L’agressivité assumée de la diplomatie chinoise

« Le durcissement du ton diplomatique adopté par certains hauts fonctionnaires chinois » depuis 2019 serait-il devenu la nouvelle stratégie de la diplomatie chinoise ? Alors que certains « responsables et analystes occidentaux dénoncent une agressivité excessive » côté chinois, les responsables et les experts chinois contestent quant à eux, l’expression même de « diplomatie du loup combattant ». Pourtant, force est de constater que le style et la rhétorique de certains diplomates chinois, à l’image de Lu Shaye, Ambassadeur de Chine en France, ont bien changé, laissant place à l’invective et l’offense, bien loin de la simple joute verbale adoptée communément par le monde diplomatique.

Quand les diplomates communistes chinois passent à l’offensive

Le loup a toujours fasciné les humains au cours de l'histoire, « alimentant tous les domaines de la culture, la mythologie, la littérature, les arts mais aussi les peurs et les fantasmes collectifs ». L'attribut visible du Loup est « sa nature de prédateur et, par conséquent, il est fortement associé au danger et à la destruction, ce qui en fait le symbole du guerrier d'une part, et celui du diable d’autre part. On note aussi que dans de nombreuses cultures, le guerrier est identifié au loup, comme dans le totémisme par exemple, un concept anthropologique qui désigne un mode d'organisation social et religieux, souvent clanique, fondé sur le principe du totem : ici, les intérêts de la Chine. Mais contrairement à l’image de confiance qu’arborent ces nouveaux diplomates chinois, le loup est par nature un animal craintif. Par conséquent, il opère en meute lorsqu’il chasse, ce qui en fait un animal redoutable.

Et c’est bien ainsi que semble agir la nouvelle diplomatie chinoise face au monde occidental particulièrement, en mettant en œuvre une stratégie fondée sur l’effet de meute et la « doctrine de la confiance en soi » (自信论). On est en effet bien loin du soft power des débuts et des « recommandations de Deng Xiaoping de rester humble sur la scène internationale et de ne pas chercher à imposer de manière brutale un quelconque modèle ». « En marge des nombreux experts qui se sont penchés sur la question du soft power en Chine », Li Mingjiang,  expert des questions relatives à la Chine, expose les quatre objectifs principaux  que les dirigeants chinois assignaient alors au soft power. « Selon lui, les stratégies mises en place visaient à :

  • Lutter contre les perceptions négatives et l’incompréhension de la Chine par les autres pays (véhiculée entre autres par les médias étrangers).
  • Améliorer l’image internationale du régime.
  • Repousser l’influence excessive des cultures étrangères (en particulier les idéologies et croyances qui portent atteinte à la légitimité du Parti).
  • Réfuter la thèse de la menace chinoise.
  • Maintenir une périphérie stable et pacifique ». L’objectif des dirigeants chinois semble avoir évolué de manière très nette.

 

L’arrogance pour imposer une forme de nouvelle suprématie

« Au-delà du discours officiel, la Chine se montre en effet de plus en plus active, voire même arrogante, sur la scène diplomatique ». Et « les réactions de Pékin aux évocations de la nature du régime chinois » par des personnalités politiques ou des universitaires par exemple « sont de plus en plus décomplexées ». Pékin n’aime pas qu’on critique sa politique. Et « qui s’y frotte, s’y pique ». Antoine Bondaz, chercheur français et « spécialiste reconnu de la Chine et de la péninsule coréenne à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) qui intervient régulièrement sur France 24 », en sait quelque chose. Très actif sur Twitter, il dénonce l’an dernier « les pressions exercées par l’ambassadeur chinois Lu Shaye », l’un des leaders des « loups combattants », sur le groupe d’échanges France-Taïwan du Sénat. En réponse, Lu Shaye, qui se dit « fermement opposé » à ce voyage qui pourrait selon lui encourager les tendances indépendantistes du gouvernement de Taipeh face à Pékin, n’y va pas par quatre chemins. Le vocabulaire qu’il emploie pour qualifier le chercheur suite à ses réactions sur Twitter, est saisissant. La sémantique sans filtre employée par ce diplomate chinois d’un genre nouveau - également à l’encontre de députés européens au sujet de la répression de Pékin contre la minorité musulmane des Ouïghours - crée l’émoi et la stupéfaction dans toute la sphère médiatico-politique.

« Rarement a-t-on vu des diplomates faire autant de tort à l’image de leur pays. Brutale, grossière, voilà la Chine que vous montrez », estimera Nathalie Loiseau, députée européenne LREM et ancienne secrétaire d’État chargée des affaires européennes d’Emmanuel Macron. Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères convoquera Lu Shaye le 23 mars, jugeant déplorables les « menaces à l'encontre de parlementaires » et « inacceptables » les sanctions de Pékin à l’encontre de « dix ressortissants européens, dont un eurodéputé français, et quatre organisations en représailles à des sanctions de l'Union européenne » contre la Chine sur le traitement des Ouïghours. « Peu impressionnés par ce front pro-Bondaz, les diplomates chinois en France ont décidé de jouer la carte de la surenchère ».

L’ambassade de Chine publie un long communiqué deux jours avant la convocation, dans lequel elle explique le « harcèlement » constant du chercheur français, victime de  « cette hyène folle ». Le quotidien chinois Global Times s’emparera également du sujet dans son édition anglophone, le 22 mars, « donnant à l’affaire une dimension internationale. Le chercheur français y est dépeint comme un extrémiste épousant la propagande antichinoise des faucons américains ». Le Quay d’Orssay monte au créneau. Sans grand succès. Lu Shaye ne donnera aucune suite à la convocation, invoquant un problème d'agenda.

Une arme d’influence diplomatique à la limite de la guerre de l’information

« Les chancelleries et les diplomates chinois à l'étranger sont de plus en plus nombreux » à utiliser les réseaux sociaux, particulièrement « Twitter pour défendre les actions de Pékin et riposter du tac au tac à l'Occident ». Et alors même que le réseau social est interdit en Chine depuis 2009. A l'avant-garde de cette diplomatie se trouvent les « loups combattants » ou « loups guerriers » comme les surnomme la presse officielle, en référence à « un blockbuster à succès de 2015, Wolf Warrior ». L’histoire : « un tireur d’élite de l’armée chinoise se battant contre des mercenaires occidentaux pour sauver ses compatriotes ». On comprend mieux alors l’appellation de ce groupuscule qui utilise le contenu comme une arme d’offensive contre certaines figures de l’Occident.

Et à ce « jeu », la France et l’Europe ne sont pas les seules victimes. Car même si Twitter est interdit en Chine populaire, cela ne semble pas empêcher cette nouvelle génération de diplomates de « dégainer ses tweets aussi vite qu’un Donald Trump ». A l’exemple de Hua Chunying, directrice adjointe du département de l'information du ministère des Affaires étrangères et du très décomplexé Zhao Lijian, propulsé porte-parole dudit ministère le 24 février 2020. Celui-là même qui relaya sur Twitter une théorie du complot sur le Covid-19, suggérant que le virus aurait été « amené à Wuhan par des sportifs américains pendant les Jeux Olympiques militaires » en octobre 2019. Et concernant l’épineuse question de l’origine de la pandémie et de sa gestion, tout y passe : compte rendu de conférences, articles, tweets.

Un phénomène qui n’est somme toute pas nouveau. Déjà en mars 2019, alors que les manifestations prodémocratie à Hong Kong débutaient et attiraient les médias du monde entier, la diplomatie chinoise se montra beaucoup « plus combative », notamment face aux critiques internationales sur le traitement chinois de la question hongkongaise. En riposte, les médias chinois et certains « loups combattants » s’emparèrent des réseaux sociaux pour dénoncer en masse « l'attitude des autorités américaines » et « les violences aux États-Unis » pour faire un parallèle avec celles de Hong Kong. La Chine dispose en effet de « milliers de comptes anonymes (trolls) qui relaient la bonne parole ».

Un combat informationnel sur tous les fronts

On se souvient, à ce propos, des accusations portées par Twitter et Facebook contre la Chine sur de faux comptes qui auraient été créés « pour discréditer et diviser les manifestants de Hong Kong ». Washington n’a plus qu’à bien se tenir car les « loups » rodent et n’hésitent plus à attaquer en meute à la moindre atteinte de son totem. La pandémie aura été l’occasion pour eux de se rendre « plus prolifiques », alors que « les critiques montaient à l'international ». La Chine aura surpris, une fois de plus, par l’intensité et le style de ses attaques, encourageant certains de ses diplomates « à alimenter les théories du complot et à réécrire l'histoire tout en dénigrant les démocraties occidentales ». Méthode, certes, inhabituelle dans un monde diplomatique peu habitué à ces procédés, mais qui a le mérite de « tuer dans l’œuf » toute tentative de discréditation de la Chine et du Parti au pouvoir.

Et à en croire Wang Yi, Ministre chinois des Affaires étrangères, lors de sa prise de parole fin mai 2020, la Chine répliquera désormais sans complaisance. « Face aux calomnies délibérées, nous répliquerons avec force, protégerons notre honneur national et notre dignité en tant que peuple ». Si la stratégie des « loups combattants » est la nouvelle voie empruntée par la diplomatie chinoise, il n’est pas certain qu’elle permette à la Chine d’apparaître comme « un acteur à la fois responsable et stabilisateur des relations internationales », ni ne l’isole davantage.

La Chine communiste qui, soumise à des pressions internationales permanentes, accuse « de vives tensions internes au Parti en prévision du XXème Congrès de 2022 » et connaît depuis quelques années, une situation économique intérieure qui se dégrade. Mais peut-être ne s’agit-il que d’une « transition vers une stratégie plus ambitieuse d’affirmation de puissance qui aurait pour effet de bouleverser les règles » de la diplomatie avec des conséquences politiques, voire économiques internationales profondes. Une question qui « sera sans nul doute l’une des plus sensibles dans l’étude des relations internationales avec la Chine dans les prochaines années. Les réponses détermineront en grande partie les rapports de force entre Pékin » et le monde occidental et la capacité du modèle de développement chinois à s’imposer à long terme.

 

Véronique Langrand
Auditrice de la 35ème promotion MSIE