Le Nollywood, un outil nigérian d’influence

En jetant les bases d'un soft-power (1) , le Nigéria tente d'exporter une certaine forme de notoriété culturelle afin d’engendrer l’attraction et l’admiration d’autres pays à son égard. Il met ainsi en avant  le succès de sa musique (Afrobeats), sa mode, sa gastronomie et surtout, son cinéma surnommé « Nollywood » (2), qui constitue à ce jour son plus important promoteur culturel.

Le Nollywood, entre ‘Success Story’ à l’Africaine et dissimulation.

Puissance économique du continent Africain (219 millions d’habitants soit sixième population mondiale et un PIB multiplié par 4 entre 2000 et aujourd’hui), le Nigéria souffre de nombreux maux: pauvreté, corruption, chômage (27% de la population active), criminalité, terrorisme (djihadisme dans le nord du pays), sa démographie (60% de moins de 25 ans)… Autant de facteurs nuisant à sa réputation. Il peut cependant réhabiliter son image par le soft-power culturel, et c’est là qu’intervient le Nollywood.

Le « Nollywood » (Sobriquet avec le « N » de Nigeria pour remplacer le « H » d’Hollywood) est né dans les années 80 dans les rues de Lagos pendant une période où la télévision nationale faisaient l’objet de censure de la part du régime militaire en place. Par rébellion, des producteurs indépendants réalisent des films à petit budget vendus à la sauvette sur VHS. Le Nollywood devient conséquent dans les années 2000 avec le retour de la démocratie et depuis 2009, est le deuxième plus gros producteur de films au monde après Bollywood et juste devant Hollywood (plus de 2000 métrages par an).

Contrairement au Bollywood Indien, le Nollywood ne vise pas que la diaspora nigériane : il produit une multitude de films ou séries en plusieurs langues (Anglais, Haoussa, Igbo, etc.), visant différents groupes ethniques (Peuls, Yorouba, Fulani, etc.) ou religieux (Athées, Musulmans, Catholiques, Protestants, etc.). Il s’adresse donc à l’ensemble de la population noire africaine et toutes ses diasporas respectives en Europe, Amérique du Nord et Caraïbes.

À l’instar de l’« American Dream » Etasunien, le Nigéria veut reprendre la main sur son récit et celui de ces voisins. Le cinéma est un excellent outil de projection et manipulation identitaire dont Hollywood a excellé en la matière: En Europe par exemple, la mémoire du rôle de la Russie contre l’Allemagne pendant la deuxième guerre mondiale s’est progressivement estompée, au profit des Etats-Unis qui sont aujourd’hui considérés comme principal sauveur. Les nombreux blockbusters américains ayant largement contribué à ce récit, il s’agit bien d’intoxication voir de propagande car l’action de l’industrie du divertissement implante des idées ou conceptions parfois biaisées au sein de l’opinion publique. 

Concurrence à l’hégémonie française en Afrique de l’Ouest

Bastion anglophone dans le golfe de Guinée, l’environnement immédiat du Nigéria est l’Afrique francophone (Togo, Benin, Niger, Tchad, République Centrafricaine, Cameroun), dont la plupart des pays ont encore des liens politiques forts avec la France. C’est sur cette zone que le Nollywood exerce sa plus forte influence, au point que certaines expressions Pidgin (créole nigérian), se sont popularisées. Le multilinguisme du Nollywood lui permet d’accéder facilement à certaines communautés : par exemple en Yorouba, langue que le Nigeria partage avec le Bénin, le Togo et la Côte d’Ivoire.

La production cinématographique noire a pourtant connu ses premières places fortes en Afrique francophone (Sénégal et Burkina Faso) dès les années 50. Son développement est cependant resté largement conditionné au financement extérieur français, impactant le contenu des productions et donnant une grande visibilité de la France dans son « pré-carré ». Les scénarii, rarement altruistes, sont de moins en moins plébiscités par le public ouest-africain qui les perçoivent parfois comme caricaturaux. Les productions soutenant l'identité culturelle de l’Afrique Noire (en ligne avec le concept de « Négritude » dont le président sénégalais Senghor était un partisan) ont pour objectif d’éduquer et d’informer. Bien que, la qualité artistique du cinéma africain francophone soit reconnue, sa faible visibilité à l’international et le manque de structures locales solides lui font aussi défaut.

Le cinéma nigérian lui, s’est développé sans l’implication du Royaume-Uni et a fait sien l’aspect commercial de l’industrie : Il intègre plus insolemment que le spectateur Africain francophone, anglophone ou lusophone doit d’abord être diverti avant d’être éduqué ou informé. Il utilise les codes du cinéma occidental grand public en adaptant le récit aux réalités culturelles locales - on mise sur le scénario (magie noire, polygamie, comédie ethnique, etc.) en laissant de côté la dimension artistique. Il s’assure également que s’il y a une intention de propagande, elle est d’abord au bénéfice du spectateur africain afin de gagner son adhésion. Cette méthode est d’ailleurs reprise par des réalisateurs africains francophones en recherche de rentabilité et de ralliement avec un public aspirant à la modernité.

Le Nollywood, une action d’influence par l’agitation sociale ? 

Le Nollywood couvre un large éventail de thématiques (soap-opera, comédie, thriller, fantastique, aventure, drame…) induisant les téléspectateurs à s’identifier aux héros et à avoir  une vision positive de la morale ou de l'audace du Nigéria: Dans « 93 days » par exemple, on découvre comment le pays s’est protégé et a préservé le reste du monde du virus Ebola grâce au sacrifice et courage de quelques héros. S’il est établi que le Nollywood agit dans le domaine de l’influence, son action se focalise sur quelle idée le public africain doit se faire de lui-même et du Nigeria, d’où la volonté d’agiter l'ordre publique et intellectuel. 

Dans le même sens, l’émergence de « célébrités diplomates » issues du Nollywood pour la diplomatie culturelle Nigériane contribue à influencer: Des actrices comme Genevieve Nnaji sur le féminisme, Ini Edo comme ambassadrice de l’ONU sur l’habitat durable, Omotola Jalade Ekeinde comme militante au sein d’Amnesty International, mais aussi des chanteurs Afrobeats (Davido, Burna Boy, Wizkid…) se sont largement exprimés sur les répressions policières et le mouvement Black Lives Matter aux Etats-Unis. La visite officielle du président Macron en 2017 illustre cette méthode, par laquelle le Nigéria a largement mis en avant ses stars dans les délégations pour illustrer sa dynamique culturelle et sociétale.

Relations avec les investisseurs étrangers : alliés ou assaillants ?

Le mode opératoire du Nollywood (production de masse avec un budget minime) lui permet de ne subir l’influence ou chantage financier d’aucun pouvoir politique ou religieux en particulier. Aussi, son mode de diffusion très digitalisé (réseaux sociaux et smartphones) lui permet d’accéder à un large public avec peu de contrôles extérieurs - Un défi pour des investisseurs privés pour contrôler le contenu diffusé. Cependant la taille de l’audience concernée est tellement conséquente (au moins 500 millions de personnes, Afrique de l’Ouest et diaspora comprise) qu’il ne peut plus être ignoré par les grands groupes comme l’américain Netflix, le sud-africain Groupe-M, le chinois Startimes ou le français Canal+: attiré par la rentabilité du Nollywood, ils ont commencé à intégrer des productions nigérianes dans leur catalogue.

Les Nigérians se retrouvent donc en position de force, en exacerbant la compétition entre ces investisseurs étrangers qui se font la course pour accéder aux maisons qui produisent des contenus de qualité, en quantité et rapidement. Cette hégémonie n’est pas pour autant inébranlable dans une logique capitaliste… Beaucoup de Nigérians impliqués dans le Nollywood, l’on fait dans un esprit de « start-up » (3). Par exemple, l’acquisition des studios nigérians ROK par Canal+ lui permettra d’acquérir l’expertise nigériane tout en s’impliquant dans le contenu des diffusions. A grande échelle, ce type de transactions peut remettre en question l’intégrité des actions d’influences Nollywoodiennes.

Le gouvernement nigérian a pris conscience du risque pesant sur l’influence de son cinéma et a commencé a adopter des postures préventives, protectrices, voire combatives :

Soft-power ou illusion ?

Si le soft power se définit par la capacité d’un État à influencer et orienter les relations internationales en sa faveur sans coercition, le Nollywood a bel et bien aidé le Nigéria à renforcer sa légitimité auprès de cibles variées : publics étrangers, gouvernements, ONG, firmes internationales, etc. Mais son ambition reste contrariée par des faits marquants : les activités de la secte Boko Haram, la corruption, le trafic de stupéfiants… Certains détracteurs jugent que l’autorité morale du Nigéria reste illusoire et qu’à cette heure, un siège permanent autour de la table onusienne n’est pas justifié.

 

Xavier Geoffret
Auditeur de la 35ème promotion MSIE

 

Notes

1- Une action d'influence est une activité délibérée usant de tous les moyens (informations, signaux, interprétations), pour créer, maintenir ou modifier les comportements d’une cible, dans le but de servir les intérêts ou objectifs de son auteur sans recours à la force. 

 2 -Le Nollywood illustre comment un pays émergeant parviendrai, avec peu de moyens, à modifier son image dans le monde. Car aujourd’hui, en challengeant les industries cinématographiques américaines ou européennes, c’est sur le fond l’impérialisme occidental en Afrique qui est remis en question.

3- Créer une petite structure pour la faire fructifier avant de la revendre au plus offrant.