Le développement des startup africaines va-t-il engendrer de nouvelles problématiques d’influence

Le continent africain connaît depuis ces dernières décennies une recrudescence des initiatives entrepreneuriales. L’Afrique a aujourd’hui une économie globale en progression, avec son produit intérieur brut (PIB) en croissance et qui devrait passer de 2.980,11 milliards de dollars) en 2022 à 4.288, 08 milliards de dollars en 2027, soit une hausse de 43,89%. Cette évolution peut se transformer en un hub d’opportunités à condition que les clivages et les luttes internes ne fragilisent trop certains pays.

Une croissance supérieure à 200%

Terre aux multiples richesses naturelles et intellectuelles, dotée d’une démographie galopante avec des économies en quête de développement fortement marquées par le secteur informel, l’Afrique fait rêver. Ce potentiel plus ou moins attrayant voit la montée de start-up aux solutions digitales parfois très disruptives, à fort impact social mais dotées de perspectives de développement très élevées. D’où l’intérêt pour les fonds d’investissement recherchant des pépites, ces sociétés à croissance explosive.

L’Afrique est aujourd’hui la convoitise des fonds d’investissements et institutions financières internationales qui voient en elle un eldorado d’investissements prometteur. Surtout que l’évolution de l’écosystème des start-up en Afrique a subi un bond extraordinaire avec une croissance incroyable supérieure à 200 % en une année. Laissant présager un avenir encore plus fertile pour les start-up.

La confiance des investisseurs dans l’univers de l’entrepreneuriat et de l'innovation africaine a beaucoup évolué. En 2017, ce sont près de 560 millions de dollars qui ont été levés par les start-up africaines, soit une hausse de 53 % par rapport à 2016. Cinq années plus tard, ce sont plus de 159 opérations qui ont marqué le premier semestre pour un total de fonds injectés avoisinant le double de celui de l’année 2021. Les tours d’amorçage continuent de se tailler la part du lion. Et même si les levées de fonds de petites tailles semblent tenir le pari, les opérations plus avancées maintiennent également le cap.

Comparés aux pays occidentaux, les financements mobilisés en Afrique restent pour le moment minimes. Cependant, les pépites du continent sont passées à la vitesse supérieure ; avec près de 5,2 milliards de dollars de fonds levés en 2021 et plus de 7 milliards de dollars pour les start-up du continent en 2022. D’ores et déjà, les montants levés individuellement dépassent les dizaines voire centaines de millions de dollars.

Les jeunes pousses du continent séduisent de plus en plus les investisseurs internationaux. Et les activités de l’écosystème de la tech africaine en 2022 connaissent un développement exponentiel, permettant au continent de connaître la croissance la plus rapide au monde et à attirer deux fois plus de chasseurs d’opportunités dont des investisseurs ayant fait preuve d’engagement sur le marché.

Ce n’est pas pour autant qu’il faut ignorer l’appui des institutions de financement et de développement telles que Proparco, le Groupe Agence Française de Développement (AFD), les mécanismes de panachage de l’Union européenne, la Banque africaine de développement (BAD), BoostAfrica, Muller Medien, pour ne citer que celles-là, qui ont incontestablement joué un rôle crucial par une complémentarité des interventions permettant de mettre en place un écosystème propice à l’émergence de start-up (par la création d’incubateurs, d’accélérateurs, etc.).Toutes ces actions contribuent activement à rendre plus attrayant l’écosystème entrepreneurial africain.

Principales provenances des investissements dans les startup africaines

La quasi-totalité des investisseurs provenant d'Amérique du Nord et principalement des Etats-Unis qui sont les plus actifs. Ils ont été cités au moins 200 fois dans les différentes transactions ayant eu lieu au cours du premier semestre de l’année 2022. Derrière les Etats-Unis, l'Afrique est la deuxième région qui ne ménage aucun effort pour la promotion de ses pépites.

Plus de 1200 investisseurs ont déjà participé aux différents cycles de financement des start-up africaines au cours du premier semestre 2022. Alors que de plus en plus d’investisseurs à travers le monde se tournent vers l’Afrique, ce sont les sociétés américaines de capital-risque qui semblent les plus actives sur le continent. La première place revient à l’accélérateur californien Y Combinator suivi par l’US African Development Foundation (USADF), nouvellement arrivé sur le marché africain et s’offre déjà la deuxième marche du podium. Les investisseurs asiatiques sont menés par le Japonnais Kepple Africa Ventures qui continue d’étendre ses intérêts sur le continent alors que d’importants acteurs nippons, notamment SoftBank Group y fait sa première semence depuis 2019.

D’autres investisseurs comme Gold Ventures, Capital Limited ou encore Partech ont aussi mis des fonds de côté pour les startups africaines. Cathay Innovation, dirigé par l’investisseur chinois Mingpo Cai, s’inscrit également dans cette dynamique, en prévoyant 150 millions d’euros pour les jeunes pousses africaines. Idem pour Cathay Innovation et son partenaire AfricInvest qui ont prévu d’investir dans plusieurs domaines. Pour l’instant, les startups en Afrique qui ont eu droit à un maximum d’attention sont généralement celles qui développent de la technologie financière (du FinTech). On peut s’attendre à ce que Cathay Innovation choisisse les mêmes, évoluant dans ce secteur d’activités.

Un échiquier financier qui mérite d'être décrypté

Plusieurs structures financières internationales accompagnent le développement pour un entrepreneuriat innovant en Afrique. Elles proposent aux start-up du continent un soutien technique et financier, permettant de renforcer les capacités des hubs, incubateurs et accélérateurs qui les soutiennent. Ce sont entre autres :

-Janngo Capital Startup Fund, deuxième instrument d’investissement de la société de gestion, est le plus grand fonds de capital-risque tech en Afrique. La société entend investir 60 millions d’euros dans des startups qui tirent parti de la technologie pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD) en Afrique. Elle prévoit aussi injecter jusqu’à 5 millions d’euros d’investissements à des startups technologiques en phase de démarrage. Lancé à Davos en 2020, le dernier fonds de Janngo Capital investira 50 % de son produit dans des entreprises fondées, cofondées ou bénéficiant aux femmes.

 -BoostAfrica : une initiative conjointe soutenue par l’Union européenne et dirigée par la BEI et la Banque africaine de développement (BAD) avec le soutien financier du groupe d'États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OACPS). Elle vise à libérer le potentiel entrepreneurial des jeunes africains grâce à des investissements par des fonds de capital-risque.

-Proparco : la branche de financement du secteur privé de l’Agence française de développement (groupe AFD) avec un financement de 2,3 milliards d’euros approuvé en 2021. Dans le cadre de l’initiative française ChooseAfrica, elle avait pour objectif d’engager 3,5 milliards d’euros au bénéfice des start-up, TPE et PME africaines sur la période 2018-2022.

-Burda Principal Investments (BPI), la branche de capital de croissance de l’entreprise de médias et de technologie Hubert Burda Media, avec des investissements réussis dans des licornes comme Etsy, Vinted et Carsome.

-Muller Medien, un conglomérat médiatique familial allemand ; avec son secteur New Business, Mueller Medien détient plus de 60 investissements de démarrage, notamment Booksy, UrbanSportsClub&bookingkit.

-Fonds d’amorçage Digital Africa : Lancé en novembre 2019 sur initiative de l’AFD, il soutient l’innovation en Afrique et propose des solutions de financements directs aux start-up africaines. Il contribue aussi à renforcer les capacités des hubs, incubateurs et accélérateurs qui les soutiennent. Doté d’une enveloppe de 15 millions d’euros, il permet à l’AFD de soutenir les programmes de six partenaires locaux qui accompagnent et financent les start-up numériques dès le début de leur activité.

Bien d’autres acteurs restent également très actifs tels que USAID, Tiger Global sans oublier Future Africa, CatalystFund, Microtraction, Raba, Voltron Capital, Social Capital pour ne citer que ceux-là.

Les quatre pays cibles

Le quator composé de la fintech, de la blockchain, de la healthtech et de l’éducation sont les secteurs de plus représentés. Quant aux destinations de prédilection des candidats, elles se concentrent sur les « Big Four » de l’écosystème des start-up, à savoir le Nigeria où, à elles seules, les start-up ont levé plus de 1,7 milliard d’euros, soit 34 % de l’ensemble des financements en Afrique), le Kenya, l’Afrique du Sud et l’Égypte. Ce sont les quatre pays du continent où les start up lèvent le plus « d’argent » grâce à des déterminants tels que la croissance démographique, la présence des talents et un risque politique relativement contrôlé. L’Égypte, l’Afrique du Sud et le Kenya ont également attiré plus d’un demi-milliard de dollars chacun. Le Sénégal se positionne à la 5ème place. L’Afrique francophone bien qu’accélérant 2,6 fois plus vite que le reste du continent reste pour le moment à la traine. Les pays du Maghreb, eux, arrivent très loin derrière dans ce classement.

L’Afrique reste une terre d’opportunités d’investissements, avec parfois certaines incertitudes dans la montée en puissance. Mais elle est conditionnée par l’amélioration des contextes politiques et juridico-légales. Bien qu’il soit encore loin d’atteindre une pénétration semblable à celle du continent américain, de l’Europe ou encore de l’Asie, l’investissement en capital-risque enregistre une croissance forte sur certains pays du continent africain. Notons cependant que les start-up africaines ont besoin de beaucoup plus que des investisseurs et des fonds pour passer à l’étape suivante. Les jeux d’influence extérieurs joueront un rôle non négligeable dans cette émergence d’activités dans le monde immatériel africain.

Désiré Kadio-Morokro
Auditeur de la 41ème promotion MSIE de l’EGE