieds sur la Lune depuis près d'un demi-siècle sont nombreuses. Malgré cela, les grands de ce monde se focalisent de nouveau sur la conquête spatiale. La Lune en particulier redevient un enjeu stratégique. Parmi les raisons évoquées et plus ou moins affichées, il y aurait l’hélium-3. Un gaz léger non radioactif que l’on trouverait en grande quantité au pôle sud de la Lune, et considéré par certains scientifiques comme l’énergie du futur. Un gaz qui stimule donc bien des projets, ainsi que « la promesse d’une nouvelle économie » et qui « attise les convoitises du monde entier, publiques et privées ».

L’astre aux multiples ressources

Il existe trois grandes catégories de ressources connues sur la Lune.  Les plus prisées seraient l’eau (glacée à -233°C) et l’hélium-3. Les métaux précieux forment la 3e catégorie qu'on appelle aussi "terres rares" (cérium, terbium, samarium, scandium, gadolinium, lanthane). « Présents dans tous nos appareils électroniques (smartphones, tablettes, téléviseurs…) et jusque dans les billets de banque », ces métaux seraient en quantité limitées sur notre planète. Les gisements connus et exploitables représenteraient 110 millions à 150 millions de tonnes seulement. D’où cette idée un peu folle d’aller chercher ces précieux minerais sur la Lune plutôt que sous la calotte polaire ou au fond des mers. Quant à l’hélium-3, utilisé dans le secteur médical pour réaliser des IRM, il permettrait de détecter des matériaux radioactifs, comme du plutonium. « Une application un peu obscure mais la pénurie d’hélium-3 a mis au point mort l’ensemble du programme de sécurité frontalière américain visant à détecter les terroristes tentant de faire passer ce qu’on appelle communément les bombes sales ». Autant d’applications utiles donc… mais qui n’expliquent pas à elles seules l’intérêt pour ce gaz.  De plus, et de l’avis de Francis Rocard, astrophysicien au Centre national d'études spatiales (CNES), ces ressources lunaires ne représenteraient aucun enjeu réel tellement leur exploitation et les moyens pour les rapatrier sur Terre seraient onéreux. Cela ne semble pourtant pas arrêter la NASA qui songe depuis longtemps à extraire l’hélium-3 et l’eau de la Lune. De même que l’or des astéroïdes, le magnésium, le cobalt et l’uranium de Mars, soit dit au passage. Petroleum News n’a-t-il pas révélé d’ailleurs à ce sujet que « le bureau d’exploration du Johnson Space Center de la NASA à Houston aurait collaboré avec Baker-Hughes Inc. pour développer du matériel pour un système adapté au forage sur la Lune et sur Mars ?

L’hélium-3 en plus grande quantité sur la Lune que sur la Terre

Pour revenir sur l’origine de l’hélium-3 (He3), il serait apparu aux premiers instants de l’univers, déposé par les vents solaires à la surface de la Lune, contrairement à La Terre qui fut protégée par son champ magnétique. Cet isotope particulier d’hélium présenterait la caractéristique assez extraordinaire de délivrer une quantité d’énergie considérable lorsqu’il entre en fusion, le tout sans déchet radioactif. Le problème, c’est qu’il n’y aurait quasiment pas d’hélium-3 sur Terre. Les réserves seraient estimées à 15 tonnes. Et d’après certains chercheurs comme le géologue du programme Apollo, Harrison Schmidt, il y en aurait en quantité abondante sur la Lune. Au moins 100 000 tonnes. Une manne lorsqu’on imagine que 25 tonnes d’hélium-3 suffiraient pour fournir toute l’énergie consommée pendant un an par les États-Unis. Et que 100 tonnes par an seraient nécessaires si la technologie de la fusion nucléaire est un jour utilisée pour répondre à la demande mondiale. Il n’est donc pas difficile de comprendre pourquoi l’hélium-3 attise autant la convoitise et les spéculations de toutes sortes. Particulièrement si l’on prend en considération certaines études menées sur le niveau des réserves mondiales en énergies fossiles.

L’hélium-3 pourrait-il remplacer les énergies fossiles ?

Il est vrai que depuis l'avènement de l'ère industrielle, l'humanité ne cesse d'accroître sa consommation d'énergie pour répondre à l’essor des sociétés. Un développement rapide qui a pu se produire grâce à l'utilisation massive des combustibles dits fossiles, essentiellement le charbon, le pétrole et le gaz. Or nous savons aussi que la combustion de ceux-ci bouleverse le climat, alors que les besoins énergétiques continuent d'augmenter davantage chaque jour. Ainsi les américains et les russes qui étaient jusqu’alors les maîtres (et rivaux) incontestés de la conquête spatiale se voient aujourd’hui concurrencés par des pays émergents comme la Chine ou l’Inde : là où la démographie et les besoins en énergie ne cessent de croître. En effet, si l’on croit le scientifique chinois Ouyang Ziyuan, la Lune serait « tellement riche en hélium-3, que cela pourrait régler le problème des besoins en énergie de l’humanité pour au moins 10 000 ans ». Mais pour tirer profit de cette précieuse ressource, à plus d’un titre (son prix au kilo dépasserait déjà le million de dollars), il faut réunir deux conditions : disposer de suffisamment d’hélium-3 et maîtriser le processus de fusion nucléaire. Ce qui n’est pas encore gagné lorsqu’on voit l’avancée de projets comme ITER qui peine à sortir la tête de l’eau. Autre question épineuse : quel état ou quelle organisation sera à même d’exploiter l’hélium-3 lorsqu’on connaît les montants dépensés pour une seule mission spatiale ? Car si la question de l’extraction se pose, celle du rapatriement sur Terre également. Pourtant, les spéculations autour de l’exploitation du gaz « vont bon train » et de nombreux acteurs se positionnent déjà dans ce nouvel échiquier spatial.

La Chine en tête de cortège, à la recherche de l’hélium-3

Les américains ne sont pas les seuls à imaginer pouvoir collecter et exploiter l’hélium-3. La Chine étudie, elle aussi, la possibilité d'une exploitation minière lunaire. Avec son programme Chang’e (du nom de la déesse de la Lune dans la mythologie chinoise), « la Chine a choisi de faire ses débuts dans le domaine de l'exploration spatiale en lançant des engins de plus en plus sophistiqués vers la Lune. Destination qui présente l'avantage d'être à faible distance de la Terre et donc, de réduire la complexité des missions ». Ainsi les premières sondes spatiales chinoises sont placées en orbite autour de la Lune dès novembre 2007. Et depuis, les missions s’enchaînent jusqu’au premier alunissage d'un module d'exploration sur la face cachée de la Lune début 2019. Une première mondiale. « Officiellement, le robot lunaire chinois Yutu-2, arrivé à bord de l'atterrisseur Chang'e-4, avait pour mission de collecter des données sur la topographie et la composition du sol durant un ou deux mois avant de rendre l’âme. »  Mais si l’on en croit le South China Morning Post, un journal hongkongais appartenant au groupe Alibababa depuis 2016  (et considéré comme le pionnier d'une nouvelle forme de « soft power »), le véritable objectif de la mission Chang'e 4 était de « déterminer la quantité exacte d'hélium-3 présent sur la Lune »… et aussi de savoir où le trouver. Depuis, la Chine continue ses exploits spatiaux et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.

D’autres pays émergents à la conquête du pôle sud de la Lune

L’Inde, mais aussi le Vietnam et encore les Emirats Arabes comptent bien aussi « prendre part à la fête ». En ce qui concerne l’Inde, un accord de 10 ans aurait été signé en 2007 entre l’Indian Space Research Organisation (ISRO) et l'agence spatiale russe Roscosmos pour des missions scientifiques conjointes vers la Lune. Le 22 octobre 2008, une fusée PSLV lance la première sonde spatiale indienne Chandrayaan-1, qui se place en orbite autour de la Lune et entame ses observations scientifiques. En juillet 2019 est lancé Chandrayaan-2 avec un atterrisseur devant se poser au pôle sud de la lune, « la destination phare qui rassemble toutes les ambitions des agences spatiales et des opérateurs privés qui espèrent y trouver à la fois les ressources pour s’installer durablement (eau, énergie) et des ressources à exploiter (minerais) ». Chandrayaan-2 est donc le premier engin spatial indien à se poser sur le corps céleste, faisant de l'Inde la cinquième nation à effectuer un alunissage sur notre satellite. Et ce, après l'ex Union Soviétique, les États-Unis, la Chine et Israël qui fut, pour ce dernier, un échec lors de sa participation à Google Lunar X Prize, une compétition internationale parrainée par Google. Quant à la Russie, la société russe S.P. Korolev Rocket and Space Corporation se sont fixées pour objectif de créer une base lunaire pour extraire l’hélium-3 d’ici 2030.

La posture occidentale face à la concurrence asiatique

D’après un article paru sur BFM Business le 19 juillet dernier, le Centre national d’études spatiales (CNES) considèrerait que la r(e)conquête de la Lune pour « les nations spatiales émergentes, essentiellement asiatiques », ne serait qu’une « démonstration de force sur la scène géopolitique internationale ». La Lune serait « une excellente cible pour asseoir leurs capacités en termes de lanceurs et de conception robotique. Réussir un alunissage revien(drait) à prouver (leur) capacité à rivaliser techniquement avec les grandes puissances spatiales... ». L’hélium-3 ne serait donc pas, à proprement parlé, un objectif pour la Chine mais plutôt un moyen d’affirmer sa volonté de puissance et sa souveraineté. Or, après une longue période de maturation, le programme spatial chinois débouche aujourd’hui, et de façon assez spectaculaire, au niveau international. S’appuyant sur ses succès en matière de lanceurs et de satellites, la Chine se place désormais en position de fournisseur de services spatiaux : lancements, capacités de télécommunications en orbite, stations sol et, à terme, images d’observation de la Terre et… de Mars. C’est une mutation complète pour la Chine qui, il y a encore à peine quelques années, était perçu en Occident comme un important marché potentiel par les industriels spatiaux, et en aucun cas comme un concurrent. Mais les temps changent… ce que Pékin revendiquait déjà par l’intermédiaire notamment de l’ancien chef d’état-major de l’armée de l’air et vice-président de la puissante Commission militaire centrale jusqu’en 2017, le général Xu Qiliang. Pour lui, « les intérêts nationaux chinois sont en expansion, et le pays est entré dans l’âge spatial ». Par cette affirmation, la Chine exprimait donc son désir de conquérir la Lune et plus largement l’espace, au même titre que les pays occidentaux, en particulier face à l’hégémonie américaine. Les raisons sont donc évidemment économiques mais pas uniquement. Car, « pariant sur le fait qu’on ne négocie qu’entre égaux », la Chine s’est peut-être persuadée, à l’instar de la Russie, que seuls des progrès significatifs et indépendants dans le domaine spatial lui permettraient de bénéficier des ressources nécessaires à son développement mais aussi à ses capacités de défense militaire. Face aux États-Unis qui ne cache pas leur ambition de dominer l’espace et ses ressources, et « compte tenu de la spatio-dépendance de plus en plus avérée des armées modernes, empêcher l’adversaire d’avoir accès à l’espace et à ses ressources constituerait donc une priorité » pour tous les pays en quête d’indépendance et de reconnaissance comme la Chine, l’Inde ou les Émirats Arabes. Nations qui, soit dit en passant, disposent désormais d’une puissance financière suffisamment conséquente pour développer des programmes spatiaux d’envergure. Quant à l’Europe, ArianeGroup a signé un contrat avec l'Agence spatiale européenne ESA pour « étudier la possibilité d'aller sur la Lune avant 2025. »

La riposte américaine

Si elle demeure l’agence spatiale la plus prestigieuse au monde, il est certain que la NASA n’a plus vraiment les moyens de ses ambitions. Imbroglios politiques entre le Congrès et la Maison Blanche, retrait des navettes spatiales en 2011…, la NASA a connu une époque où elle ne disposait même plus du moyen de rejoindre la station spatiale internationale (ISS) pour y transporter du cargo et des astronautes. C’est à partir de ce moment que le « New Space » a révélé toute son importance. Car « si la NASA ne disposait plus de navettes opérationnelles, elle allait devoir trouver une solution pour continuer à envoyer du matériel vers l’ISS ». Et au lieu de développer ses programmes, elle sous-traita complètement à des entreprises privées le transport de cargo vers l’ISS. Grâce à ce tournant « philosophique » de la NASA, la jeune entreprise SpaceX remporta l’appel d’offres d’un programme qu’elle sut mener à bien. Depuis, agence spatiale nationale et sociétés privées font cause commune pour créer et développer de nouveaux programmes spatiaux qui, tous l’espèrent, génèreront autant de marchés potentiels. Celui de l’énergie bien sûr avec l’hélium-3 et bien d’autres : l’eau, les minerais, mais aussi le tourisme (vols habités) et toutes les technologies liées permettant de poursuivre la conquête de l’espace. D’autres start-ups comme Planetary Resources, une entreprise de James Cameron et des milliardaires de Google Larry Page et Eric Schmidt, cherchent les technologies qui permettraient d’exploiter l’hélium-3. Le projet ARTEMIS de la NASA démontrent aussi à quel point l’enjeu économique est au cœur de la question de l’exploitation de ce gaz. Dans leurs projections qui supposent que l’hélium-3 soit vendu 3 milliards de dollars la tonne, l’exploitation et la distribution du précieux gaz génèrerait « des revenus bruts de l’ordre de 300 milliards de dollars par an pour une demande mondiale de 100 tonnes par an ». La conquête de la Lune, sous couvert d’avancées scientifiques et technologiques, ne serait donc plus en cela uniquement basée sur l’affrontement de deux blocs idéologiques. Hier Union Soviétique/Etats-Unis. Aujourd’hui Chine/Etats-Unis. Mais aussi et surtout sur la promesse de gains importants. Et à ce jeu-là, les américains sont maîtres. L’hélium-3 est perçu comme une réserve d’énergie potentiellement viable et économiquement rentable. Et c’est tout le sens du message de Bretton Alexander, directeur du développement commercial et de la stratégie chez Blue Origin, la société Amazon de Jeff Bezos, qui dès 2017 déclarait :« Il est temps pour l'Amérique de reconquérir la Lune, et cette fois d'y rester ». D’après lui, « la Lune fournira les ressources et la proximité nécessaires pour permettre l'exploration de destinations spatiales lointaines comme Mars ». La Lune deviendrait en cela « un terrain d'essai idéal et une halte de repos pour une exploration future ». Et d’ajouter « tout ce potentiel n'est pas passé inaperçu. Plusieurs entités commerciales internationales et nations ont des plans pour une décennie ambitieuse d'exploration lunaire. Les États-Unis devraient être le chef de file dans cette entreprise louable ».

Les enjeux des nouvelles alliances publiques/privées américaines

Depuis une dizaine d’années, des opérateurs privés comme Tesla ou Amazon apportent donc leurs capitaux à la NASA pour atteindre des objectifs communs. Ces partenariats permettent aux Etats-Unis, « d'atteindre plus rapidement des objectifs lunaires ambitieux, tout en facilitant simultanément le développement économique et le leadership stratégique des États-Unis dans l'espace ». Pour justifier ces alliances, Bretton Alexander n’hésite pas à brandir les antiennes de la culture américaine : permettre aux entreprises américaines d’élargir leurs marchés, diminuer le coût de cette exploration lunaire pour le contribuable et dominer non plus seulement le monde, mais l’espace. Et de pointer au passage du doigt l’ennemi commun : les concurrents. « De nombreux États-nations et entités commerciales internationales prévoient de se rendre sur la Lune, notamment la Chine, la Russie, l'Agence spatiale européenne... Les États-Unis ne doivent pas négliger les avantages d'arriver en premier sur la Lune, c'est la définition même du leadership américain dans l'espace ». CQFD. Trois ans plus tard, en clôture du congrès Satellite de Washington, Jeff Bezos dévoile lors d’une intervention scénarisée et devant un parterre de journalistes, une maquette de l’atterrisseur lunaire Blue Moon, qu’il met évidemment à la disposition de la NASA pour ses nouvelles ambitions. La NASA voit donc un grand intérêt aujourd’hui à utiliser les programmes développés par les entreprises du NewSpace comme SpaceX, Blue Origin ou encore Moon Express (« la société qui veut exploiter la Lune ») plutôt que les siens. Car en plus des avancées technologiques qu’elles apportent, les côuts sont largement revus à la baisse : de l’ordre de 20 millions de dollars pour le Starship de SpaceX, contre 1,5 milliard de dollars pour lancer la fusée géante SLS de la NASA. Il est à parier qu’à terme, la NASA ne sera plus le maître d’œuvre de ses projets, mais achètera des services, ce qui constitue - outre une révolution - un véritable avantage concurrentiel.

En attendant la fusion nucléaire…

Pourtant, sans la maîtrise de la fusion nucléaire, toutes ces projections concernant l’hélium-3 semblent vaines. D’après Olivier Sanguy, journaliste spécialiste de l’espace, nous ne disposerions pas de centrales capables de faire fusionner l’hélium-3. De même que nous ne sommes pas encore en capacité d’atteindre la fusion, l’énergie du futur même si des expériences en Chine, aux Etats-Unis ou en Europe donnent quelques résultats. Il s’agirait « d’une anticipation de plusieurs dizaines d’années voire de siècles ». De plus, les conditions atmosphériques et techniques d’une extraction lunaire pour collecter l’hélium-3 semblent pour l’instant impossibles et bien trop coûteuses. Pourtant, à entendre certains scientifiques, l’hélium-3 pourrait devenir un combustible possible pour les centrales à fusion de "2e génération". A condition que l'extraction de la Lune soit possible, ce dont de nombreux spécialistes doutent, et que de nouveaux types de réacteurs soient développés. Car même si la réaction de fusion de l’hélium-3 (He3) présente un grand potentiel, elle serait aussi redoutable. Sa vitesse de réaction culminerait à des milliards de degrés. La chambre de confinement des réacteurs actuels serait incapable de contenir une telle énergie. Des laboratoires de recherche travaillent dès lors à l’élaboration de tokamak de 2e génération. Et imaginent des solutions alternatives comme à l'Université du Wisconsin (USA), ou en Allemagne avec le Wendelstein 7-X inaugurée en grande pompe par Angela Merkel le 3 février 2016. Depuis 2020, la Chine possède le sien : le tokamak HL-2M. Affectueusement surnommé « soleil artificiel », sa chambre de confinement magnétique devrait à terme générer une chaleur phénoménale de plus de 200 millions de degrés Celsius. Aux Etats-Unis, TAE Technologies développe également son premier réacteur expérimental. L’entreprise qui a levé plus de 700 millions de dollars entame la construction de Copernicus, le réacteur destiné à démontrer qu’il peut produire plus d’électricité qu’il n’en consomme pour faire tourner la machine. Et oui, car c’est bien là que « le bât blesse ». Si la fusion nucléaire – la source d’énergie des étoiles – est la promesse d’une électricité décarbonnée abondante et bon marché sans l’inconvénient des déchets de longue vie de la fission nucléaire, elle demande pour l’heure, plus d’énergie qu’elle n’en produit…

L’avenir de la fusion passerait-il par l’hélium-3 ?

Donc, si nous parvenons à mettre au point la fusion nucléaire, cela pourrait être une révolution pour la génération électrique. L’approche la plus conventionnelle qui utilise deux types d’hydrogène, le deutérium et le tritium (qui contiennent, respectivement, un et deux neutrons) reste cependant difficile à utiliser. En effet, le rayonnement neutronique est dangereux car il peut rendre radioactive le blindage abritant le réacteur. D’autres solutions existent mais impliquent de traiter une quantité significative de déchets nucléaires. Dans ces conditions, les avantages de la fusion par rapport à la fission ne sont plus vraiment évidents. En plus du problème de radioactivité, récupérer l’énergie de ces réactions nucléaires pour capter la chaleur qu’elles dégagent exigerait de construire une centrale immense dotée d’un circuit vapeur. Compliqué et coûteux. Voilà en quoi l’hélium-3 pourrait être une solution pour fournir une énergie propre, rentable et quasiment inépuisable. Car ce gaz se comporte totalement différemment dans les réactions nucléaires et rend possible de nouveaux types de fusion. Le coût et la complexité d’une centrale à fusion seraient radicalement réduits car la fusion hélium-3 n’aurait pas besoin d’un blindage lourd, ni de circuit de vapeur. Cela impliquerait que la fusion à l’hélium-3 pourrait être réalisée dans de petits réacteurs. Helion Energy affirme même que de petites installations dans des camions pourraient être envisageables. De nombreuses expérimentations sont actuellement à l’étude comme au Fusion Technology Institute de l'Université du Wisconsin-Madison où Gerald Kulcinski, un autre grand promoteur de la fusion à l’hélium-3, a mis sur pied un petit réacteur qui, jusqu'à présent, n'a pas généré une puissance de sortie significative.

L’hélium-3 comme combustible de la fusion serait une chimère

Pourtant, tous ne s’accordent pas sur le fait que ce gaz soit une alternative pour produire une énergie propre à partir de sa fusion. Dans un article intitulé "Fears over Factoids" en 2007, le physicien théoricien Frank Close explique pourquoi l’hélium-3 comme combustible de fusion est une « sornette ». Selon lui, « dans la plupart des expériences de fusion, comme celles menées au Joint European Torus (JET) au Royaume-Uni, un combustible de noyaux de deutérium et de tritium est converti dans un tokomak en hélium-4 et en neutron, libérant ainsi de l'énergie dans le processus. Aucun hélium-3 n'est impliqué ». Autre point important qu’il met en avant : « dans un réacteur tokomak, le deutérium réagit jusqu'à 100 fois plus lentement avec l'hélium-3 qu'avec le tritium. En effet, la fusion doit surmonter la répulsion électrique entre les protons du combustible, qui est beaucoup plus élevée pour les réactions deutérium-hélium-3… que pour les réactions deutérium-tritium ». Et il explique même que la fusion de deux noyaux d'hélium-3 que certains scientifiques envisagent « pour produire du deutérium, une particule alpha et de l'énergie » serait tout aussi utopique. Car « de telles combinaisons devraient être chauffées à des températures incroyablement élevées », et donc seraient impossibles à réaliser dans un tokomak. Selon lui, « même le futur réacteur thermonucléaire international (ITER) ne serait pas en mesure de générer de l'électricité à partir de cette dernière réaction ». Pour Frank Close, l'histoire lunaire hélium-3 ne serait donc qu’une chimère. Et il déplore que des médias sur laquelle le public s'appuie pour se forger une opinion comme l’émission britannique « Horizon » (de même que certains de ses confrères selon lui), ne diffusent de telles idées.  Et il met en garde : « La prise de décision motivée par l'opinion publique influencée par les faits a déjà une histoire désastreuse ».

Exploiter les ressources de la Lune : une course contre la montre ?

Le scepticisme mais aussi les espoirs et les ambitions les plus folles sont pourtant là. Le projet international ITER, à ce jour la plus grande installation au monde, aurait pour ambition de démontrer que la fusion pourrait devenir une véritable source d’énergie à l’horizon 2050. Plusieurs acteurs du secteur des technologies lorgnent vers l’hélium-3 et la fusion nucléaire comme solution énergétique propre, capable de réduire voire d’enrayer le réchauffement climatique. D’autres y voient la promesse de gains importants alors que les réserves s’épuisent dans un contexte d’augmentation des prix. L’Agence internationale de l’énergie a en effet estimé que la demande mondiale d’énergie pourrait augmenter de 45 % d’ici l’an 2030, notamment en raison du développement démographique et de l’industrialisation de pays comme la Chine et l’Inde, qui comptent à eux seuls plus de 2 milliards d’habitants. La consommation d’électricité devrait croître 2 fois plus vite que la consommation moyenne d’énergie. Or, la production d’électricité à partir de combustibles fossiles représenterait 2/3 de l’électricité mondiale. La production d’énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole) représenterait encore aujourd’hui plus de 80% de la production totale d’énergie primaire dans le monde, alors que les réserves énergétiques de la planète, dit-on, se raréfieraient. Et si l’on en croit des acteurs de l’énergie tel qu'EDF, au rythme de consommation actuel, le pétrole devrait arriver à épuisement d’ici à 54 ans, le gaz d’ici à 63 ans, le charbon d’ici à 112 ans et l’uranium d’ici à 100 ans. Par ailleurs, et c’est un point important, les réserves seraient inégalement réparties, entraînant ainsi une dépendance forte de nombreux pays, avec les conséquences que cela pourrait avoir en termes de coût d’approvisionnement. Et si l’on considère le retard pris par ITER, les millions d’euros engloutis dans ce projet et les difficultés liées à la maîtrise de la fusion nucléaire, il est à craindre que nous ne subissions des restrictions d’énergie dans un avenir relativement proche. Et ce ne sont pas les énergies renouvelables qui pourront suppléer la disparition des énergies fossiles même s’il est question de les exploiter évidemment pour préserver les ressources. Selon le rapport 2018 de l’Agence internationale de l’énergie, les solutions éoliennes, solaires ou hydrauliques ne pourront ni couvrir les besoins, ni permettre de réduire le réchauffement climatique planétaire. Christofer Mowry, P.D.G. de General Fusion Inc., la société soutenue par Jeff Bezos, déclarait à BloomBerg : « Si vous vous souciez du réchauffement climatique, vous devez vous soucier de timing et pas uniquement de la solution ultime. Les gouvernements ne travaillent pas avec la diligence que la situation exige ». Donc, à moins de changer le système dans lequel nous vivons collectivement, il semble évident que la course à l’hélium-3, pour ce qu’il représente de potentialités en matière d’énergie, présente aujourd’hui et particulièrement demain, un enjeu stratégique majeur pour tous les pays qui souhaitent préserver leur indépendance et leur souveraineté.

L'enjeu vital de l'accès à l'énergie

Difficile de dire si l’hélium-3 deviendra l’énergie du futur. Ni même de savoir s’il sera possible de l’exploiter et à quelles conditions. Ce qui est certain, c’est que l’accès à l’énergie reste un enjeu stratégique de rang mondial. Et que ce secteur est confronté à un ensemble de plus en plus complexe de défis étroitement imbriqués. Des défis économiques bien sûr mais aussi géopolitiques, technologiques et environnementaux. Défis qui ne concernent pas seulement les pays développés par ailleurs. Et pour y répondre, à l’instar de nouvelles formes de coopérations publiques/privées qui se profilent dans un monde de nouveau polarisé, il ne semble pas être question, à l’heure actuelle, de réelle coopération internationale. La posture des camps adverses, depuis la guerre froide, n’a en cela pas vraiment changé hormis peut-être sur l’aspect économique. Alors, bien sûr, des évolutions technologiques accélérées se dessinent, mais là encore, avec autant de projets que d’ambitions. Car le contrôle exercé tant sur les ressources de la Lune que sur les profits générés pourraient devenir source de conflits si les exploitations minières devenaient rentables. Et ce n’est pas « l’accord régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes » du traité signé en 2002 par les Nations Unies (article 11 - p.35) qui arrêtera les plus téméraires, Etats-Unis en tête… En particulier depuis le vote en 2015 de la loi américaine Space Act autorisant les sociétés privées à exploiter la lune ou tout autre objet du système solaire.

Véronique Langrand
Auditrice de la 35ème promotion MSIE
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