Les Etats-Unis limitent l’accès de la Chine à leur technologie

La pénurie actuelle de semi-conducteurs dans le monde a mis en évidence leur importance dans des secteurs économiques clés comme les technologies de l’information ou l’automobile. Des usines de production de voitures doivent temporairement suspendre leur usinage en attendant la prochaine livraison de semi-conducteurs. Aujourd’hui, la conception des semi-conducteurs est réalisée le plus souvent par des entreprises américaines et les autres étapes de la production ont lieu en Asie avant que les puces une fois terminées soient réexpédiées dans le monde entier.

Cette industrie n’a pas échappé à la montée de la rivalité sino-américaine ou de ce que certains ont appelé la guerre technologique entre Washington et Pékin. Sous l’administration Trump, une série de mesures a été prise pour limiter l’accès de la Chine à la technologie américaine de conception de semi-conducteurs, en particulier ceux qui font 7 nanomètres (nm), 5 et bientôt 2 nanomètres. Ces semi-conducteurs de dernière génération ne sont conçus qu’aux Etats-Unis. Leur avantage est qu’ils sont plus petits et plus efficaces en vitesse de transmission des informations. Ils entrent dans la fabrication de produits high tech de grande marque comme Alibaba ou Apple. Et surtout, ils seront de plus en plus nécessaires pour permettre le développement des réseaux de communication de la 5G et du cloud computing.  

La stratégie américaine que nous allons décrypter ici s’est déroulée en plusieurs étapes à partir de 2018. Elle a débuté par une campagne diplomatique publique contre une entreprise chinoise, Huawei pour passer ensuite à la mise en place de règlements internes limitant l’accès des entreprises chinoises à la technologie américaine des semi-conducteurs de dernière génération (7 nm et moins de 7 nm). Parallèlement, l’administration américaine a réalisé une révision complète du système de contrôle des exportations de semi-conducteurs vers la Chine. Conséquences de ces différentes mesures : un accès plus restreint de la Chine à la technologie des micro-processeurs, qu’ils soient vendus directement à la Chine ou qu’ils passent par des productions réalisées dans des pays tiers en utilisant la technologie américaine. Ce dernier cas de figure entre alors dans le cadre de l’application du principe d’extraterritorialité du droit américain [i], un outil utilisé comme une arme dans la guerre technologique contre la Chine. Ces actions de l’administration Trump puis de l’administration Biden quelle que soit leur forme s’expliquent en partie par les pratiques de vols de propriété intellectuelle réalisés par des acteurs chinois. Ces pratiques et le manque à gagner qui y est associé ont affecté toute l’industrie des semi-conducteurs américains. Qualcomm, Intel ou Micron en ont subi les effets.

En mai 2019, le Bureau pour l’industrie et la sécurité(BIS) [ii] du Département américain du commerce décide de placer l’entreprise chinoise de production d’équipement de télécommunication Huawei sur une « Entity list ». Une fois sur cette liste, les exportateurs américains qui travaillaient avec Huawei ont dû obtenir une licence spéciale pour l’exportation. Aux yeux de l’administration américaine, Huawei à cette époque violait les sanctions financières appliquées par les Etats-Unis à l’Iran [iii]. L’exportation par Google du logiciel Androïd à Huawei a été stoppé par cette mesure et Huawei ne pouvait plus commercialiser de téléphone avec le logiciel Androïd et ses mises à jour. La société chinoise a dû accélérer le développement de son propre logiciel pour ses smartphones.

Un an plus tard en mai 2020, le même Bureau pour l’industrie et la sécurité (BIS) du Département du commerce annonce que des licences pour l’exportation seraient maintenant demandées pour la vente de la partie design des micro-processeurs. Cette technologie nouvelle qui concerne en particulier les micro-processeurs de 7 nanomètres inclut une part de propriété intellectuelle américaine puisqu’elle a donné lieu à des dépôts de nouveaux brevets. Cette réglementation américaine a créé de l’incertitude autour de Huawei. La société ne pouvait plus garantir la vente de smartphones et d’équipement de télécommunication (5G) contenant des micro-processeurs de technologie américaine. Cela pouvait ralentir sa production et nuire à sa compétitivité. De plus, ces règlements ont mis en lumière la dépendance de Huawei à la technologie américaine.

Une campagne d’influence diplomatique américaine contre Huawei en 2020

A partir de 2020, l’administration américaine a mené une campagne d’influence auprès de ses alliés pour les convaincre de ne pas acheter les équipements de la 5G à Huawei. Le Secrétaire à la défense, Mike Pompeo, s’est rendu dans de nombreux pays alliés tout au long de l’année pour cela. Il a souvent évoqué publiquement les risques de fuites d’informations vers la Chine et donc d’espionnage à partir de réseau 5G qui auraient été installés par Huawei. A titre d’exemple, la Grande-Bretagne [iv] a décidé de ne pas signer de marché avec l’équipementier chinois. D’autres pays alliés des Etats-Unis ont suivi cette politique comme l’Australie.

Le cas des micro-processeurs destinés à l’industrie de défense chinoise

Le dernier volet de la politique américaine en matière de micro-processeurs a visé à ralentir le flux de transferts de technologie vers des entreprises industrielles chinoises de la défense. Dans ce cadre, la notion spécifique « d’utilisateurs finaux » est employée dans la réglementation américaine. L’industrie des micro-processeurs est duale avec des emplois tant civils que militaires. Jusqu’à une période récente, les autorisations d’exportation de semi-conducteurs étaient autorisées uniquement pour un usage civil. Mais les exportations pouvaient être détournées et utilisées par l’industrie de la défense chinoise.  Les contrôles de ces exportations ont donc été renforcés auprès des utilisateurs finaux. Si les sociétés intermédiaires chinoises qui achètent des semi-conducteurs de technologie américaine les revendent à d’autres entités et ne peuvent pas apporter suffisamment de garanties d’un usage final non militaire, la licence d’exportation n’est pas octroyée.

Les limitations des transferts de technologie américaine concernent la Chine mais également la Russie et le Venezuela. De plus, la réglementation américaine s’applique à d’éventuels pays tiers selon le principe d’extraterritorialité du droit américain en dehors des trois pays déjà cités.

Enfin, en juin 2020, après des entreprises comme Huawei et Hikvision (caméras de surveillance), la société chinoise SMIC qui fabrique des micro-processeurs (12 nm) a été placée sur « l’Entity list », ainsi que d’autres sociétés chinoises de micro-processeurs. Résultat : tous les acteurs chinois de cette industrie sont aujourd’hui placés sur cette liste et toute exportation de micro-processeurs américains doit faire l’objet d’une autorisation d’exportation. Dans les faits, on observe que seuls les semi-conducteurs en dessus de 7 nanomètres sont autorisés à être exportés [v]. Les semi-conducteurs plus fins bénéficiant d’une technologie innovante plus avancée ne le sont pas ce qui permet aux entreprises américaines de garder leur avance technologique. Début février 2022, 33 sociétés chinoises supplémentaires ont été ajoutées à « l’Entity list » américaine. Selon l’administration américaine, elles n’apportaient pas suffisamment d’informations sur les utilisateurs finaux ni de garantie d’un usage final non militaire.

Aujourd’hui, au total, 130 sociétés chinoises ont été placées sur cette « Entity list ». Ce nombre conséquent doit être lu au regard de la guerre technologique entre Etats-Unis et Chine qui dure depuis la mi-2019. Il s’explique également à la fois par la nature spécifique du capitalisme d’Etat pratiqué en Chine [vi], par la volonté de Xi Jinping d’accélérer l’intégration civilo-militaire, et par la politique menée depuis le début des années 2010 de modernisation de l’Armée de Libération du Peuple (ALP) chinoise.    

 

Estelle Prin
Auditrice en MSIE - Executive MBA en Management Stratégique et Intelligence Economique

 

Sources:

[i] LAIDI Ali, « Le droit, nouvelle arme de guerre économique », 2019, Editions Actes Sud.

[ii] Bureau for Industry and Security of the US Department of Commerce.

[iii] https://www.bis.doc.gov/index.php/documents/pdfs/2447-huawei-entity-listing-faqs/file
Office of Public Affairs, Bureau of Industry and Security, “Commerce Addresses Huawei’s Efforts to Undermine Entity List, Restricts Products Designed and Produced with U.S. Technologies”, May 15, 2020, 017-2021.commerce.gov/news/press-releases/2020/05/commerce-addresses-huaweis-efforts-undermine-entity-list-restricts.html.

[iv] https://www.gov.uk/government/news/huawei-to-be-removed-from-uk-5g-networks-by-2027
Press Release, “Huawei to be removed from UK 5G networks by 2027”, gov.uk, July 14, 2020, https://www.gov. uk/government/news/huawei-to-be-removed-from-uk-5g-networks-by-2027.

[vi] Anne Cheng, dir, « Penser en Chine », 2021, Editions Gallimard, 4eme partie, Nathan Sperber, p.361 à 390.