Les guerres de l’information contre la dominance de la constellation STARLINK

Avec l’émergence du New Space ou « nouvel âge spatial » (1), l’espace est devenu le nouveau terrain de jeu des rapports de forces économiques. Ce phénomène s’est traduit par une multiplication du nombre d’acteurs privés entrant sur le marché́ qui, bénéficiant de la miniaturisation de la technologie et de la réduction du coût des lancements, proposent des services à moindre prix. Dans le domaine des télécommunications, le projet d’Internet spatial d’Elon Musk, STARLINK, se présente comme le leader du secteur.

STARLINK : Maître de l’Internet Spatial

Accéder à l’espace n’a jamais été aussi facile comme l’illustre la croissance du nombre de lancements réussis ces dernières années tous pays confondus. Cette démocratisation de l’espace et le développement des Cubesats, petits satellites (une dizaine de kilogrammes) faciles à produire et peu chers permettent d’imaginer tous les possibles. Grâce à sa société SpaceX, Elon Musk a senti en 2015 le bon filon et a investi largement dans ce projet. A l’image de OneWeb, il a conçu un programme capable d’offrir de l’internet à haut débit à tous les territoires du monde qui ne peuvent pas accéder au réseau actuel, grâce à un maillage d’une méga-constellation de Cubesats, placé en orbite basse tout autour de la Terre.

STARLINK a obtenu l’autorisation de lancer 12 000 satellites à l’horizon 2025 en espérant atteindre les 42 000 au terme du projet si rien n’entrave son développement. Aujourd’hui, 17 lancements réussis ont permis de stationner 1 050 satellites. Le service est opérationnel avec un débit extrêmement rapide, de plus de 160 mégabits par seconde.

L’un de ses principaux concurrents, Jeff Bezos, PDG d’Amazon et de Blue Origin, envisage d’offrir le même service et a obtenu le droit d’envoyer 3 200 satellites pour son projet KUIPER. Seulement, à ce stade, il n’a encore effectué aucun lancement de ses nano-satellites.

Le projet OneWeb, créé en 2014, est aujourd’hui le second projet d’Internet spatial le plus avancé. Cependant, si ce projet se pose ainsi en concurrent direct de STARLINK, à la fois en termes de marché et de technologie, l’entreprise n’a pour le moment placé que 74 satellites en orbite et a même fait faillite en mars 2020. La question de son rachat a suscité l’intérêt d’autres acteurs de l’Internet spatial comme STARLINK lui-même mais aussi d’Amazon, ainsi que d’autres opérateurs de satellites traditionnels comme Eutelsat. Ce sont finalement le gouvernement britannique et l’opérateur de téléphonie indien Bharti Global Limited qui l’ont acquis en juillet de la même année, conscients du potentiel et de l’importance stratégique d’acteurs industriels comme OneWeb pour le développement des capacités spatiales d’un État, à la fois en termes de technologies et de savoir-faire.

STARLINK avance donc largement en tête dans la conquête de ce nouveau marché.

Une méga-constellation au centre de toutes polémiques

Une ascension aussi fulgurante aurait pu presque passer inaperçue si ce milieu n’était pas le théâtre de toutes les nouvelles convoitises qu’elles soient politiques, économiques, scientifiques, juridiques et, bien sûr, sécuritaires.

Bien qu’habitué à l’exercice, SpaceX en tant que constructeur du projet doit régulièrement affronter des controverses aussi diverses que variées au sujet de son service d’Internet par satellite. Tous les moyens sont bons pour s’opposer à la dominance de STARLINK.

Un enjeu de souveraineté numérique

Face aux enjeux stratégiques que représentent l’espace, la souveraineté des capacités spatiales demeure au centre des préoccupations de l’Union européenne mais aussi de la Russie. Afin de ne pas laisser l’Internet spatial à STARLINK, les ripostes de Bruxelles et de Moscou vont bon train.

A l’occasion de la 13ème conférence spatiale européenne, le commissaire européen, Thierry Breton, a annoncé son ambition de développer une constellation équivalente à celle de STARLINK (2).

Pour ce faire, Bruxelles a débloqué un budget de 6 Md€ pour contrer les ambitions hégémoniques de SpaceX et autres concurrents et a sélectionné des géants européens des technologies, parmi lesquels figurent notamment Airbus, Orange, Eutelsat, SES ou encore Thalès. A ces derniers de concevoir le futur système spatial européen à même de fournir des services sécurisés de communication aux États-membres de l'UE. L’objectif étant de parvenir à une véritable souveraineté numérique et ne pas dépendre entièrement du géant américain (3). Si la réaction est honorable, le projet semble loin de voir le jour. Il s’agira du troisième grand projet européen, après Galileo et Copernicus. Mais à la différence de SpaceX, la difficulté principale de l’UE résidera dans sa capacité à être réactive et offrir un service opérationnel au plus tard en 2027 si elle ne veut pas être écartée du jeu.

En Russie, se connecter à Internet grâce à STARLINK pourrait être passible d'une amende (4).  La nouvelle loi, proposée par l'organe législatif russe, la Douma, vise à empêcher les citoyens d'accéder à Internet via l'un des satellites d'Elon Musk. Pouvant difficilement agir sur le fournisseur d’accès à Internet, le gouvernement russe a estimé qu’il serait plus facile d’infliger une amende à ces citoyens. L’annonce a quand même inquiété le fondateur de SpaceX, qui a réagi sur tweeter « We’re just trying to get people to Mars. Help would be appreciated » le 13 janvier dernier. En parallèle, la Russie prévoit de développer sa propre constellation de satellites Internet appelée Sfera, qui pourrait être lancée en 2024. Le projet, qui devrait coûter 1,5 trillion de roubles (plus de 16 milliards d'euros), permettrait probablement au pays de continuer à surveiller le trafic internet national. Ce qui illustre une stratégie russe qui tente de ralentir l’ogre américain dans ce domaine par une ambition affichée de souveraineté nationale et de contrôle de ses citoyens russes.

L’Internet spatial : une suprématie américaine

Si les enjeux commerciaux de l’Internet satellitaire sont parfaitement appréhendés par tous les acteurs économiques, la plus grande rivalité exposée au monde entier concerne le fondateur de SpaceX et le PDG d’Amazon (5). Comme sur Terre, ces deux colosses se livrent une guerre dans l’espace avec leur projet concurrentiel de constellation en orbite basse. Étant donné que STARLINK a une large longueur d’avance sur KUIPER, la stratégie d’Amazon ou plutôt de Blue Origin est de ralentir cette progression notamment en dénonçant l’attribution de certaines orbites auprès de la FCC (Federal Communications Commission). Créée par le Congrès américain en 1934 pour réguler les télécommunications puis les contenus des émissions de radio, télévision et Internet, cette agence fédérale, initialement indépendante du gouvernement des États-Unis, est passé à présent sous gestion étatique (6). Devant l’affluence des demandes de licences et la limitation des ressources spectre-orbites, la FCC se place comme l’arbitre américain en matière de télécommunication tout en laissant une liberté de manœuvre aux détenteurs des licences. Elle donne des licences aux entreprises privées US et présente les projets à l’UIT (Union Internationale des Télécommunications) en cas de besoin d’attribution d’une bande de fréquence. Quoiqu’il en soit, en matière juridique, le droit actuel n’est plus adapté à la réalité technologique et économique d’aujourd’hui et de demain. Il n’a pas été pensé et prévu pour des lancements réguliers de multiples satellites dont les conséquences sont la saturation du ciel et le risques de collision de plus en plus élevés avec d’autres objets

Les astronomes et les experts du spatial contre-attaquent

Dans le domaine scientifique, cette constellation inquiète également que ce soient les astronomes avec la pollution lumineuse qu’elle génère ou encore les experts spatiaux dans la gestion du risque de collision (7). Dans le premier cas, les astronomes ont lancé un appel à une action en justice contre la FCC (donc l’État américain) devant la Cour Internationale de Justice pour avoir autorisé une licence à STARLINK, qui pourrait avoir enfreint la loi sur la politique environnementale nationale (NEPA). L’objectif des astronomes est de faire valoir que le ciel nocturne est un droit humain partagé en vertu de la Convention du patrimoine mondial. La réponse d’Elon Musk à ces attaques est de tester un nouveau revêtement expérimental un peu moins lumineux sur les parties les plus exposées d’un de ses satellites. A croire que cette solution n’a pas calmé les ardeurs des opposants puisque qu’une pétition a même été initiée en 2020 pour inscrire le ciel étoilé au patrimoine mondial de l’humanité par le Mouvement Universel pour la Sauvegarde des Etoiles (MUSE) (8).

Au-delà de la pollution lumineuse, les experts de l'espace craignent que la multiplication des satellites de communication sur une orbite terrestre basse déjà surpeuplée ne rende plus probables les collisions entre satellites. En septembre 2019, une collision d’une probabilité́ de 1 sur 1 000, entre un satellite STARLINK et le satellite Aeolus de l’Agence spatiale européenne (ESA) a été évitée. Cet évènement a révélé́ des failles de communication importantes ou encore que STARLINK ne met pas vraiment tout en œuvre pour respecter l’article IX du Traité de l’Espace de 1967 qui stipule « En ce qui concerne l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, les États parties au Traité devront se fonder sur les principes de la coopération et de l’assistance mutuelle et poursuivront toutes leurs activités dans l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, en tenant dûment compte des intérêts correspondants de tous les autres États parties au Traité. » L’ESA s’est résolue à effectuer une manœuvre d’évitement, après avoir tenté́ d’échanger par mail avec l’opérateur américain. Elle n’a obtenu aucune réponse. STARLINK justifie ce silence par un problème informatique sur ses boîtes mails. Cet incident souligne l’importance d’identifier un régulateur spatial international inexistant à l’heure actuelle dont profite naturellement SpaceX dans sa course à l’espace. 

Face à toutes ces attaques, Elon Musk défend son projet STARLINK au titre qu’il apportera à terme une alternative au réseau internet terrestre actuel qui ne peut servir toutes les régions du globe et qui reste toujours vulnérable au risque d’espionnage. Il justifie la légitimité de son projet STARLINK par l’idée que les gains engendrés par cette activité d’Internet spatial lui permettront de financer le voyage martien qui profitera à l’humanité toute entière.

 

Aurore Martinez

Sources :

  1. https://omc.ceis.eu/le-new-space-et-la-course-a-linternet-spatial/
  2. https://siecledigital.fr/2021/01/15/la-commission-europeenne-veut-developper-une-constellation-equivalente-a-celle-de-starlink/
  3. https://www.zdnet.fr/actualites/l-ue-ne-veut-pas-laisser-l-internet-satellitaire-a-starlink-39915557.htm
  4. https://www.businessinsider.fr/en-russie-se-connecter-a-internet-grace-a-starlink-delon-musk-pourrait-etre-passible-dune-amende-186486
  5. https://korii.slate.fr/biz/elon-musk-jeff-bezos-starlink-kuiper-amazon-guerre-orbites-interferences-collisions-fcc
  6. https://transition.fcc.gov/ib/initiative/files/cg/french/8.pdf
  7. https://www.businessinsider.fr/voici-pourquoi-les-satellites-starlink-delon-musk-inquietent-les-astronomes-et-les-experts-186475
  8. https://www.musemouvement.org