Le déclin de la position économique de la France en Afrique est-il irréversible ?

Depuis une vingtaine d’années, la France voit son importance économique avec l’Afrique se réduire fortement ; c’est tout particulièrement vrai pour l’Afrique francophone, pourtant un partenaire historique du capitalisme français.

En vingt ans, la France a perdu près de la moitié de ses parts de marché en Afrique par rapport à la concurrence, passant de 12% à 7%. "Les exportations françaises ont doublé sur un marché qui a quadruplé, d'où une division par deux de nos parts de marché”, affirme l'ancien ministre Hervé Gaymard dans un rapport rendu en 2019. Entre 2000 et 2017, les exportations françaises vers le continent africain auraient ainsi doublé de 13 à 28 milliards de dollars mais "sur un marché dont la taille a quadruplé d'environ 100 à 400 milliards de dollars d'exportations”, poursuit le rapport.  Ces chiffres sont confirmés par l'Observatoire de la complexité économique

Aujourd’hui, on est donc loin de l'image du domaine réservé, le recul français étant même plus prononcé en Afrique francophone. Non seulement la France perd des parts de marché au profit de l'Inde et surtout de la Chine, mais, en 2017, elle a également perdu son statut de premier fournisseur européen du continent africain, dépassée par l'Allemagne. La part de marché de la France en Afrique représente 7,35% loin derrière la Chine (27,75%) et très talonnée par l’Allemagne (6,57%) et les Etats-Unis (6,5%) qui mènent une guerre informationnelle cachée contre la France. En effet, l’une des causes de ce recul français se trouve dans un facteur irrationnel qui continue à présenter la France, l'ancienne puissance coloniale, comme "pillant” les richesses du continent (même si les faits économiques démentent en partie cette réalité).

Retour sur le sommet africain du printemps dernier

Le 18 mai 2021 une trentaine de chefs d’État et de Gouvernement africains, européens, du G7 et G20 ainsi que des dirigeants d’organisations internationales (FMI, BM, BAD, …) se sont réunis à Paris dans le cadre du sommet sur le financement des économies africaines. Officiellement, ce sommet faisait suite à la diffusion d’une tribune de 18 dirigeants africains et européens, publiée un an plus tôt (le 15 avril 2020), en faveur d’une mobilisation de la communauté internationale pour affronter les conséquences de la crise sanitaire et économique causée en Afrique par la pandémie.

Toutefois, l’analyse du bilan de ce sommet et du contexte économique et politique dans lequel il s’inscrit laisse entendre qu’il poursuivait également d’autres objectifs. En effet, face à l'accélération du tempo des affaires sur le continent africain, la France semble y avoir perdu pied. Résultat : et son influence et ses parts de marché sont en chute libre en faveur de nouveaux acteurs (alliés et adversaires) géopolitiques. Dans plusieurs pays d'Afrique francophone, la chute des parts de marché françaises est impressionnante. « Entre 15 et 20 points de pourcentage en Algérie, au Maroc, en Côte d'Ivoire, et 25 au Sénégal », note Coface dans une récente étude.

Bilan du sommet

Le sommet sur le financement des économies africaines s'est achevé avec comme principale annonce un soutien de la communauté internationale sur le plan sanitaire, mais sans prendre d'engagement financier ferme sur le plan économique. Rappelons que l'objectif affiché de ce sommet était de récolter 100 milliards de dollars pour combler en partie le besoin de financement de l'Afrique afin de relancer les économies africaines asphyxiées par les conséquences économiques de la pandémie de Covid-1. Sur ce point, les participants n'ont pas annoncé d'engagement financier ferme, mais promis d'engager des discussions autour des « droits de tirage spéciaux » (DTS) du Fonds monétaire international lors d’un prochain sommet (G7 en Juin 2021), sans les Africains donc. Notons toutefois, que ce 47ème sommet du G7 tenu du 11 au 13 Juin 2021 à Carbis Bay, en Cornouailles n’a pas évoqué la question financement des économies africaines dans ses conclusions.

La communauté internationale s’en tient finalement au principe déjà acquis d'une émission globale de DTS de 650 milliards de dollars, dont 33 milliards doivent revenir mécaniquement à l'Afrique, par le jeu des quotes-parts au sein de l'institution de Washington. Équivalents à une planche à billets du FMI, ces actifs monétaires peuvent être convertis en devises et dépensés, sans créer de dette. Comme on peut le voir, ce sommet de Paris n’a pas tenu ses promesses de l’avis de toute la presse africaine sur la question. Sauf s’il poursuivait d’autres objectifs.

Redorer l’image de la France à travers la diplomatie du vaccin et un nouveau modèle d’investissement.

La deuxième édition d'Africaleads, le "baromètre des leaders d'opinion en Afrique", réalisé par l'institut IMMAR auprès de responsables politiques, religieux, de représentants de la société civile mais aussi d'artistes et d'influenceurs, montre qu'au-delà de la réalité économique, c'est avant tout l'image de la France qui a été endommagée sur le continent. Alors que parallèlement, celle de l'Allemagne se maintient au plus haut, seulement devancée par les Etats-Unis, suivie du Canada, de la Chine et du Royaume Uni. Dans le contexte sanitaire actuel, la diplomatie du vaccin pour s’avérer une arme efficace.

Début février 2021, la Chine a établi un pont aérien entre Pékin et Addis Abeba qui permet alors d’exporter les premières doses de vaccins gratuitement ou à très bas prix en Afrique continentale. A la date de la tenue du sommet de Paris, ce sont désormais 17 pays africains que la Chine a pu livrer, majoritairement de son vaccin Sinopharm : l’Algérie, la République du Congo, les Comores, l’Egypte, le Gabon, la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Guinée équatoriale, le Maroc, le Mozambique, la Sierra Leone, le Sénégal et le Zimbabwe. Si les dons de doses de Pékin ont peu de chances de changer la donne géopolitique selon les analystes du cabinet britannique Verisk Maplecroft, ils contribuent à améliorer l’image du pays. C’est ce qui pourrait expliquer les engagements forts pris par la France lors du sommet de Paris pour le soutien de l’Afrique à travers le un don de 10 millions de doses à l’Afrique.

Ainsi M. Jean-Yves Le Drian, ministre français de l'Europe et des Affaires étrangères déclarait : « Le partage des doses n'est pas seulement l'expression de la solidarité : c'est une condition essentielle pour assurer un accès équitable et universel à des vaccins de qualité contre la COVID-19. Ce nouveau partenariat avec l'Union africaine et Gavi/COVAX va permettre à la France de donner 10 millions de doses de vaccins Astra Zeneca et Pfizer aux pays africains. Il incarne la volonté de la France d'être aux côtés des populations africaines pour lutter avec elles contre la pandémie.». Toutefois, le président français est conscient que reconquérir ses parts de marché en Afrique passera également par un nouveau modèle d’investissement.

Au sein du Comité Afrique de Medef International qui s’est réuni le 5 septembre 2021, on note concernant l’Afrique que « désormais, la compétition y est internationale ». Malgré ces propos qui se veulent rassurants d’une prise de conscience du patronat, le constat est frappant : en 2000, les exportations françaises représentaient près de 11 % des flux vers l'Afrique. Ce chiffre a été divisé par deux en 2017, pour représenter 5,5 % selon Coface. Pour Roland Portella, spécialiste en développement d'entreprises et président de la Cade (Coordination de l'Afrique de demain), ce qui ne marche plus, c'est le prisme d'analyse de la coopération Nord-Sud qu'appliquent encore les entreprises françaises. Et de citer le cas de l'Allemagne qui a clairement choisi d'avoir une approche bilatérale avec une organisation de ses activités en filières. « L'approche allemande peut intéresser l'Afrique, car les Allemands investissent en coentreprise, c'est dans leur ADN.

L’initiative du sommet sur le financement des économies africaines, au-delà des apparences semble s’inscrire clairement dans le sens d’une riposte stratégique de la France en Afrique. Toutefois, face au pragmatisme allemand et à l'offensive chinoise qui promeut sa nouvelle Route de la soie, la France peut-elle encore se ressaisir et changer son logiciel vis-à-vis de l'Afrique pour mieux être à même de reconquérir ses parts de marché ? La question reste posée.

 

Jean Jacques T. Sebgo
Auditeur de la 36ème promotion MSIE