Le Processus de Kimberley, enjeu de guerre économique

Célèbre pour sa mythique mine de diamants et perchée sur ses 1230 mètres d’altitude, la ville de Kimberley, est le chef-lieu de la province du Cap-du-Nord en Afrique du Sud. C’est ici que les principaux producteurs de diamants d’Afrique Australe, sous la pression des Etats Unis, de la Grande Bretagne et d’organisations de la société civile, se réunissent en mai 2000 pour lancer l’idée d’un cadre de certification international des diamants.

Objectif affiché : Prévenir la vente de diamants issus de zones de conflits sur le marché international, en d’autres termes, mettre un coup d’arrêt au commerce des ‘’diamants de la guerre ’’ provenant principalement du continent africain. L’Organisation des Nations Unies adopte à l’unanimité en décembre 2000 une résolution qui conduira à l’entrée en vigueur en 2003 du processus de certification de Kimberley, non sans grincements de dents, sur fond de guerre économique entre acteurs étatiques et non étatiques.

Contrairement aux autres ressources minières comme l’or, le coltan ou l’uranium, le diamant a été pendant longtemps quasi-absent des enjeux des relations internationales. D’après David Mugnier, cela s’explique par la combinaison de trois facteurs : ‘’ la découverte tardive des premières kimberlites (en Afrique du sud en 1866), le nombre peu élevé de sites diamantifères et la place relativement marginale occupée par le diamant pour fabriquer des armes ou constituer une réserve de valeur facilement échangeable ‘’.

Il faudra attendre la fin des années 90 et le début des années 2000 avec la parution de rapports notamment de l’ONG Global Witness sur les diamants exploités par des groupes rebelles en Angola, au Libéria, en Sierra Leone, en Centrafrique, en République Démocratique du Congo, pour provoquer une prise de conscience mondiale sur la question. Rejoignant la campagne contre les diamants du sang, les célèbres acteurs Hollywoodiens, Leonardo di Caprio, Jennifer Connelly et Djimon Honsou y consacreront un film ‘’Blood Diamond ‘’ en 2006. Le Processus de Kimberley gagne en notoriété et en efficacité. Au point où les experts estiment que les ‘’ les pierres incriminées concernent désormais moins de 1% des échanges, contre plus de 15% dans les années 1990 ‘’

Kimberley au centre d’enjeux géopolitiques

Cependant, très vite, des lignes de fracture vont apparaitre au sein du Processus de Kimberley, en témoigne l’affaire des mines de Marange. Cette localité est réputée détenir les gisements de diamants les plus riches jamais découverts en Afrique depuis des décennies. Problème : l’ONG Human Rights Watch a accusé l’armée zimbabwéenne d’avoir tué en 2008 quelques 200 personnes pour faire main basse sur ces minerais. Ce que conteste le Gouvernement Zimbabwéen à l’époque qui autorise la compagnie nationale Zimbabwe Consolidated Diamond Co. (ZCDC) et l’entreprise Chinoise Anhui Foreign Economic Construction Group (AFECC) à poursuivre l’extraction. Le Processus de Kimberley se retrouve fragilisé. Les USA et l’UE qui appellent au boycott des diamants de Marange subissent un tir de barrage de la Chine, de l’Inde et des pays africains qui soutiennent le Gouvernement de Hararé. L’ONG Global Witness annonce son retrait du Processus de Kimberley

Le cas centrafricain

Théâtre d’affrontements récurrents entre gouvernements légitimes et groupes rebelles, la République centrafricaine est régulièrement pointée du doigt comme le mauvais élève du processus de Kimberley qui interdit l’exportation de diamants centrafricains. De nombreuses ONG estiment que les conflits dans le pays sont financés par le commerce illicite de diamants. Il faut noter que le diamant constitue 50% des exportations et 20% des recettes budgétaires de la Centrafrique. Assurant la présidence en exercice du Processus de Kimberley en 2020, la Russie, premier producteur mondial de diamants lance une offensive en faveur de la réintégration de la RCA dans le Processus de Kimberley :

‘’ Nous voulons que les personnes qui produisent les diamants dans ce pays et dont c’est la seule source de revenus soient traitées en toute légitimité ‘’ argumente le vice-ministre russe des finances Alexeï Moiseev. Ce plaidoyer aurait-il un lien avec la présence d’entreprises russes dans les zones diamantifères centrafricaines depuis la signature d’un accord militaire et économique entre la Russie et la Centrafrique ? La Lobaye Invest, une entreprise russe est accusée de faire du commerce de diamants avec des groupes bannis par le Processus de Kimberley. Ce que dément Moscou.

Les Limites du Processus de Kimberley

Les soutiens de la Chine au Zimbabwe et de la Russie à la Centrafrique face aux ONG soupçonnées d’être instrumentalisées par les Etats Unis et les pays occidentaux montrent bien la fragilité du Processus de Kimberley sur fond de guerre économique. Sans compter l’ensemble des problèmes structurels liés à la mise en place de cet instrument. A commencer par la définition de la notion de ‘’ diamants de conflits ‘’. Car ainsi que le souligne Elise Rousseau ‘" Plusieurs Etats, principalement d’Afrique australe,  dénoncent la dimension néocoloniale de ce projet essentiellement porté par des Etats occidentaux".

L’argument économique est aussi avancé : si le mandat du Processus devait être étendu, plusieurs gouvernements se verraient dans l’impossibilité de remplir les conditions minimales nécessaires à leur participation au commerce des diamants. Ceci aurait des conséquences importantes pour les pays dont l’économie s’est construite autour de l’exportation de cette matière première’’.

Par ailleurs certains experts regrettent que le Processus de Kimberley puisse favoriser l’évasion fiscale, en témoigne l’affaire Omega Diamonds. Sur un tout autre plan, l’architecture du processus de Kimberley porte en elle-même les germes de divisions. Car on pourrait raisonnablement s’interroger sur la solidité et la cohérence de l’ossature tripartite du Processus de Kimberley composé des Gouvernements, de la Société Civile et des Représentants de l’Industrie diamantifère. Trois acteurs avec des agendas pas toujours convergents. Sans compter la compétition acharnée entre les Etats pour la captation des ressources minières qui alimentant naturellement les suspicions au sein du Processus.

Comme on le voit, au-delà des règles et des normes, l’efficacité d’un tel instrument à l’instar de l’Organisation mondiale du Commerce reposerait avant tout sur la bonne foi de l’ensemble des acteurs étatiques et non étatiques.

 

Thierry Hot
Auditeur de la 36ème promotion MSIE