Les confrontations informationnelles entre la France et l’Afrique

L’actualité de ces dernières années nous renseigne sur la perte de vitesse de la France en Afrique. Sur le plan économique, dans un rapport rendu en 2019, l’ancien ministre Hervé Gaymard  indique qu’en vingt ans, la France a perdu près de la moitié de ses parts de marché en Afrique par rapport à la concurrence, passant de 12% à 7%.  Ainsi, du point de vue des exportations par exemple, entre 2000 et 2019, la France est largement distanciée par la Chine qui occupe 27% des parts de marché contre 7% pour la France, qui est également talonnée par d’autres pays comme l’Allemagne, les Etats-Unis et l’Afrique du Sud.

Sur le plan diplomatique et de l’influence, la France perd également du terrain dans plusieurs pays d’Afrique. C’est le cas en République Centrafricaine, au Mali ou au Cameroun, où les accords stratégiques et militaires avec la France sont en train d’être remis en question et négociés avec d’autres pays à l’instar de la Russie ou d’Israël qui se positionnent de plus en plus comme de sérieux concurrents, mais aussi comme des conquérants à leur manière, sur le terrain africain. 

L'origine des rapports de force

Le soutien à des gouvernances africaines souvent peu représentatives

Plus de soixante ans après les indépendances, force est de constater qu’à la tête des pays africains qui ont été colonisés par la France il y a très peu d’alternance ou quand bien même il y a alternance, il s’agit de successions nécessitant au préalable l’adoubement de la France, qui est prompte à féliciter les présidents élus parfois dans des conditions discutables. Ces dirigeants n’étant pas l’émanation du peuple, n’ont aucun compte à rendre à ce dernier et n’hésitent parfois pas à le réprimer violemment. D’où la montée au créneau des sociétés civiles et d’organisations non gouvernementales pour dénoncer l’attitude de la France dans certains pays africains.

Le jeu trouble de la France au Sahel et en Centrafrique

Accusée d’être à l’origine de l’invasion du Nord du Mali par les djihadistes venus de la Lybie à la faveur du chaos créé par son intervention en Lybie en 2011 pour faire tomber le régime de Mouammar Kadhafi, la France essuie une vague d’impopularité dans la zone sahélienne de l’Afrique ; du fait des répercutions que cela a engendré dans toute cette région de l’Afrique. La France a été aussi accusée de jouer un rôle trouble dans la lutte contre les djihadistes et a pris la décision de réduire sa présence militaire au Mali, donnant ainsi la possibilité au gouvernement malien de solliciter l’aide d’un autre partenaire, la Russie, pour faire face aux djihadistes.

En Centrafrique, face à la décision de la France, en Juin dernier, de suspendre sa coopération militaire et de geler ses aides financières, les autorités centrafricaines n’ont pas hésité à solliciter les services de la Russie qui n’a pas hésité à saisir la perche, se positionnant ainsi comme le « nouvel allié » de l’Afrique face à une « puissance prédatrice ».

Les polémiques récurrentes sur la monnaie africaine

De l’avis de nombreux économistes africains, les pays colonisés par la France souffrent de leur monnaie (le franc CFA, dont la signification d’origine est Franc des Colonies Françaises d’Afrique) héritée de l’époque coloniale sous l’égide de la France.

Plus de soixante ans après les indépendances, ces pays n’arrivent pas faire décoller leur économie. On assiste de plus en plus à de nombreuses mobilisations d’associations et d’intellectuels sur le continent africain et en métropole pour réclamer la fin de du franc CFA et la mise à plat des accords de économiques datant des années d’indépendance signés entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique. Au cours de ces mobilisations, certaines parfois baptisées « Caravanes contre le franc CFA », des billets de banque (des francs CFA) sont brûlés par des manifestants pour traduire le rejet de cette monnaie qui symbolise pour ces derniers la perpétuation de la colonisation de l’Afrique par la France.

Malgré le projet de mise en place d’une nouvelle monnaie (appelée ECO) par les certains Etats africains pour remplacer le franc CFA, les suspicions continuent de persister, tant la France reste omniprésente dans ce processus.

La querelle autour de la restitution par la France du patrimoine culturel africain

Depuis de nombreuses années, des associations et certains Etats africains se lèvent pour réclamer à la France la restitution des objets d’art … se trouvant dans les musées en France. Le 22 Octobre 2020, l’activiste d’origine congolaise Emery Mwazulu Diyabanza s’introduisait dans le musée du Louvre pour dénoncer la présence dans les musées d’œuvres « volées à l’Afrique » ; et emmenait dans ses bras une statue enlevée de son socle en déclarant « … je suis venu reprendre ce qui a été volé »

Malgré de nombreuses réticences affichées par les musées français, et contre toute attente, le Président Emmanuel Macron déclarait le 28 novembre 2017, lors d’un discours à l’université de Ouagadougou (Burkina Faso) : « … Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique. »

Cette promesse a vu son début de concrétisation le 27 octobre 2021 avec la restitution officielle au Bénin de 26 sculptures royales pillées au XIXe siècle.

De la France-Afrique à l'Afrique-France : vers un nouveau paradigme ?

Le 8 octobre 2021 s’est tenu à Montpellier (France) le « Nouveau sommet Afrique-France », anciennement appelé « sommet France-Afrique ».

 Ce sommet d’un genre nouveau, sans chef d’Etat et sans autorité institutionnelle africaine était consacré exclusivement à la jeunesse d’Afrique et de France ; et se voulait un échange « libre et sans tabou » entre la France (représentée par son Président, Emmanuel Macron) et la société civile africaine. La préparation et la modération des échanges au cours de ce sommet ont été confiées par Emmanuel Macron à l’historien d’origine camerounaise, Achille Mbembe, dont les positions anti-impérialistes et sur la politique de la France en Afrique sont connues. Ce qui est considéré par beaucoup comme une « grosse prise » réalisée par Emmanuel Macron.

Derrière le changement sémantique et ce que plusieurs observateurs ont qualifié de « campagne de communication » du Président français, semble se profiler une refonte profonde des relations entre la France et le continent africain. En effet, comme nous l’avons indiqué plus haut la France est critiquée par des parties prenantes locales, dont certaines sont soutenues par des puissances étrangères, sur sa main mise sur certains pays africains (notamment ses anciennes colonies), accusée de soutenir des dictateurs africains et les coups d’Etat, et de tenir en laisse l’économie africaine à travers la monnaie coloniale qu’est le franc CFA. C’est sans doute conscient du rejet grandissant dont fait face la France en Afrique que Emmanuel Macron a décidé de discuter avec les sociétés civiles africaines qui cristallisent l’essentiel des critiques portées vers la France. C’est également conscient que ces revendications proviennent d’une société africaine de plus en plus jeune qu’il a déclaré en marge de ce sommet que : et qu’il a tenu à donner la parole à cette jeunesse africaine à l’occasion de ce sommet.

La nécessaire mutation des liens entre la France et l'Afrique

De l’avis du Président Macron, « L’avenir de l’Afrique et de la France appartient aux jeunes générations. (…), leurs voix portent un souffle d’espoir, une opportunité historique, celle de pouvoir écrire une nouvelle page de notre relation … »

La « méthode Macron », qui consiste à ne pas faire des chefs d’Etats africains ses seuls interlocuteurs, a le mérite de sortir des sentiers battus des traditionnelles habitudes diplomatiques et d’agacer les officiels des pays africains qui perçoivent cela comme une tentative refonte unilatérale de la relation entre la France, ne débouchera-t-elle pas sur un « clash diplomatique » ?

Au regard de tous les enjeux sur le continent africain, les réponses apportées par la France en vue de redorer son blason en Afrique ne semblent pas encore à la hauteur des attentes et de la concurrence avec les autres puissances qui fait rage sur ce continent où va se jouer l’avenir du monde entier dans les prochaines décennies. Ce qui pourrait justifier le recul de la France observé sur le continent africain.

Benoit Assala

 

Sources

Relancer_la_presence_economique_francaise_en_Afrique_-_Rapport_de_M._Herve_Gaymard.pdf (economie.gouv.fr)

Le rapport qui condamne l’intervention libyenne en 2011 - Le Temps

Afrique : les anti-franc CFA se mobilisent dans la rue - Le Point

Centrafrique : pourquoi les relations avec la France continuent de se détériorer (ouest-france.fr)

Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain.pdf (vie-publique.fr)

Contribution A.Mbembe.pdf (elysee.fr)