Les causes de la faillite de la politique énergétique allemande

Les contrecoups de la guerre en Ukraine ont révélé les failles de la politique énergétique de la première puissance économique d’Europe. Contrairement aux apparences, l’Allemagne est aujourd’hui un pays fragilisé par ses choix stratégiques antérieurs, en particulier dans le domaine de l’énergie.

Les choix stratégiques de Mme Merkel

Une nouvelle chancelière arrive au pouvoir en Allemagne en 2005.  Elle prête serment par « Je jure que je consacrerai mon énergie au bien-être du peuple allemand. Que dieu me vienne en aide ». Elle va y rester 16 ans.16 années au cours desquelles elle alerte l’Allemagne et le monde. En 2017, Elle déclare à l’ONU « le changement climatique va déterminer le destin du monde » ainsi que dans plusieurs autres assemblées de chefs d’états. Angela Merkel acquiert même un surnom, Klima-Kanzlerin : la chancelière du climat.

Durant son passage au pouvoir, les émissions de gaz à effet de serre du pays ont baissé de 19 %. Ça peut paraître important, mais en fait, sur la même période, c’est moins que la France, l’Italie, l’Espagne ou le Royaume-Uni. (Source UNF CCC BANQUE MONDIALE) L’Allemagne reste le principal émetteur de gaz à effet de serre en Europe et au rythme où vont les choses, elle pourrait rater l’objectif qu’elle s’est fixé : atteindre la neutralité carbone en 2045 (Source UNFCCC/ Banque mondiale).

Alors, comment expliquer ce retard malgré les promesses d'Angela Merkel ?

Angela Merkel affirmait : nous travaillons d’arrache-pied, par exemple avec l’élimination du charbon et le développement des énergies renouvelables ». Pour préserver le climat, le premier grand projet de l’Allemagne, c’était de changer son mix électrique, sa façon de produire son électricité.

En 2005, quand Merkel devient chancelière, le mix électrique, est composé ainsi : Il est composé de près de 60 % d’énergies fossiles, du pétrole, du gaz naturel, mais surtout du charbon. Ils émettent, tous les trois, beaucoup de gaz à effet de serre. Le reste, c’est du nucléaire qui pose d’autres questions, mais émet peu de CO2 et un peu d’énergie renouvelable. En l’espace de 15 ans, la part du renouvelable est passée de 11 % à 50 %, notamment grâce à la construction de plus de 13 000 éoliennes qui ont remplacé, peu à peu, les autres énergies dans la production d’électricité.

Mais cette transition devient de plus en plus compliquée : Pourquoi ?

Parce que les énergies solaires et éoliennes posent deux défis :

. Premièrement, ce sont des énergies variables. Elles ne fonctionnent pas tout le temps. Certains jours, certaines saisons, il y a moins de vent, moins de soleil.

. Il est donc nécessaire de prévoir du renfort, d’autres sources d’énergie que l’on peut mettre en route à ce moment-là, ce qu’on appelle les énergies pilotables.

Mais des sources d’énergie pilotables peu émettrices de CO2, en Allemagne, il en existe assez peu : le nucléaire, la biomasse, l’hydraulique. Cependant, en Allemagne, l’énergie hydraulique est assez limitée. Il n’y a pas tant de rivières et de montagnes pour accueillir des barrages. La biomasse n’est pas nécessairement vertueuse. Elle peut nécessiter la plantation de végétaux à la place de cultures agricoles, juste pour les brûler.

Concernant le nucléaire ?

En 2011, au japon, un tsunami a percuté de plein fouet la centrale nucléaire de Fukushima. On compare désormais Fukushima à Tchernobyl. À la suite de quoi, l’Allemagne a pris une décision majeure.  Angela Merkel déclarait juste après : d’ici 2022, nous allons progressivement renoncer à l’énergie nucléaire… sous la pression des écologistes allemands, alors, qu’elle voulait avant cet évènement rénover une partie du parc nucléaire.

Les trois réacteurs que le pays prévoit de fermer d'ici fin 2022 étaient construits dans les années 1980. Ensemble, ils sont capables de produire suffisamment d'énergie pour alimenter des millions de logements. En termes de rendement, leur production par heure serait comparable à celle d'un millier d'éoliennes en marche continue. Une quantité d'énergie que le pays va tout simplement rejeter en abandonnant ces centrales électriques. Mais là n'est pas la question, en fermant les centrales nucléaires, les Allemands pensaient compter sur leur source d'énergie renouvelables combinées à leur centrale à charbon. Cependant, comme nous le savons, toutes les éoliennes et les panneaux photovoltaïques ne produisent que très peu d'énergie pour compenser sa demande énergétique. L’Allemagne aurait eu grandement recours au charbon ce qui justifie l'augmentation de ses émissions en CO2 depuis déjà plusieurs années mais le pays prévoit également d’éliminer le charbon de sa source d'énergie. Les analystes pensent toutefois que cela n'arrivera pas de sitôt étant donné sa situation énergétique actuelle dépendante. Sa stratégie qui consiste à exploiter l'hydrogène à la place des énergies fossiles n'est pas mauvaise, au contraire, cela pourrait être une action révolutionnaire pour une transition énergétique rentable. Pour autant, cette approche est utopiste vu son coup et sa difficulté de réalisation. L’Allemagne doit encore recourir au charbon et au gaz, pilotables eux aussi, pour compenser la variabilité du renouvelable, ce qui émet encore beaucoup de CO2.

Et puis, il y a un second défi avec les éoliennes : leur répartition sur le territoire.

Les éoliennes sont surtout installées au nord, parfois même en pleine mer. Logique, cette partie du pays est venteuse, donc plus productive, mais les industries, elles, se trouvent surtout au sud. Aujourd’hui, il faut donc acheminer de l’électricité du nord vers le sud. Pour ça, l’Allemagne a prévu de largement renforcer son réseau de lignes électriques. Cependant, la population allemande ne veut pas de de pylônes et d’énormes tranchées électriques chez eux et la construction du réseau est un casse-tête qui prend beaucoup plus de temps et d’argent que prévu. En 10 ans, seuls 20 % des travaux ont été achevés.

En attendant, les énergies pilotables assurent l’intérim dans le sud du pays. Mais cette situation risque de devenir problématique, car l’Allemagne souhaite se débarrasser de toutes ses centrales à charbon d’ici à 2038.

Pour maintenir son approvisionnement en électricité, L'Allemagne envisage plusieurs solutions :

- Construire encore plus de renouvelables,

- Réussir à mieux stocker l’énergie issue des périodes de surplus, ce qui est encore compliqué techniquement,

- Acheter de l’électricité aux voisins et continuer de compter sur le gaz, si tout le reste ne suffit pas, ce qui continuera d’émettre du CO2.

Voilà donc les principaux freins à cette transition électrique, mais l’électricité n’est qu’une partie du problème. En fait, si on prend l’ensemble de l’énergie consommée en Allemagne, l’électricité n’en représente que 21 %. Une bonne partie du reste, c’est du pétrole, du gaz ou du charbon qu’on brûle directement pour d’autres usages, sans passer par l’électricité, comme le gaz des chaudières, le pétrole des voitures ou le charbon des hauts fourneaux de l’industrie.

Malheureusement, dans ces secteurs, la situation progresse peu. Le chauffage, par exemple, est en partie gaspillé par des chaudières vieillissantes dans des bâtiments mal isolés et les rénovations se font très lentement. Seule la moitié du parc résidentiel aura été modernisée d’ici 2050.

Le piège de l'industrie automobile allemande

Dans les transports, ça empire. La hausse du trafic routier provoque une augmentation des émissions de CO2,  Angela Merkel est d’ailleurs accusée de s’être même opposée à la mise en place de normes antipollution en Europe, dans le but de protéger l’industrie automobile allemande.

Aujourd’hui, l’Allemagne a de gros chantiers devant elle. Électrifier les voitures, les usines, etc., pour qu’elles puissent, elles aussi, fonctionner à partir d’énergies renouvelables, et améliorer l’efficacité énergétique. Mais pour tout cela, il est nécessaire de pousser les gens au changement. Or, pour le moment, les Allemands ont parfois plutôt intérêt à ne pas changer. Le fioul est, par exemple, beaucoup moins cher et moins taxé qu’ailleurs.

À l’inverse, l’électricité figure parmi les plus chères d’Europe, notamment à cause de redevances qui ont servi à financer les énergies renouvelables. En 2021, après avoir longtemps hésité, l’Allemagne a mis en place une taxe carbone. Elle devrait augmenter le prix du gasoil de 8 centimes par litre et le gouvernement espère ainsi récolter 40 milliards d’euros, d’ici 2024, pour les réinvestir dans les énergies renouvelables, mais ce sera loin d’être suffisant. Selon certains experts, pour atteindre la neutralité carbone en 2045, l’Allemagne devra dépenser le double, et ce, chaque année. Un défi colossal qu’Angela Merkel transmet donc à ses successeurs.

La politique énergétique de l'Allemagne s'avère être un fiasco

La feuille de route poursuivie depuis 20 ans peut se résumer ainsi :

. Sortir simultanément du nucléaire et du charbon et combler les déficits d’approvisionnements pendant la transition vers le renouvelable par la construction de centrales électriques fonctionnant au gaz.

. Alors certes, l’éolien, le solaire, la biomasse, l’hydro-électricité représente désormais 50% de l’énergie électrique produite par le pays, contre à peine plus de 6% il y a 20 ans, mais l’électricité, elle-même, ne représente que 20% de la consommation d’énergie.

. Le renouvelable, c’est donc moins de 10% de la demande primaire d’énergie de l’Allemagne qui carbure toujours aux énergies fossiles et de plus en plus au gaz, destiné à l’industrie et surtout au chauffage domestique, avec de surcroît une situation de dépendance vis-à-vis de la Russie.

Avant le conflit ukrainien, les importations de gaz russe couvraient près de 60% de la demande allemande et cela devait augmenter encore avec la mise en service, aujourd’hui suspendue, du gazoduc Nord Stream 2, dont le Président du comité d’actionnaires n’était autre que l’ancien chancelier Gerhard Schröder.  Dépourvue de terminaux de gaz naturel liquéfié qui lui permettrait de réorganiser ses approvisionnements, l’Allemagne se retrouve ainsi sans alternative à court terme d’autant que les terminaux d’importations de GNL ailleurs en Europe n’ont pas la capacité suffisante pour se substituer au gaz russe et l’acheminer outre-Rhin.

Une « russo dépendance » qui allait jusqu’au contrôle par Gazprom de 25% des capacités de stockage situées sur le territoire allemand avant que la société russe ne cède la totalité de ses actifs en Allemagne. En ajoutant les importations de pétrole et de charbon, c’est finalement près du tiers du mix énergétique allemand qui est sous dépendance russe.

Autres errements stratégiques, le sous-investissement public

L’Allemagne a ainsi consacré à peine plus de 1% de son PIB aux dépenses militaires depuis 20 ans. C’est près de 2% en France, 2,3% au Royaume-Uni et environ 4% en Russie. Mal structurée, sous-équipée, la Bundeswehr serait aujourd’hui dans l’incapacité de satisfaire aux besoins de l’OTAN si l’un de ses membres devait lui demander son aide ou même de défendre son territoire.

Ceci fait que le pays est à la remorque de la stratégie américaine. Il est symptomatique plus globalement d’une Allemagne qui a sous-investie pendant des décennies dans ses infrastructures et ses équipements : La part du PIB consacrée à l’investissement public est systématiquement inférieure à celle des autres pays membres de la zone euro depuis près de 30 ans. L’Allemagne aurait ainsi accumulé un retard d’investissement de 745 milliards d’euros depuis 1995. C’est en partie le revers de la médaille de la vertu de ses finances publiques.

L'impasse de son modèle de croissance.

L’Allemagne a développé un modèle mercantiliste qui tire sa force d'une industrie ultra-compétitive grâce à la modération salariale en interne et au siphonnage de la productivité des PECO (Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovénie, Slovaquie, République Tchèque) à l'extérieur avec la mise en place d'une économie de bazar. La concurrence européenne (française notamment) est balayée. Et peu importe que la dynamique des demandes internes européennes soit comprimée.

Vue d’Allemagne, l’Europe, sous sa domination, est d’abord une base de production qui exporte vers le grand large, les BRIC, la Chine en particulier ce qui lui permet d’accumuler des montagnes excédents. Comme le montre la guerre déclenchée par la Russie, des relations avec un partenaire historique peuvent sauter du jour au lendemain. Or, la liste des PECO dirigés par des gouvernements nationalistes et ouvertement europhobes n’a eu de cesse de s’allonger (comme en atteste la nouvelle victoire écrasante de Victor Orbán en Hongrie), ce qui n’est pas sans poser le problème du maintien des relations commerciales avec ces pays et de leur stabilité. C’est bien là le principal Talon d’Achille de la compétitivité allemande.

La nouvelle dépendance à l'égard de la Chine

La bienveillance de Pékin à l’égard de Moscou pose le problème de l’exposition commerciale de l’Allemagne à la Chine, autre régime autoritaire. Sous les 16 années de l’ère Merkel, les exportations en Chine ont été multipliées par 4, faisant de la Chine avec un peu moins de 8% des débouchés le deuxième client du pays. Et ce n’est qu’une moyenne. Fer de lance de l’économie allemande, l’industrie automobile réalise 30% de son chiffre d’affaires en Chine.

Fiasco énergétique, armée impuissante, infrastructures marquées par des années de sous-investissement public, impasse du modèle de croissance : la guerre en Ukraine donne un nouvel aperçu d'une économie allemande fragilisée et d'une population qui risque de subir les contrecoups de certains choix qui apparaissaient en leur temps comme judicieux et habiles et qui s'avèrent aujourd'hui de véritables impasses..

 

Alessandro Carleone (MSIE 40 de l’EGE)

Sources :

Emissions de gaz à effet de serre par pays.

Emissions de gaz à effet de serre de l’Allemagne

Bilan énergétique : comparaison Allemagne/France

Chiffres sur l’éolien onshore et offshore en Allemagne

Jahr_2020.pdf Variation annuelle des production et consommation d’électricité en Allemagne :

Cartographie du réseau électrique allemand

 « German Failure on the Road to a Renewable Future », dans le Spiegel International.