Les filiales d’outre-Atlantique de l’assureur allemand Allianz ciblées par l’administration américaine

Entre les mois de février et mars 2020, en conséquence de la turbulence provoquée par la Covid-19 dans la sphère financière, les hedge funds « Alpha », et notamment les trois suivants, Allianz Global Investors Structured Alpha U.S. Equity 250 LLC, Allianz Global Investors Structured Alpha Global Equity 350 LLC et Allianz Global Investors Structured Alpha U.S. Equity 500 LLC, filiales de l’assureur allemand Allianz, ont accusé des pertes importantes sur les marchés financiers.

Allianz fait aujourd’hui face à une somme de réclamations d’environ 4 milliards de dollars de la part de clients aux Etats-Unis, suite aux pertes enregistrées par ses fonds Alpha, parmi lesquels, un fonds de pension, l’Arkansas Teacher Retirement System (ATRS), présent dans le portefeuille client des trois hedge funds sus-cités.

Face à ces pertes dont 1,215 milliards de dollars de pertes cumulées par ces 3 fonds pour le compte de l’ATRS, la U.S. Securities and Exchange Commission (SEC), l’autorité américaine des marchés financiers, a ouvert une enquête réglementaire en 2020.

Ce fonds de pension, sous tutelle de l’Etat de l’Arkansas, a choisi de porter plainte en juillet 2020 contre 9 sociétés du groupe, dont la holding munichoise Allianz SE, s’estimant lésé et arguant le comportement inapproprié et la stratégie dangereuse d’Allianz. L’assureur a quant à lui déclaré que cette attaque n’avait aucune base légale et qu’il comptait se défendre vigoureusement.

Un contrecoup du maintien de l’accord énergétique germano-russe ?

Le projet Nord Stream 2, lancé en 2015, double le transfert énergétique gazier entre l’Allemagne et la Russie initié par le projet Nord Stream 1 en 2005.  De ce fait, la première puissance industrielle d’Europe renforce son couloir énergétique direct avec la Russie, 1er exportateur et 2e producteur mondial de gaz en volume, derrière les Etats-Unis. Tous deux s’affranchissent ainsi de la voie de passage par l’Ukraine, zone de lutte d’influence entre la Russie et les Etats-Unis (33’40). L’Allemagne augmente ainsi son approvisionnement direct auprès d’une puissance énergétique de premier rang et se prémunit des risques de perturbations de l’approvisionnement passant par l’Ukraine.

La Russie renforce sa relation commerciale avec la première puissance industrielle d’Europe, sécurise un débouché commercial clef, se libère de la variable ukrainienne concernant la maîtrise physique du tronçon de gazoduc y passant et fragilise la cohésion européenne ainsi que l’influence étatsunienne à l’ouest de sa frontière. Les Etats-Unis, malgré d’importants efforts d’intimidation, ont échoué à empêcher ce rapprochement germano-russe qui se traduit par la réduction du potentiel américain d’exportation dans le domaine du gaz naturel liquéfié issu des gaz de schiste. Washington doit réévaluer ainsi son dispositif d’influence en Europe ainsi que le projet de prise de compétence de l’OTAN dans le domaine énergétique initié en 2006 lors du sommet de Riga et toujours en construction.

Après des années de tension, le 21 juillet 2021, les Etats-Unis et l’Allemagne annonçaient officiellement avoir trouvé un accord clôturant leur différend à propos de Nord Stream 2. L’administration Biden a été prise à partie par les sénateurs américains à la suite de cet accord alors que le président démocrate semblait s’inscrire dans la continuité de son prédécesseur républicain dans ce dossier sensible.  Mais le 10 août 2021 le congrès américain a mandaté le DNI (section 337), l’agence gouvernementale coordonnant les 17 agences de renseignement, afin d’enquêter sur le projet Nord Stream 2.

L’arme financière comme mesure de rétorsion

Aussi, bien que les hedge funds d’Allianz aient eu de mauvaises performances lors de la période février/mars 2020, l’entrée en jeu du Département de Justice américain (DOJ) en août 2021, alors que la SEC avait déjà lancé une enquête en 2020, suggère que les mauvaises performances des trois sociétés du groupe Allianz sont opportunément instrumentalisées par les Etats-Unis en représailles de cet accord énergétique aux conséquences géopolitiques et économiques défavorables.

Le 5e assureur mondial et 1er assureur allemand, parmi les plus gros gestionnaires d’actifs au monde, risque d’être victime de la réaction américaine. Allianz a d’ores et déjà communiqué publiquement début août pour annoncer que cette procédure pourrait avoir un impact négatif sur ses futurs résultats financiers et perdait dans la foulée, entre le 30 juillet et le 4 août, environ 6 milliards d’euros de capitalisation boursière (-9%).

Ceci n’est pas sans rappeler le cas de BNP Paribas qui a connu par le passé une mésaventure similaire avec le DOJ qui s’est soldé par une amende de 9 milliards de dollars et la création d’une cellule de « Sécurité financière groupe » aux Etats-Unis, donnant ainsi au gouvernement américain un accès légal à toutes les données de la banque.

Par ailleurs, l’affaiblissement de la sphère financière européenne semble être une discipline à laquelle s’adonnent consciencieusement les Etats-Unis. En témoigne, entre 2007 et 2018, les quelques 179 procédures contre 77 banques européennes ayant donné lieu à plus de 69 milliards de dollars d’amende infligées par la justice américaine.

 

Pays d'origine des banques

Amendes américaines cumulées entre 2007 et 2018

Nombre de Banque

Nombre de décisions de justice

Suisse

 $                         15 782 700 000

54

77

Allemagne

 $                         15 481 100 000

2

22

Ecosse

 $                         12 825 500 000

2

13

Angleterre

 $                         12 232 600 000

6

42

France

 $                         11 004 000 000

6

16

Hollande

 $                            1 787 700 000

2

3

Italie

 $                               235 000 000

1

1

Espagne

 $                                 63 400 000

2

3

Luxembourg

 $                                 17 200 000

2

2

Total

 $                         69 429 200 000

77

179

Source : Exploitation du jeu de données sous licence construit par Mathilde Damgé / Le Monde.fr

 

En complément de ces données, en 2019 c’est au tour de la HSBC à hauteur de 192 millions de dollars, puis en 2020 c’est UBP qui écope d’une amende de 14 millions de dollars, enfin en 2021 le Crédit Suisse et le Crédit Agricole ont eu l’honneur d’alléger leurs bourses des sommes respectives de 121 millions et 8,5 millions de dollars à la faveur des Etats-Unis d’Amérique.

Les assureurs ne sont également pas en reste, par exemple, Swiss Life 77 millions de dollars en 2021, Zurich Insurance 5 millions en 2019 ou encore Axa 20 millions en 2014.  Subséquemment à cette passion belliqueuse pour le secteur financier européen, les établissements allemands paraissent devenir des cibles privilégiées : compagnon d’infortune d’Allianz, la Deutsche Bank, 1ère banque allemande, est de nouveau prise à partie par la FED depuis le mois de mai 2021.

Thibault Tijeras
auditeur de la 37ème promotion MSIE