Les affrontements « informationnels » autour du tour de France révèlent certaines contradictions

Le sport est très sensible à certaines formes de guerre de l’information à cause des enjeux économiques et sociétaux qu’il véhicule ; Le tour de France cycliste n’échappe pas à la règle.

Le Tour de France 2022 était la 109e édition du Tour de France Cycliste, organisée par l’ASO (Amaury Sport Organisation) qui fait partie du Groupe Amaury. Ce groupe se concentre principalement sur deux pôles, l’un dédié à l’organisation d’évènements sportifs (Tour de France, Paris-Dakar, Tour de France à la voile, etc.), et l’autre spécialisé dans la presse grand public, comme L’Equipe, Le Parisien, ou encore Aujourd’hui en France. Dès lors, les polémiques qui affectent le Tour de France ne sont relayées que très discrètement dans ces titres.

L’entreprise ASO fait en sorte que le Tour de France conserve son attrait. Le Tour de France 2022 c’est 3349.8 km parcourus à vélo par les coureurs au travers de 21 étapes, et presque autant de kilomètres en déplacement, et 29 départements traversés. Diffusé dans 190 pays et regardé par plus de 2 milliards de téléspectateurs, le tour de France est le troisième événement le plus suivi au monde. Le grand départ s’est déroulé le 1er juillet 2022 à Copenhague et l'arrivée le 24 juillet sur l'avenue des Champs-Élysées, à Paris.

La bataille des communes

De la grande métropole à la petite commune rurale, c’est une réelle bataille que se livrent les villes pour accueillir le Tour de France non seulement pour le prestige de la plus emblématique des courses cyclistes, mais aussi pour bénéficier des retombées économiques et médiatiques. En plus des coureurs et de leurs équipes, il faut loger et nourrir les journalistes, les organisateurs et les spectateurs de plus en en plus nombreux sur le bord des routes. Alors malgré un montant de 65 000 € pour un départ, 110 000 € pour une arrivée et 160 000 € pour un départ et une arrivée, les retombées économiques sont telles, que même les petites villes candidatent. Un euro investi par la ville pour accueillir une étape revenant à plus de 3 euros de retombées économiques. De même, les étapes étant largement diffusées, cela offre un sérieux coup de projecteur aux villes étapes. Les sites touristiques et les produits locaux se voient offrir une communication à grande échelle à moindre coût, leur permettant ainsi d’avoir des retombées économiques lors des années suivantes.

Quatre ans plus tôt, la Vendée accueillait le grand départ. Bilan pour les deux étapes du 7 et 8 juillet 2018 : 38 millions d'euros de retombées économiques immédiates pour le territoire et 1,5 million de spectateurs sur les routes, selon une étude du cabinet Protourisme réalisée à la demande du département. Environ 900 000 journées touristiques et 562 000 nuitées ont été comptabilisées. Une manne loin d'être négligeable.

Même son de cloche dans la Loire où passera à nouveau le Tour de France, selon les études réalisées lors des précédents passages du Tour à Saint Etienne, chaque spectateur extérieur à l'agglomération rapporte 78 euros en moyenne.

Mais si le Tour de France est un événement populaire par excellence et une épreuve mythique du sport français et mondial, il est cependant au cœur de vives polémiques. Ces deux dernières années, plusieurs villes françaises ont refusé de l’accueillir en raison de son impact écologique. En 2020, le maire écologiste de Lyon, reprochait au Tour de ne pas agir pour la planète. Tandis qu’en 2021, Rennes refusait d’accueillir le grand départ du Tour de France au dernier moment, du fait de l’importance de son empreinte carbone.

Mais curieusement, ces deux refus n’ont pas été relayés par les titres du Groupe Amaury. Concernant la ville de Rennes, par exemple, tous les quotidiens régionaux, le Télégramme et Ouest France ont interrogé les élus locaux pour connaître les motivations de cette décision. De même pour Eurosport et France-TV-Info. Ni aujourd’hui en France, ni Le Parisien, ni l’Equipe en ont parlé. Les raisons avancées par la ville de Rennes s’appuyaient sur la volonté de tenir son budget et, bien sûr, sur la nécessité d’agir dans un sens éco-responsable.

L'écologie responsable au cœur de certaines polémiques

Prenant en compte, malgré tout, ces critiques émergentes, la société ASO, en décembre 2021, soutenue par le Ministère en charge des sports, a fait partie des signataires de la charte des 15 engagements éco-responsables auxquels ont souscrit les organisateurs d’événements à l’horizon 2024-2025.

Le Tour de France a donc accepté de révolutionner sa manière de procéder sur plusieurs plans : les questions alimentaires, la problématique des transports, le traitement des déchets sur la Grande Boucle, la préservation des sites, la place du vélo dans la société française au quotidien.

L’organisation du Tour de France, se targue ainsi d’interdire le rejet de bidons, n’importe où, par les coureurs. Un premier jet de bidon ou déchet en dehors des zones autorisées expose le coureur à une amende de 90 à 450 euros et un retrait de points UCI (Union Cycliste Internationale). Dès la deuxième infraction, un coureur écopera de 30 secondes de pénalité puis risque même l’exclusion de la course en cas de nouvelle récidive et donc de troisième incident lié à un jet de déchets. Faisant fi des engagements éco-responsables, la direction de la course, en accord avec l’UCI, a entre autres, levé les sanctions en cas de jet de bidons vers les spectateurs et organisé la mise en place de points d’arrosage pour les coureurs.

On cherche toujours la mention de cette contradiction dans le Parisien, Aujourd’hui en France ou L’Equipe. Dans un entretien à l’AFP, sous couvert du bien être des coureurs, André Bancala établit un parallèle entre environnement et audience : « ce sont quelques litres d’eau, c’est très décevant qu’on prête si peu d’intérêt au bien-être des coureurs, alors qu’il y a 8 ou 9 millions de téléspectateurs en France chaque jour ».

La place accordée au spectateur aboutit à des mesures contestables

Alors que dans son dernier rapport (28 février 2022), le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a dédié un chapitre entier à la promotion d’une meilleure gestion de l’eau, les organisateurs du Tour de France 2022 décident d’arroser les routes en pleine période de canicule.

Alors que la plupart des départements traversés par le Tour de France sont sous le coup des restrictions de l'usage de l'eau en raison de la sécheresse, les organisateurs de la grande boucle, stockent quelques 10 000 litres dans le but d’arroser le goudron avant le passage des coureurs afin de faire redescendre d'une dizaine de degrés la température. Ce qui reste conséquent, mais rapporté au nombre de kilomètres parcourus, représente finalement peu se dédouane André Bancala, le Monsieur route du Tour de France.

De même, alors qu’une partie des pompiers sont occupés à éteindre les incendies des forêts, le Tour de France pourrait également obtenir le renfort de pompiers de la région afin qu’ils envoient de l’eau brumisée pour rafraîchir le peloton.

Toutes ces entorses à une écologie responsable sont parfaitement assumées par la présidente du Conseil Régional d’Occitanie, Carole Delga. Au regard des efforts entrepris par l’organisation du Tour en matière environnementale : le recyclage des déchets, la limitation des objets publicitaires et au vu des circonstances exceptionnelles liées à la canicule, cette dernière déclare que« il faut arrêter d’être toujours dans le côté négatif et plutôt rappeler que le Tour de France est un événement majeur pour le plaisir des Français, pour l’économie et pour la cohésion républicaine».

Des idées ont été proposées pour remplacer l’arrosage de l’asphalte, notamment faire partir les coureurs dans la matinée, mais le public étant devant sa télé l’après-midi plutôt que le matin, il n’en n’a pas été question. De même, déplacer le Tour de France en avril ou en octobre est impensable : « Le Tour, c’est le mois de juillet, le rendez-vous annuel des vacanciers qui viennent voir passer la caravane, le peloton. Imaginer ça en période de travail, c’est se poser la question de son intérêt ».

La recherche de résonance de certains activistes

Cette année, en 2022, le Tour a été interrompu trois fois. La première action était à l’initiative des coureurs qui protestaient contre les conditions de leur sécurité, ce qui a contribué à de nombreuses chutes. Mais les deux autres interruptions étaient à l’initiative d’un mouvement écologiste « Dernière Rénovation ». Le Parisien relate cet incident de la manière suivante :

« Ecologie, exilés de Calais, CGT… Quand la route du Tour de France se transforme en tribune politique ». Et de continuer ainsi :

 « La Grande boucle dispose d’une audience inouïe, ce qu’ont encore bien compris certains militants cet été. »

L’article insiste alors sur la colère de Monsieur Christian Prud’homme, garant du « plus grand spectacle du monde ». Celui-ci, insiste le journal a dû rassurer les téléspectateurs sur l’antenne de Vélo-Club. En résumé, pour le Groupe Amaury, l’irruption de la politique et les combats pour l’écologie ne sont pas les bienvenus au Tour France.

La prédominance du rapport de force économique

Le tour de France est une vitrine ayant un impact marketing considérable pour la visibilité de la marque et ce malgré un coût d’entrée élevé, allant de 50 000 euros jusqu’à plusieurs millions d’euros. Cette manifestation donne aux marques la possibilité d’être présentes pendant trois semaines sur l’un des événements planétaires du mois de juillet. De plus, leur capital sympathie et leur notoriété progressent auprès des consommateurs lorsque la marque a été vue sur les routes. Pour protéger ces acquis, elles distribuent de moins en moins d’objets publicitaires sur les routes, presque plus de sacs en plastique et font tout paraître « propres ».

Evènement majeur à bien des égards, sportif, le Tour de France reste populaire et essentiellement économique. Les organisateurs du Tour de France, les sponsors, les villes, ont tous intérêt à la tenue de la grande boucle durant l’été, les exigences commerciales restant la priorité au détriment de l’environnement.

Mais aujourd’hui, les prises de conscience aidant, les médias ont le devoir d’interroger leurs lecteurs quant à l’intérêt de telles manifestations, surtout lorsqu’elles dérogent aux principes de ce que l’on appelle une écologie responsable. Mission difficile lorsque l’on a un pied dans la presse et un pied dans l’organisation d’évènements sportifs.

Lina Guérin