Le rôle de l’Australie dans la nouvelle guerre froide des Etats-Unis pour contrer Global China Tech

Quelle est la place de l'Australie dans le dispositif de guerre de l'information par le contenu dans le jeu que les Etats-Unis veulent lui voir jouer pour endiguer activement la progression de la deuxième puissance mondiale, la Chine, sur tous les fronts dont notamment la domination technologique avec l’intelligence artificielle et la 5G. L’analyse de l’activité du think tank « Australian Strategic Policy Institute [i]» (ASPI) est une excellente illustration des stratégies d’influence utilisé dans la guerre informationnelle entre deux grandes puissances par l’utilisation d’experts indépendants pour la création de contenu utile aux attaques informationnelles.

La guerre froide américaine contre la Big Tech China pour contenir la volonté de puissance de la Chine

Technologiquement, le paysage digital chinois n’a rien à envier au GAFAs américains (Google, Apple, Facebook, Amazon). La Chine (et dans une moindre mesure l’Asie) dispose des BATHX, référence aux grandes entreprises technologiques chinoise qui ont su prospérer dans une chine protectrice de ses marchés : Baidu (équivalent de Google), Alibaba (équivalent à Amazon), Tencent (équivalent à un Facebook avec son application WeChat), Huawei (smartphone et infrastructure télécom) et Xiaomi (équivalent à un Apple).

Au-delà du bras de fer commercial au sujet des droits de douanes initié par l’administration Trump, en 2018, on a assisté à des sanctions sans précédent sur l’équipementier ZTE mais aussi en 2019 à l’exclusion de Huawei des fournisseurs autorisés aux Etats-Unis.  Ensuite, ce fut le tour de Tik-Tok et de WeChat d’être visé, mais depuis lors, l’administration Biden a retiré ces sanctions.

En juin 2021, il y a près de 60 entreprises chinoises sur la liste noire des Etats-Unis qui empêche des investisseurs américains de détenir des capitaux dans ces sociétés ou des fournisseurs de leur vendre des produits ou services sans licence gouvernementale préalable. Cette liste vise les entreprises suspectées d’avoir des liens avec l’armée chinoise, d’être actives dans la surveillance hors de Chine ou encore d’être responsables de violations graves des droits humains (en référence au scandale des Ouïgours qui seraient victimes de travail forcé dans les champs de coton en Xinjiang).

Quelles sont les raisons évoqués pour bannir China Tech ?

Les analystes mettent en avant principalement trois arguments pour ostraciser la China Tech. Premièrement, les risques d’espionnages par la captation des données personnelles ; car la loi chinoise exige des opérateurs internet de répondre en secret à toute requête des services de renseignement. Deuxièmement, le parti communiste chinois ne cache pas sa doctrine de fusion de la technologie civile et militaire afin de moderniser son armée. Et ensuite, la nécessité, selon la loi cyber chinoise, pour une entité ou individu chinois d’être obligé, lorsque l’Etat le souhaite, de partager les données qu’ils peuvent détenir avec l’état chinois.

Selon un rapport « The New Big Brother – China and Digital Authoritarianism » du comité des affaires étrangères du Sénat américain publié le 21 juillet 2020, la Chine utilise son savoir-faire technologique pour développer un "autoritarisme numérique" destiné à mener des opérations de surveillance et de censure non seulement à l'intérieur de ses frontières, mais aussi dans le monde entier, estiment des sénateurs américains majoritairement démocrates. Ceci fait écho à d’autres rapports, comme celui de l’ONG américaine Freedom House qui avait dénoncé le 31 octobre 2018[ii], la monté de l’autoritarisme numérique et mis en lumière par l’influence active de la Chine dans des pays comme l’Ouganda ou la Tanzanie, où elle exporte ses technologies de surveillance. Alors que la Chine cherche à étendre son soft power, elle propose à ses partenaires un modèle alternatif d’Internet[iii].

Par ailleurs, notons que le sujet de l’autoritarisme numérique est devenu un sujet majeur pour les universités (Stanford, et certains think tanks (Hoover Institute, Center for Strategic & International Studies, New American Security…) axées sur les droits de l’homme et droits numériques et représente un axe intellectuel majeur pour ostraciser la China Tech dans le monde.

La montée en puissance de l'opposition à la Chine

L’Australie est une puissance moyenne libérale et s’est allié militairement en 1951 aux Etats-Unis et à la Nouvelle-Zélande par le traité Anzus qui prévoit une défense mutuelle et une collaboration pour garder la région du Pacifique en paix[iv]. En outre, l’Australie fait partie depuis 2007 d’une alliance stratégique, appelé le Dialogue de sécurité quadrilatéral (Quad) avec l’US, Japon et l’Inde. D’autre part, l’Australie fait partie de l’alliance en renseignement dite des « Five Eyes » qui réunit l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, le UK et les US.

Comme rappelé dans le livre blanc sur la politique étrangère australienne publié en 2017[v], l’alliance de l’Australie avec les Etats-Unis est au cœur de l’approche de sécurité nationale.  Dans le document « mise à jour stratégique de défense 2020 », sans ignorer l’importance de la relation avec les Etats-Unis, l’accent à été mis sur le développement de capacité de défense indépendante ainsi qu’à des partenariats avec des pays comme le Japon, l’Inde et l’Indonésie[vi].

Le premier ministre Barnaby Joyce a confirmé lors d’une interview à Sky News que le nouvel ordre mondial de la Chine est le plus grand problème de sécurité pour l’Australie[vii].  Selon le Brooking Institute, la Chine voit l'Australie comme un multiplicateur de force pour les États-Unis dans le Pacifique occidental mais nous verrons que ses actions peuvent irradier plus largement dans les pays anglo-saxons[viii], voir même aux Etats-Unis dans une action boomerang sur des contenus informationnelles critiques à la politique étrangère américaine.

En août 2018, l’Australie sera un des premiers pays à interdire Huawei et ZTE  de fournir des équipements 5G aux opérateurs téléphoniques australiens pour des raisons de sécurité nationale[ix].  L’Australie s’est également distinguée par la demande en mai 2020 de son premier ministre Scott Morrison de créer une enquête indépendante sur l’apparition du Covid-19 en Chine, demande qui sera réitéré à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies. En réaction, la Chine, l’un des premiers marchés à l’export de l’Australie (40% de ses exportations) a imposé des taxes douanières à répétition sur les exportations australiennes, visant l’orge, le vin, le bœuf ou encore les fruits de mer.

Le document qui résume l’état des relations diplomatiques avec la Chine est représenté par une liste de quatorze griefs publiés par l’ambassade de Chine en Australie dans différents journaux australiens qui soulignait la relation de plus en tendue entre les deux pays. Cette liste adresse les législations relatives aux contrôles des investissements ou à la transparence liée à l’influence étrangère, l’alignement sur des campagnes antichinoises avec les Etats-Unis ou encore le bannissement d’Huawei et de ZTE[x].  Plus particulièrement, cette liste comporte le fait que le gouvernement finance un think tank antichinois qui diffuse de faux rapports et mensonges à propos du Xinjiang et de la prétendue infiltration chinoise qui vise à manipuler l’opinion contre le Chine : l’ASPI.

Nous le verrons ce think tank sera l’objet d’une confrontation informationnelle et diplomatique importante. L’examen rapide de certaines attaques informationnelles nous offrira un aperçu sur certaines actions de contre-intelligence américaine pour mieux armer la communauté civile et les parlementaires de certains pays dans leur visée de contrer la progression du China Tech à l’international.

Initialement, l’ASPI visait une stimulation du débat australien sur les enjeux de la défense

L’ASPI a été fondé en 2001 pour créer un espace de discussion entre l’administration et des experts externes et est financé à hauteur de €4m par an par le département de la défense australien, actuellement jusqu’à juillet 2023. Le conseil d’administration est présidé par l’ancien chef de l’armée australienne, Kenneth Gillespie. Dès le départ, le think tank a eu la possibilité d’étendre ses sources de financement pour atteindre un budget total de près de €7m en 2019/2020[xi] (dont 31% provenant d’entreprises privés étrangères ou d’entité lié à des gouvernements étrangers).

Il  a été mis en place par le gouvernement australien pour apporter de nouvelles idées sur les questions de défense et de sécurité nationale de l'Australie.  Dans le classement Global Go to Think 2020, ASPI se classe 11ème sur 100 think tank spécialisés en défense et sécurité nationale (notons qu’en 2019, il était à la 13ème place)[xii].

Qui finance l’ASPI ? Est-ce que la transparence protège des conflits d’intérêt ?

Bien que ce think tank, à l’origine né d’une initiative publique, se défend d’être indépendant et non partisan, curieusement une partie de son financement provient d’entités liés aux Etats-Unis ou au secteur privé américain militaire et technologique[xiii].

Grâce à la nouvelle législation sur la transparence des intérêts étrangers en Australie, il est aisé d’identifier les contributeurs du think tank dans son rapport annuel. Ils sont classés en 3 catégories : les fournisseurs privés militaires, les entreprises en technologie américaine ou australienne (Microsoft, Oracle, Google…) et les gouvernements étrangers comme les Etats-Unis, le Japon ou Taiwan.

L’implication des sociétés privés se fait principalement sous forme de sponsoring (environ EUR 230.000 en 2019/2020 pour le secteur de la défense et près de EUR 750.000 pour le secteur privé principalement des acteurs en technologie) tandis que les acteurs étatiques financent des projets d’études décrites comme « indépendantes » (environ EUR 1.200.000 en 2019/2020). En fait, le rapport annuel 2019/2020 de l’ASPI indique que le financement attribué aux Etats-Unis a augmenté de 367% en 2019/2020 pour atteindre EUR 870.000.

Dans le passé, selon son fondateur Hugh White, l’ASPI était connu pour son travail d’évaluation du budget militaire australien, ce qui est certainement une position utile pour le secteur de la défense. Evidemment, certains pourraient soutenir aussi que ces firmes militaires pourraient avoir un intérêt direct à maintenir un narratif qui participe à un certain niveau d’insécurité, ce qui est à leur avantage bien entendu[xiv]. Etonnamment, le financement attribué au département d’Etat américain (environ EUR 470.000) est mentionné en référence au réseau de presse « Institute for War and Peace Reporting » (IWPR) qui est à l’examen, en effet, lui-même financé par le département d’Etat américain pour 10% de ses revenues, à hauteur d’EUR 840.000, en 2019, tel que le site Cause IQ nous le confirme. Bien que l’organisation se défend d’être un instrument aux mains de la politique étrangère américaine, il semblerait que le département d’Etat à travers l’ « Institute for War and Peace Reporting » s’assure de commander des contenus relevant à l’agenda du moment et d’assurer probablement une caisse de résonnance à ces contenus utiles.[xv]

Historiquement, l’augmentation de son financement a permis aussi de nouvelles initiatives comme le lancement du « International Cyber Policy » en 2013 qui est devenu leur équipe d’analystes orientée sur le marché chinois. Ce n’est pas surprenant qu’en 2020, plus de la moitié de son équipe de recherche est australo-chinois ou d’origine chinoise, l’une des plus grosses équipes de cette nature en Australie avec des spécialisations en technologie militaire chinoise, transfert de technologie, censure en ligne, cités intelligentes et espionnage industriel. Notons qu’il n’est pas anormal que les compétences pour un think tank disposant de ressources linguistique chinoise soit situé en Australie, étant donné qu’il existe plus d’un million deux cent mille australiens, revendiquent des origines chinoises, ce qui représente l’un des plus grands groupes de chinois hors chine[xvi].

Le think tank fait effet de levier avec son site internet et une newsletter mais également les réseaux sociaux : YouTube, Twitter, Facebook. On constate que le contenu des rapports du think tank sont régulièrement repris dans les grands journaux anglo-saxons comme le New York Times, le Washington Post, the Guardian ou des médias américains comme CNN, Fox News et Breitbart. Par ailleurs, leurs experts sont régulièrement invités par des commissions parlementaires en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis ou encore au Parlement européen.

Quelles ont été les contributions de l’ASPI à la stratégie de guerre économique américaine ?

A l’analyse de l’activité de l’ASPI, certains pourraient considérer qu’il y a de nombreux projets qui pourraient être considéré comme plus proches d’une équipe de contre-intelligence, ou d’un cabinet d’intelligence économique ou d’une équipe de journalistes d’investigations. Ou n’est-ce pas simplement l’exemple d’un think tank moderne en recherche de financement alternatif ?

Emanant de l’International Cyber Policy, le programme « Mapping China’s Tech Giants » a fait l’objet d’un financement de plus de EUR 470.000 par le département d’Etat américain (via le « Institute for War and Peace Reporting ») tel que rapporté dans leur rapport annuel[xvii].

Ces études analysent l’expansion globale d’un certain nombre d’entreprise digitales chinoises et produit de la connaissance sur leur structure de gouvernance et leurs relations avec le parti communiste chinois. Elles examinent la manière dont ces entreprises en technologie sont impliquées dans la surveillance et la censure menées par l’Etat chinois en utilisation de l’intelligence artificielle, notamment.

Le premier rapport publié le 18 avril 2019 a défendu le point de vue que les entreprises technologiques chinoises sont étroitement liées au Parti communiste chinois aux plus hauts niveaux. La plupart, sinon la totalité, des géants chinois de la technologie ont un comité du parti, des branches du parti et des secrétaires de parti. Le parti examine les décisions de l'entreprise, règle les problèmes de personnel et approuve l'orientation stratégique d'une entreprise et est en charge de la responsabilité sociale des entreprises, qui peuvent souvent être politiques. Certains PDG sont délégués à l'Assemblée populaire nationale ou à la Conférence consultative politique du peuple chinois, en les impliquant dans les efforts du parti pour gouverner la Chine et mobiliser les étrangers du parti afin qu'ils agissent de manière à promouvoir les intérêts du parti et ambitions. Il est utile de constater que l’exercice d’identification des actions de ces sociétés chinoises n’est pas uniquement axé sur l’Australie mais concerne bien le monde entier. Le second rapport a été publié le 28 novembre 2019. Le projet a été ensuite réactivé en juin 2021 avec deux rapports additionnels, mais surtout une mise à jour de la base de données en ligne. La base de données (disponible au lien https/chinatechmap.aspi.org.au) est très utile pour comprendre l’étendue des activités de 27 entreprises chinoises en technologie et comporte 3.900 fiches d’activité. Pour la France, il y a 111 activités répertoriées, allant de partenariats scientifiques par ces sociétés, des contrats avec des entités publiques, des bureaux ou centre de R&D ou encore des investissements réalisés.

Notons que le think tank a été très actif également dès le début sur le débat australien sur la 5G et Huawei  ainsi que sur le scandale des travailleurs Ouïgours dans la province du Xinjiang en identifiant les entreprises chinoises et internationales qui ont bénéficié du système de travaux forcés (Xinjiang Data)[xviii]. Autre exemple, le rapport “Picking flowers, Making Honey” publié le 30 octobre 2018, a mis en lumière la collaboration de l’armée chinoise avec des universités étrangères dont plusieurs en Australie. L’armée chinoise a financé des études à l’étranger pour plus de 2.500 cadres, scientifiques et ingénieurs de l’armée avec comme but ultime de favoriser le développement des technologies militaires en Chine. L’étude a démontré que près de 300 scientifiques militaires sont venu en Australie comme étudiants doctorants ou chercheurs invités. Notons que ce rapport a fait l’objet d’un financement spécifique de EUR 250.000 par l’ambassade américain à Canberra.

Les experts ASPI sont régulièrement invités par les parlements ou comme expert dans des débats scientifiques

Il est aussi intéressant de noter que les experts de ce think tank seront des experts utiles au débat en commission parlementaire en Angleterre ou aux Etats-Unis lorsqu’il s’agira de mettre en lumière le risque chinois et de faire progresser des législations qui participe à l’endiguement de l’influence chinoise.  A cet égard, il est intéressant d’analyser que le rapport « Mapping More of China’s Technology Giants » publié en novembre 2019, sera l’arme utilisée par un groupe de parlementaires britanniques pour accuser Huawei de participer à l’internement des Ouighours au Xinjiang[xix]. Une lettre ouverte, signée par des parlementaires issus des différents partis et des deux chambres, demandera au Secrétaire aux Affaires étrangères, Dominic Raab, de suspendre la participation de Huawei dans l’infrastructure 5G anglaise. L’ASPI avait déjà été contribué au débat public en Australie. Ses rapports et son expertise seront utiles pour aider les Etats-Unis à créer un effet domino à travers plusieurs pays pour contrer la croissance de Huawei.

Quelle furent les contre-attaques de l’Etat Parti chinois ?

Sous la pression des attaques des différents rapports publiés en 2019 et 2020, les autorités chinoises, via une campagne médiatique et diplomatique, vont attaquer la crédibilité du think tank et mettre en avant son instrumentalisation et sa production de contenu hostile à la Chine depuis plusieurs années sur des sujets très alignés avec la politique étrangère américaine. La stratégie sera d’exposer les conflits d’intérêt et de décrédibiliser le think tank tant à l’externe pour qui veut entendre qu’au niveau domestique pour contrer le discours des forces dites « antichinoises ».

Dès juin 2020, on dénombre plusieurs interventions de porte-paroles pour fustiger l’ASPI d’être le fer de lance des forces antichinoises et d’être à l’origine de différentes thèses sur l’influence prétendue de la Chine dans la communauté internationale. Le 23 juin, l’agence de presse officielle de la République populaire de Chine publie un communiqué intitulé « le think tank derrière la propagande antichinoise en Australie » qui expose son manque d’indépendance, ses sources de financement, sa contribution à la création d’un climat de peur destiné à faire vendre plus d’armes en Asie-Pacifique., journal proche du parti communiste chinois, indiquent que la Chine envisage de lancer un procès en diffamation notamment contre l’ASPI qui a depuis longtemps publié et disséminé de la désinformation au sujet de la Chine[xx]. En septembre 2020, la Chine bannira l’un des analystes de l’ASPI, Alexander Joske, auteur de l’étude accusant les universités chinoises d’engager des coopérations scientifiques avec des visées militaires.

L’apparition de messages vidéo publiés sur YouTube viennent soutenir la compagne média

Le 9 octobre 2020, un documentaire de 14 minutes, intitulé « Média de l’Ouest décrypté : démasquer l’hypocrisie et la propagande » sera transmis sur le portail d’information China Daily, contrôlé par le département de la publicité du parti communiste chinois, mettant en exergue le rôle de l’ASPI et son orientation biaisée[xxi]. Il sera également mis en ligne sur YouTube. En octobre 2020, le Global Times, journal sous l’égide du parti communiste, fustigera régulièrement le manque d’impartialité, les conflits d’intérêts lié à ses financeurs américains et son parti pris antichinois avec des articles intitulés : « Think Tank Australien lié au travail pénitencier et à du trafic d’êtres humains » et « Think Le think tank australien ASPI n’est pas indépendant ou scientifique », publiés respectivement les 16 et 24 octobre 2020. On notera également d’autres clips YouTube (14 octobre 2020) sur le même sujet publié par des organismes de presse proche du gouvernement chinois comme CGTN (2,5 millions abonnés) et China Daily (46.000 abonnées) et sur d’autres comptes mineurs. Notons que notre revue est partielle et ne couvre que les médias en ligne de langue anglaise.

Une recherche « indépendante » expose les sponsors privés du think tank et leur lien avec le travail pénitencier et forcé

Dans certains articles, il sera mis en évidence une enquête qui accuse les sponsors privés militaires du think tank et leurs prétendus liens avec du travail forcé ou du travail pénitencier pour la construction de leurs équipements militaires[xxii]. Cette enquête a été publiée par l’APAC News, un petit site de niche australien, uniquement axé sur la Chine ; qui régulièrement dénonce les actions de l’ASPI.  L’éditeur d’APAC News est un ancien journaliste de SBS World News Australia, dont l’éditeur est un ancien journaliste de SBS World News Australia qui affiche clairement sur son site LinkedIn ses centres d’intérêts : la politique australienne (« #auspol ») et australo-chinoise (« #auschina »), le mouvement raciste asiatique (« #stopasianhate ») et les relations US-Chine (« #uschinarelations »).

Cette enquête, qui vise les soutiens de l’ASPI, est réalisée en collaboration avec deux autres petit blogs, Michael West Media et Pearls & Irritations. Les trois entités se connaissent bien et collaborent régulièrement avec des thématiques relativement communes dont des positions anti-US régulièrement affichées[xxiii]. Michael West Media est un petit média indépendant (équipe de 8 personnes) qui, selon son site internet, couvre l’influence des grands groupes sur la démocratie[xxiv].  Il est lié par un contrat de production web à Pearls & Irritations et Marcus Reubenstein est un contributeur régulier avec des articles contre l’ASPI ou d’une manière plus générale anti-US. Pearls & Irritations est un journal de politique publique créé par John Menadue, ancien cadre dirigeant de News Corporation à Sidney et ancien diplomate australien. Il est intéressant de noter que son éditeur, Marcus Reubenstein, intente un procès contre un employé du parlement fédéral australien pour diffamation et violation de copyright (utilisation d’images du site) à la suite d’une série de tweets qui suggérait que le site internet était dirigé par le parti communiste chinois, hypothèse fondée sur une ressemblance graphique du  site d’APAC News avec d’autres sites précédemment accusés d’être une façade de l’appareil du parti[xxv]. La réponse de Marcus Reubenstein est d’affirmer que le modèle est disponible dans WordPress, éditeur de site internet.  Pour l’anecdote, il attaque devant les tribunaux l’employé concerné, notamment, pour diffamation, avec un financement espéré d’environ EUR 95.000 (avec déjà EUR 50.000 collecté au 2 septembre 2021) par campagne de crowdfunding sur Go Fund Me, qui attire des donateurs anonymes pour des montants réguliers de €100 ou €1500!

Durant les mois d’octobre et novembre 2020, en réaction au rapport sur le Xinjiang, une campagne médiatique sur différents sites internet chinois en langue anglaise, Huaxia, le consulat de Chine à Brisbane, verra la publication d’articles non signés reprenant la thèse de l’ASPI,  think tank anti-Chine[xxvi].

Par exemple, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Wang Wenbin reliera le discours de discrédit sur l’ASPI à la suite d’une question de la Presse le 23 octobre. En outre, le 17 Décembre 2020, il enjoindra la communauté internationale à dénoncer conjointement les rumeurs antichinoises de l'Institut australien de stratégie politique (ASPI) et à s'y opposer. Il fera démonstration que le think tank n’est pas indépendant et prône une idéologie antichinoise. Il dénonce l’ASPI, considérant qu’il « sert les intérêts de ses patrons comme outil pour endiguer et réprimer la Chine » et qualifiant en substance « l'ASPI de machine à inventer des rumeurs ».

D’une manière générale, la contre-attaque ne semble pas avoir modifié le rapport de force entre le parti communiste chinois, l’ASPI et les autorités australiennes. La campagne d’influence médiatique et la compagne diplomatique ne semblent pas avoir porté leurs fruits. Les financements de l’ASPI sont transparents et ont déjà fait l’objet d’une interpellation au Parlement de la part de l’opposition. Dès lors, tant que la politique australienne sera alignée sur celle des Etats-Unis, il y a peu de risque que l’ASPI ne change de positionnement. Cependant, il se pourrait que la bataille se prolonge au sein du Parlement australien sur le rôle et le financement de l’ASPI, si le bras de fer politique et économique entre l’Australie et la China tournerait au désavantage de la coalition au pouvoir. Cette séquence n’est certainement pas terminée.  

A travers l’exemple de l’ASPI, on constate la puissance d’un think tank moderne qui monnaye sa capacité d’analyse et son réseau médiatique à des donateurs sur des sujets précis, devenant un vecteur d’influence dans la guerre informationnelle. Un état comme les Etats-Unis peut difficilement dicter ce que ses alliés ou des pays doivent faire avec la technologie chinoise, susceptible de faire basculer une société ouverte vers une dictature avec des intérêts (économiques ?) contraire à ceux des Etats-Unis.

Le 16 mai 2019, dans le cadre de l’audition publique d’experts par le comité du renseignement de l’assemblé parlementaire sur l’autoritarisme digital de la Chine, Christopher Walker, Vice-président du think tank National Endowment for Democracy, indique que la compréhension des enjeux de l’acquisition de technologie est manquante auprès de nombres pays; avec parfois une vision principalement axé sur l’acquisition d’un outil utilisé pour la sécurité publique (référant probablement à un système de vidéo surveillance dans une ville, par exemple)[xxvii]. Mais, il considère qu’une partie de la responsabilité des Etats-Unis est d’aider leurs partenaires démocratiques, qui ont des relations multi-facettes et profondes avec la Chine, à comprendre les enjeux. Avec le financement indirect d’un think tank disposant d’une large expertise sur la Chine et le digital, il semble que les Etats-Unis soutiennent la production d’un contenu qui bénéficie à leur politique étrangère de domination économique. Ce contenu pourra être utilisé par les alliés mais également dans leur propre débat démocratique et médiatique pour faire avancer l’agenda de l’administration américaine. Ce cas nous rappelle que si le think tank à des partis pris ou des biais, et développent certains agendas, on pourrait penser qu’il n’est plus tout à fait un think tank mais une organisation de lobby. Il semble certain que cette bataille illustrée dans cet article ne représente qu’une partie infime d’un plan beaucoup plus large, qui a vocation à défendre un agenda global de guerre économique.

Jean-Michel Noe
Auditeur de la 37ème promotion MSIE

 

Notes

[iv] https://theconversation.com/anzus-at-70-together-for-decades-us-australia-new-zealand-now-face-different-challenges-from-china-163546

[v] https://www.dfat.gov.au/publications/minisite/2017-foreign-policy-white-paper/fpwhitepaper/foreign-policy-white-paper/chapter-three-stable-and-prosperous-indo-pacific/united-states-and-china.html

[viii] https://www.brookings.edu/articles/great-expectations-the-unraveling-of-the-australia-china-relationship/

[xi] https://www.aspi.org.au/about-aspi/funding

[xiii] https://www.aspi.org.au/report/informed-and-independent-voice-aspi-2001-2021

[xiv] https://www.afr.com/policy/foreign-affairs/the-think-tank-behind-australia-s-changing-view-of-china-20200131-p53wgp

[xv] https://www.causeiq.com/organizations/institute-for-war-and-peace-reporting-us,431962561/

[xvi] https://en.wikipedia.org/wiki/Chinese_Australians

[xvii] https://chinatechmap.aspi.org.au/

[xviii] https://www.aspi.org.au/report/huawei-and-australias-5g-network

[xix] https://www.aspi.org.au/report/mapping-more-chinas-tech-giants

[xxi] https://www.youtube.com/watch?v=spDoqiHQG_M

[xxii] https://www.globaltimes.cn/content/1210306.shtml

[xxiii] https://johnmenadue.com/aspi-the-tabloid-think-tank/

[xxiv] michaelwest.com.au