Leçons à tirer de la guerre informationnelle autour de l'association anti-corruption Anticor

Le monde de la lutte anti-corruption a connu un début d’année mouvementé sur fond de renouvellement de l’agrément de justice de l’association Anticor. Ce précieux sésame est indispensable pour l’association, puisqu’il lui permet de se constituer partie civile en justice.

Le fondement de la remise en cause de l’agrément ministériel d’Anticor

Le 2 février 2021, l’association apprend que le renouvellement de son agrément (qui survient tous les 3 ans), est reporté et que l’association est mise en cause dans une démarche particulière. Le ministère de la justice reproche en effet à l’association un « manque de transparence » sur l’origine de certains des dons dont l’association aurait profité depuis 2017. Le ministère exige donc que l’association dévoile le nom de son plus gros donateur, ce que l’association refuse au titre du règlement général sur la protection des données (RGPD). S’engage alors un bras de fer entre l’association et le gouvernement, chacun campant sur ses positions. Mais le 8 mars, le Journal du Dimanche (JDD – possédé par Arnaud Lagardère) dévoile enfin le nom du donateur mystère : Hervé Vinciguerra, un riche homme d’affaires français. Suite à cette révélation, tous les médias s’empressent d’essayer d’identifier ce mystérieux personnage, habituellement absent des radars médiatiques. Il faut dire que la tentation est grande pour le monde journalistique, il n’est pas tous les jours possible d’acculer au mur une des associations les plus actives en matière de lutte anticorruption et réputée irréprochable. 

De plus, Hervé Vinciguerra dispose d’une fortune estimée à plusieurs centaines de millions d’euros, des investissements divers (cyber technologies israéliennes, œuvres d’arts, yachts, etc.) et est un adepte de l’optimisation fiscale, la majorité de ses comptes étant localisés à Singapour et au Luxembourg. Il est aussi un soutien convaincu d’Arnaud Montebourg, qu’il souhaite soutenir à la présidentielle de 2022. A partir de là, médias et politiques s’emballent et s’engouffrent dans la brèche (comme le Monde, possédé par Xavier Niel, qui va publier six articles sur le sujet entre 14 février et le 19 avril 2021).

Une association populaire, mais pas auprès de tous les publics

L’association anti-corruption n’est pas appréciée des politiques français, si ce n’est des plus vertueux et transparents (notamment les quelques 500 signataires de leur charte anti-corruption). Anticor dispose d’un conséquent tableau de chasse (les actions en cours sont disponibles sur leur site web) et est à l’origine de certains des procès d’hommes politiques les plus médiatisés (volet financier de l’affaire Karachi, Kazakhgate, Sondages de l’Elysée, etc.). Depuis le début du mandat du Président Macron, Anticor s’est également constitué partie civile dans des actions en justice contre des membres de la majorité en place (voir ci-dessous nom / poste ou responsabilité / fondement juridique), quelques exemples :

  • Alexis Kohler – secrétaire général de l’Elysée – prise illégale d’intérêts & trafic d’influence
  • Richard Ferrand – Président de l’Assemblée nationale – prise illégale d’intérêts (avec recel & complicité) et obstacle à la mission de contrôle du commissaire au compte
  • Alexandre Benalla – ex-conseiller sécurité du Président Macron – corruption, corruption passive, blanchiment, entrave à la justice
  • Jean-Marie Girier – directeur de cabinet du président de l’Assemblée nationale – détournement de fonds publics
  • Eric Dupont-Moretti – ministre de la Justice – prise illégale d’intérêts

A première vue, l’association ne semble pas pouvoir être accusée d’être partiale puisque ses actions visent l’ensemble du spectre politique français et de ses colorations (de la France Insoumise au Rassemblement National). Elle semble également peu appréciée des hauts fonctionnaires (comme Matthieu Gallet de l’INA contre qui elle s’est constituée partie civile) et dirigeants de grands groupes français, qui sont régulièrement visés par des plaintes les concernant (affaire Dassault à Corbeilles Essonne, affaire Véolia, etc.). L’ensemble de ces éléments pourrait constituer un motif suffisant pour initier une offensive de guerre de l’information par le contenu, mais ne constitue en aucun cas un élément de preuve irréfutable.

L’affaire Blast – Renahy en trame de fond de l’affaire Anticor

Néanmoins, une deuxième grille de lecture apparait dans cette affaire : l’action de Maxime Renahy autour du projet Blast et de son fondateur, le journaliste Denis Robert. Cette autre grille de lecture s’axe autour du lien entre Elise Van Beneden, président d’Anticor et Blast dont elle est également co-fondatrice.

C’est à travers cette autre « affaire » qu’apparait l’aspect le plus agressif de l’offensive médiatique contre Anticor, paradoxalement, car l’association n’est pas à proprement parler liée au média Blast si ce n’est à travers sa présidente et ce riche donateur qu’elle a présenté à Denis Robert.

Dans un post LinkedIn du 22 mars, le journaliste d’investigation et ex-contributeur de la DGSE Maxime Renahy répond à un précédent communiqué de Blast à la suite de son départ, tout en appuyant ses accusations à l’égard de Blast (c’est-à-dire de vouloir accepter l’argent « sale » d’Hervé Vinciguerra) par plusieurs enregistrements audio clandestin (et donc réalisé à l’insu des personnes enregistrées). On l’entend dans cet enregistrement de neuf minutes porter haut et fort ses principes refusant une « aliénation de principes » pour quelques centaines de milliers d’euros, expliquant que « la fin ne justifie pas toujours les moyens » et qu’en acceptant un tel donateur, le média se compromettrait durablement. Renahy souligne en effet par son montage vidéo que le donateur aurait exigé que la ligne éditoriale du média Blast cible certaines figures politiques (Hidalgo), du monde des affaires (Drahi, Niel, Arnault, Benalla) et des sujets de société (PMA). Néanmoins, ce montage peut être considéré comme partial puisqu’il ne souligne pas que :

  • La contribution financière initiale proposée par l’homme d’affaires a été refusée par les administrateurs de Blast ;
  • La contribution financière « mensualisée » proposée par l’homme d’affaires a été refusée par les administrateurs de Blast ;
  • Maxime Renahy a signé son contrat avec Blast le 23 février, donc 2 mois après avoir réalisé les enregistrements clandestins et manifesté son désaccord ;
  • L’homme d’affaires a finalement contribué au lancement du média Blast via la campagne de financement par crowdfunding, à hauteur de 20 000 € (sur les 923 311 € collectés), mais en dévoilant son nom sur le site (et non pas en utilisant un pseudonyme comme le site le propose) – justement car les administrateurs avaient refusé qu’il réalise un don en propre (c’est-à-dire directement au média), au titre de leur indépendance éditoriale, ce que rappelle notamment un des collaborateurs de Blast, Olivier Kautz

L’agrément d’Anticor renouvelé, mais avec pertes et fracas

Le renouvellement de l’agrément d’Anticor le 2 avril pourrait pousser les observateurs peu au fait des méthodes de la guerre de l’information par le contenu à considérer que l’absence de renouvellement de l’agrément n’était donc qu’une formalité juridique et administrative dénuée de toute autre volonté. Cela serait mal comprendre les objectifs qu’une telle action peut viser. En effet, les financements par dons, l’adhésion de bénévoles (qui constituent le socle de la force de frappe de l’association) et sa portée en tant que promoteur et acteur de la lutte anticorruption sont entièrement liés à l’image de probité, d’intégrité et d’acteur apolitique que l’association entretient depuis sa création en 2002. Hors le bilan de cette offensive informationnelle, survenue au même moment qu’une crise de gouvernance interne et peu après une candidature surprise de l’ancien président (alors en fonction) Christophe Picard aux élections municipales de Nice sur une liste écologique est sans appel:

  • L’image « apolitique » de l’association est fortement écornée (désormais affiliée à une sympathie prononcée pour la gauche française) ;
  • L’image de gouvernance irréprochable de bénévoles élus par d’autres bénévoles est mise à mal (considérant que l’association serait politisée et donc « mandatée », tout en mettant à l’écart les bénévoles dissidents) ;
  • L’image de « probité » de l’association est durablement impactée (l’association acceptant des donations d’hommes d’affaires politisés opérant dans des paradis fiscaux).
  • Enfin, refuser de renouveler l’agrément à l’association Anticor n’était simplement pas une option envisageable pour le gouvernement. Le dossier, beaucoup trop mince, n’aurait pu suffire et la décision aurait donc provoqué un tollé politique ainsi qu’une potentielle « radicalisation » des acteurs de la lutte anticorruption contre la majorité en place.

 

Stefan Marrec
Auditeur de la 36ème promotion MSIE