L’art de l’encerclement cognitif dans la construction d’une image : le cas d’école d’Alexandre le Grand

Au IVe siècle avant notre ère, le monde connu était sur le point de connaître une transformation sans précédent. L'époque était caractérisée par des rivalités géopolitiques intenses, des innovations tactiques révolutionnaires et des changements culturels dynamiques. C'est dans ce contexte que monte en puissance le royaume de Macédoine, sous le règne éclairé de Philippe II, qui a réformé l'armée et consolidé les cités-États grecques à travers des alliances et des conquêtes. Son assassinat en 336 av. J.-C. laisse le trône à son fils, Alexandre, âgé de vingt ans, qui hérite d'un royaume puissant et d'une armée inégalée.

Alexandre le Grand, élève d'Aristote et inspiré par les exploits d'Hercule et d'Achille, était déterminé à réaliser son destin d'unité grecque et d'expansion. Les enjeux étaient élevés : il ne s'agissait pas seulement de conquêtes, mais aussi de la diffusion de la culture hellénistique, d'un échange philosophique, artistique et scientifique florissant, et de l'introduction de nouvelles normes économiques et monétaires.

La mort de Philippe a ouvert une période d'incertitude où les ambitions d'Alexandre furent mises à l'épreuve. Les cités-États, y compris Athènes et Thèbes, voyaient à la fois une opportunité et une menace dans la jeune monarchie macédonienne. La Persécution, sous Darius III, restait une superpuissance, bien que fragilisée par des décennies de guerres et de troubles internes.

La préparation de la grande campagne d'Alexandre contre la Perse a nécessité non seulement des prouesses militaires mais aussi une habileté dans l'art d’influencer son entourage ou ses adversaires. A travers des actes symboliques, comme la visite à Troie pour honorer Achille, Alexandre commençait déjà à tisser sa légende, une légende qui allait le précéder dans chaque ville, chaque bataille et chaque nouveau territoire qu'il cherchait à conquérir.

L’art de façonner une légende et de propager la mémoire

Alexandre n'était pas seulement un stratège militaire, mais aussi un maître de la manipulation de l'information, utilisant la rumeur, la diplomatie et la propagande pour forger des alliances, démoraliser ses ennemis et galvaniser ses troupes.

Dans le tourbillon géopolitique du IVe siècle avant J.-C., la figure d'Alexandre le Grand se détache comme l'acteur principal, mais son ombre est projetée sur une scène peuplée de nombreux protagonistes. Parmi eux, les plus influents étaient ses généraux, surnommés les Diadoques après sa mort, qui deviendraient les gardiens et les disséminateurs de son héritage.

Parmi ces Diadoques, nous trouvons Ptolémée, qui allait établir une dynastie en Égypte et devenir un protecteur des arts et des sciences, consolidant l'image d'Alexandre comme un pharaon divinisé. Séleucos, qui prendrait le contrôle de la majorité de l'Empire perse et fonderait la dynastie séleucide, était un autre acteur clé, utilisant l'image d'Alexandre pour légitimer son propre pouvoir.

Darius III, empereur de la Perse, était son principal rival sur le champ de bataille. Bien que souvent dépeint comme faible et inefficace, sa position et ses actions ont grandement contribué à la propagande d'Alexandre, notamment dans la manière dont la chute de l'empire perse a été narrée et utilisée pour légitimer l'expansion d'Alexandre.

Les cités-États grecques, en particulier Athènes et Sparte, sont également des acteurs centraux, car elles ont été les premiers tremplins d'Alexandre vers la conquête, et leurs réponses complexes à sa domination ont façonné la politique grecque pour des générations. Leur résistance intermittente et leur adaptation à la nouvelle réalité macédonienne ont témoigné de la capacité d'Alexandre à négocier, à manipuler et à contrôler l'information pour maintenir son hégémonie.

Enfin, il ne faut pas négliger le rôle des intellectuels et des historiens de l'époque. Callisthène, l’historien officiel d'Alexandre, a joué un rôle déterminant dans la façon dont les campagnes étaient enregistrées et diffusées, contribuant ainsi à la construction de la légende d'Alexandre. Plus tard, des historiens comme Arrien et Plutarque ont perpétué et façonné cette image pour les générations futures. Leur stratégie consistait à créer un récit qui perdurerait à travers l’histoire, immortalisant les exploits d’Alexandre.

Ces acteurs, par leurs actions et leurs interactions, ont tissé la toile cognitive qui a entouré Alexandre le Grand. Leur impact sur la stratégie et la diplomatie de l'époque et la manière dont ils ont façonné et été façonnés par la réputation d'Alexandre sont cruciaux pour comprendre la dynamique du pouvoir durant cette période charnière de l'histoire.

La prise en compte des cultures et la manière de les fusionner

La campagne d'Alexandre le Grand a révélé une dynamique de pouvoir complexe. Le rapport de force ne résidait pas uniquement dans la supériorité militaire, mais aussi dans la capacité à influencer, persuader et contrôler le récit des événements.

D'une part, il y avait la force militaire écrasante d'Alexandre, renforcée par des innovations tactiques comme la phalange macédonienne et l'usage de la cavalerie lourde, qui ont joué un rôle déterminant dans ses victoires. Cependant, la domination d'Alexandre s'étendait au-delà du champ de bataille. Il comprenait l'importance de la psychologie dans le rapport de force. En cultivant une image quasi-divine et en orchestrant soigneusement sa notoriété, il a amplifié l'effet de ses succès militaires, démoralisant ses ennemis avant même l'affrontement.

En face, les acteurs perses et grecs déployaient leurs propres stratégies d'information pour galvaniser leurs cités et armées contre l'avancée macédonienne. Pourtant, face à la puissance de la machine de guerre et de propagande d'Alexandre, ces efforts étaient souvent fragmentés et incohérents. L'empire perse, par exemple, malgré sa vaste richesse et ses ressources, souffrait d'une hiérarchie rigide et d'une communication lente, ce qui entravait sa capacité à contrer la narratif d'Alexandre.

Le rapport de force était également manifeste dans la capacité d'Alexandre à intégrer les territoires conquis, non seulement par la force, mais aussi par la diplomatie, le mariage culturel et aussi l’intégration de ceux-ci dans son armée et une stratégie qui a assuré la cohésion et la loyauté de son empire naissant. Il promouvait la fusion des cultures grecque et orientale, encourageant ses soldats à prendre des épouses locales et instituant des pratiques administratives mixtes.

La nature de ce rapport de force dépendait donc d'une alchimie entre puissance militaire, manipulation de l'information, et intégration politique et culturelle. Alexandre n'était pas simplement un conquérant ; il était aussi un maître de l’usage de l'information, utilisant chaque outil à sa disposition pour renforcer et étendre son pouvoir. La propagande était une composante cruciale. Les monnaies, les monuments et les récits circulant dans son empire servaient à renforcer sa légitimité divine et son rôle de successeur des pharaons et des rois perses.

La stratégie informationnelle d'Alexandre le Grand

Elle reposait sur une communication efficace, une gestion habile de son image et une capacité à se positionner comme un leader incontesté tant sur le plan militaire que culturel.

D'abord, Alexandre a soigneusement orchestré sa propre image, se dépeignant comme un conquérant éclairé et invincible, descendant des dieux. Il a employé des artistes, des historiens et des messagers pour diffuser des récits qui renforçaient cette perception. Par ces moyens, il a non seulement rallié ses propres forces, mais a également semé le doute et la peur parmi ses ennemis. Ensuite, il a utilisé la diplomatie comme un outil stratégique, se mariant lui-même ses généraux à des femmes de la noblesse locale pour solidifier des alliances et légitimer sa règle. Il a établi des villes portant son nom « Alexandrie » comme des bastions de la culture hellénique, servant de centres administratifs et de diffusion de l'influence grecque.

Les généraux d'Alexandre, après sa mort, ont poursuivi ces tactiques pour maintenir leurs propres pouvoirs dans les territoires qu'ils contrôlaient. Ils ont continué à diffuser et à adapter le récit d'Alexandre pour servir leur propre légitimité, souvent en se positionnant comme ses successeurs naturels. Face à cela, les adversaires d'Alexandre, notamment Darius III et les cités-États grecques, ont tenté de contrecarrer sa propagande, mais leurs efforts étaient souvent réactifs plutôt que proactifs. Les Perses ont tenté de dépeindre Darius comme un leader légitime et puissant, mais ces représentations étaient inégalement assorties aux récits dominants créés par le camp macédonien. Les cités-États grecques, bien qu'elles aient utilisé leur propre rhétorique pour galvaniser la résistance, ont souvent été divisées et incapables de former une réponse cohérente à la menace d'Alexandre.

En somme, la stratégie d'Alexandre et de ses généraux s'est avérée être supérieure en raison de sa capacité à combiner la force militaire avec des manœuvres psychologiques et informationnelles.

Alexandre Lemesre,
étudiant de la 27ème promotion Stratégie et Intelligence Économique (SIE)

Ouvrages

Janick Auberger, Historiens d'Alexandre, Paris, Les belles lettres, 2001.

Plutarque. (1975). Vie d'Alexandre le Grand.

Quinte Curce, Histoire d'Alexandre, Paris, Editions de minuit, 1984.

Articles

https://www.lefigaro.fr/histoire/2018/06/12/26001-20180612ARTFIG00296-13-juin-323-avant-notre-ere-la-mort-d-alexandre-le-grand-un-roi-a-la-conquete-du-monde.php

https://www.herodote.net/Un_conquerant_de_legende-synthese-185.php

https://www.cairn.info/orients-occidents-vingt-cinq-siecles-de-guerres--9782130556657-page-37.htm

https://www.routledge.com/The-Military-Legacy-of-Alexander-the-Great-Lessons-for-the-Information/Ferguson-Worthington/p/book/9780367512323

http://www.biu.sorbonne.fr/biu/agreg/ressources_histoire_antique/edh_ancienne_kholod_the-cults-of-alexander-the-great.pdf

https://www.fg-art.org/users_uploads/oeuvre_oeuvre_documents/5d404d7e98e9e.pdf