Le renversement du rapport de force dans la guerre informationnelle sur la chasse

Depuis des décennies les sphères pro et anti-chasse ont gardé leur même stratégie informationnelle, pourtant différentes l’une de l’autre. Le lobby pro chasse se limitait à l’influence des milieux politiques, principalement grâce à un acteur, Thierry Costes, lobbyiste depuis plus de vingt ans. Néanmoins les chasseurs ont totalement délaissé l’influence et la communication avec le grand public, terrain que leurs opposants anti-chasse n’ont pas hésité à investir. Effectivement le camp anti-chasse communique envers l’opinion public par une stratégie reposants sur deux volets, le dénigrement de l’image du chasseur et la mise en avant des accidents de la chasse. Cette stratégie, pourtant simple s’est révélée très efficace en l’absence de réponse des défenseurs de la chasse. C’est ce constat qui a poussé le camp des chasseurs à modifier sa stratégie informationnelle depuis quelques années.

Le récent changement de la stratégie de communication du lobby de la chasse 

Le sentiment anti-chasse a connu une croissance quasi exponentielle depuis une décennie, face à cette débâcle idéologique le lobbying de la chasse a réagi de manière drastique. Cette défaite est due à une stratégie offensive de la part des activistes anti-chasse d’une part et d’autre part à une défense d’une faible intensité des chasseurs.

Pour créer un sentiment anti-chasse, les opposants médiatisent les accidents de chasse mortels, 14 en moyenne par an depuis 10 ans. Après la critique de la pratique, les anti-chasse dénigrent le pratiquant, en réussissant à implanter dans l’imaginaire collectif une image péjorative du chasseur. Les chasseurs déplorent eux-mêmes cette image qu’ils appellent « syndrome de la gallinette-cendrée » en référence au sketch des inconnus qui illustre parfaitement cette description du chasseur.

Ces attaques à répétition et l’absence de réponses coordonnées ont influencé très efficacement l’opinion public, qui en 10 ans a balancé pour la quasi-totalité vers un sentiment anti-chasse. En 2010 un sondage de l’IFOP démontrait que 56% des Français était favorable à l’interdiction de la chasse, 78% en 2016 et 84% en 2018.

Face à cette submersion idéologique les défenseurs de la chasse ont décidé, à partir de 2016 et la nomination de Willy Schraen à la présidence de la Fédération Nationale des Chasseurs (FNC) de rentrer dans la bataille médiatique et d’occuper un terrain laissé vide depuis des décennies.

Les chasseurs utilisent d’ailleurs cet argument du manque de dialogue avec le grand public pour expliquer ce sentiment majoritaire anti-chasse au sein de la société française : « On n'a pas assez expliqué ce que nous faisions. Alors automatiquement, le grand public se méfie de ce qu'il ne connaît pas. Mais parmi les opposants, combien connaissent vraiment la chasse ? » explique E. Blacque-Belair, responsable communication de la FNC. Il réutilise cet argument lorsqu’en septembre dernier un sondage très défavorable pour les chasseurs est paru : « plus les Français connaissent la chasse plus ils y sont favorables ». Un des premiers axes de cette nouvelle communication est donc d’expliquer que si les Français n’aiment pas la chasse, c’est principalement parce qu’ils ne la connaissent pas.

Bien que les défenseurs de la chasse aient décidé de prendre la parole médiatiquement, contrairement aux anti-chasse, ils ont choisi de parler à un public plus précis.

Une communication ciblée pour attirer un nouveau public 

Le camp pro-chasse, principalement portée par la FNC, profite de cette nouvelle offensive pour palier un autre de ses problèmes, la sociologie de ses licenciés. La population de chasseur vieillit et se réduit année après année. La moyenne d’âge est de 55 ans et chaque année des milliers de chasseurs ne renouvellent pas leur permis. Cette réduction du nombre de chasseur représente un danger pour le lobbying politique, en effet la force du lobbyiste T. Costes découle directement du « vote des chasseurs », c’est le poids électoral du million de chasseur qui permet autant d’influence. Si cette masse électorale de chasseur s’amoindrit trop et qu’il devient plus porteur politiquement de critiquer la chasse que de la soutenir, la chasse sera alors véritablement menacée dans son existence même.

La FNC a donc adopté une approche capitaliste de la chasse comme un produit qui cherche à étendre son marché et donc toucher un public qui ne les connait pas et qui ne chasse pas. Dans cette démarche la FNC a produit une succession de vidéos marketing pour attirer des jeunes, des femmes de milieux aisés ou populaires. Ce ciblage des femmes illustre la volonté de la FNC d’en faire une part plus importante dans la population des chasseurs, elles qui ne représentent à l’heure actuelle que 2% des licenciés.

Le monde de la chasse cible aussi les jeunes, cela s’illustre par la multiplication des jeunes influenceurs principalement sur Instagram. Ces « influenceurs chasse », promeuvent une image plus lisse et attirante de leur pratiques, évidement aux antipodes de celle diffusée par le camp anti-chasse. Ce phénomène encouragé par la FNC démontre une nouvelle fois la volonté des défenseurs de la chasse d’occuper un terrain jusque-là laissé exclusivement aux militants de la cause animale.

Mais cette démarche n’est pas seulement soutenue par la partie institutionnelle du camp pro-chasse, elle permet également d’identifier les acteurs économiques de cette sphère. L’enjeu n’est pas seulement sociétal, l’économie de la chasse représentait 3,6 milliards d’euros et fournissait un emploi à 25 800 personnes en 2016. Une récente étude expliquait qu’un chasseur dépense en moyenne 3000 euros par an pour cette passion entre l’armurerie, l’équipement vestimentaire, les diverses garanties et les permis. Les armureries et équipementiers qui bénéficient de ces dépenses sont très favorables à l’accroissement du nombre de chasseurs et donc de leur base clientèle. Ces acteurs multiplient les partenariats et les soutiens avec ces jeunes influenceurs.

Des débuts maladroits mais néanmoins déjà payants 

Les défenseurs de la chasse bénéficient d’un savoir-faire de qualité en matière de lobbying politique, en témoigne la réduction du prix du permis de chasse en 2018, passé de 400 à 200 €. Mais cette efficacité nécessite de l’expérience, dont manque cruellement la FNC en matière de stratégie informationnelle avec le grand public.

Les débuts de la jeune offensive informationnelle se sont soldés par de nombreux échecs. Les partisans de la chasse ont tenté de répondre à l’encerclement cognitif des anti-chasse sur les accidents de chasse en médiatisant les incidents commis par ces derniers. Cependant cette tactique s’est révélée contre-productive, d’une part parce que la course à la victimisation ne séduit pas l’opinion public, d’autre part parce que le degré de gravité de ces incidents n’atteint jamais celui de certains accidents de chasse qui provoquent la mort.

Un autre exemple de faux-pas médiatique est l’affaire du piégeage des chats. Le 3 mai 2020, W. Schraen expliquait sur un live Facebook qu’il serait judicieux de piéger les chats qui s’éloignent des habitations car ils tueraient trop d’oiseaux. Les anti-chasse ont utilisé cette séquence pour renforcer leur argument qui veut que les chasseurs aiment tuer. Ce cas illustre d’ailleurs la maitrise de la communication médiatique des anti-chasses. Ils ont su extraire de ce live les quelques secondes qui vont dans leur sens et qui accablent W. Schraen. Cet extrait choquant a été repris par une multitude de médias, créant un épisode médiatique en défaveur des chasseurs.

Bien que les soutiens de la chasse commettent plusieurs erreurs en raison de leur manque d’expérience, certaines offensives qui pourraient être qualifiées d’échec se sont avérées être fructueuses.  C’est l’exemple de la campagne sur l’écologie menée en 2018, les chasseurs se présentaient alors comme « les premiers écologistes de France ». Cette campagne a été tournée en dérision et peu de personnes ont pris au sérieux cet argument dans un premier temps. Cependant février dernier un sondage IFOP démontre que cette idée a infusé dans l’opinion public. Les Français ne pensent pas que les chasseurs soient les premiers écologistes de France, mais une majorité estime que la chasse et la protection de la biodiversité sont liées. Dans le sondage 76% des français jugent que les chasseurs devraient en faire plus pour protéger la biodiversité, l’adverbe « plus » sous-entendant qu’ils œuvrent déjà en ce sens. Par ailleurs 86% des Français souhaitent une collaboration avec les associations de protection de la nature pour défendre la biodiversité, ce qui signifie qu’ils acceptent effectivement que les chasseurs prennent part à cette action.

La contre-offensive du camp anti-chasse malgré la désorganisation de ses activistes 

Comme expliqué en introduction, la camp anti chasse n’a pas modifié sa méthode, mais le changement de stratégie des opposants le force a évolué également. Les récents rapports de force ont démontré la faible mobilisation de la cause purement anti-chasse.

Le lobby anti-chasse est éclaté, divisé. Il est relégué à une sous-catégorie de la cause animale, elle-même une sous-catégorie du militantisme écologique. Bien que ces causes rassemblent beaucoup de jeunes (en témoignent les marches pour le climat qui ont rassemblées plus de 100 000 personnes lors de 6 manifestations) et qu’une partie de l’opinion public est largement de leur côté, la mobilisation est quasi absente du côté des opposants à la chasse.

Coté chasse c’est le cas inverse, les troupes sont moindres mais plus concernées. Le million de chasseur français est mobilisé, la manifestation de 40 000 chasseurs pour défendre leur cause en septembre 2021 en est la preuve. A cette occasion les chasseurs ont tenté de prendre l’ascendant psychologique sur les anti-chasse qui ont organisé des manifestations qui ont rassemblé très peu de personnes : « Une énorme manifestation anti-chasse réunie 15 personnes » titrait un blog de partisans de la chasse.  

Face à la désorganisation et la faible intensité de ses activistes, le lobby anti-chasse cherche à se structurer en créer des structures spécifiquement dédiées à la lutte anti-chasse ou du moins à la cause animale comme l’Observatoire Politique et Animaux ou la Fondation Brigitte Bardot.

La récente offensive du Référendum d’Initiative Partagée, appelé Référendum pour les Animaux témoigne de cette volonté de structuration. La campagne, lancée le 2 juillet 2020 a recueilli presque un million de signatures pour une pétition sur la cause animale, dans laquelle il est notamment demandé l’interdiction de plusieurs types de chasse. 

 

Maxime de Lataillade,
Etudiant de la 25ème promotion SIE