Les incohérences de la politique énergétique française en termes de sécurité d’approvisionnement

Dans sa Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), la France s’est fixé l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Cette feuille de route pour lutter contre le réchauffement climatique, introduite en 2015 par la Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV) et révisée dans le cadre de la Loi Energie-Climat de 2019, s’inscrit dans les engagements de la France pris auprès de l’Union européenne et dans le cadre de l’Accord de Paris.

Le secteur du bâtiment (résidentiel et tertiaire) représente près de 20% des émissions directes de CO2 et doit diviser par deux ses émissions à horizon 2035, dans le scénario de référence de la SNBC. Le bâtiment constitue donc un axe important de la stratégie bas-carbone des pouvoirs publics qui va se décliner notamment dans la RE2020, la Réglementation Environnementale relative à la performance énergétique des bâtiments résidentiels et tertiaires neufs, qui se compose de 3 volets : la consommation d’énergie, le confort d’été et les émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble du cycle de vie des bâtiments.

Après plus de 5 ans d’intenses discussions entre les acteurs de l’énergie et du secteur de la construction, et les services du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire (MTES), le Gouvernement a présenté le 18 février dernier ses derniers arbitrages sur la RE2020, pour mise en consultation publique courant mars et publication des textes définitifs annoncée pour l’été 2021.

Même si le secteur du bâtiment neuf ne représente qu’1% par an du parc immobilier, il engage l’avenir et justifie l’importance de cette nouvelle réglementation qui vise une réduction de 30% de la consommation énergétique des bâtiments neufs par rapport à la Réglementation Thermique 2012 (RT2012) actuellement en vigueur.

La consommation énergétique des bâtiments - Etat des lieux et perspectives de la future RE2020

La SNBC fixe un objectif de réduction globale des consommations énergétiques de 50% à l’horizon 2050, et oblige donc les acteurs du marché de l’énergie à se repositionner dès à présent pour faire face à cette contraction annoncée des consommations. En 2019, la consommation énergétique globale du parc de bâtiments existants se répartit entre l’électricité (41%), le gaz (28%), les énergies renouvelables (EnR) thermiques (16%), le fioul (12%), autres (3%). Et s’agissant du seul usage chauffage, la répartition des parts de marché est la suivante : gaz (40%), électricité (37%), fioul (13%), bois et autres (10%). Plus précisément, le gaz est présent dans 1 logement collectif sur 2 et 1 maison sur 3 dans le parc existant.

Dans la construction neuve en revanche, le mix énergétique est sensiblement différent de l’existant. Les évolutions successives des normes de construction, et notamment la RT2012, ont conduit à un rééquilibrage entre l’électricité et le gaz. Ce dernier représente aujourd’hui 15% des logements individuels et 70% des logements collectifs.  Autrement dit, dans le secteur du bâtiment, la guerre se joue désormais principalement entre l’électricité et le gaz.

Les pouvoirs publics ont choisi leur camp : le tout-électrique

« L’électricité est la solution pour pouvoir réussir l’atteinte de la neutralité carbone en 2050 »: la déclaration d’Olivier David, chef de service du climat et de l’efficacité énergétique à la Direction Générale Energie Climat (DGEC) du MTES, lors du colloque organisé par l’UFE (Union Française de l’électricité) le 3 décembre 2019.

Lors de l’ouverture des Electric Days, événement innovation du Groupe EDF qui s’est tenu le 1er décembre 2020, le Président de la République Emmanuel Macron a salué la stratégie énergétique décarbonée d’EDF. Les liens étroits entre EDF et l’Etat trouvent leurs racines dans l’histoire politique française de l’après-guerre, quand le Conseil National de la Résistance crée un grand monopole public de l’électricité avec la Loi de nationalisation de 1946.

Depuis, EDF, qualifié d’Etat dans l’Etat, est souvent accusé de dicter les orientations de politiques énergétiques de la France, quelle que soit la tendance politique au pouvoir. Et l’Etat se retrouve juge et partie dans la mesure où il est actionnaire à près de 84% de l’entreprise.  EDF peut également compter sur son ancrage territorial, là encore hérité de la période d’électrification du pays et de la construction des grands barrages hydroélectriques, conforté par ses liens économiques et financiers avec les collectivités.

L’électrification des usages, bien au-delà du secteur du bâtiment, est donc sans surprise la solution plébiscitée par l’Administration centrale pour décarboner le mix énergétique français. Et les mesures retenues dans la RE2020 ne font qu’entériner ce choix pour les constructions neuves, en s’appuyant notamment sur deux nouveaux critères techniques et environnementaux de référence pour les promoteurs.

La guerre informationnelle de la filière électrique emmenée par EDF.

C’est un affrontement ancien et la filière électrique ne se cache pas de vouloir prendre sa revanche sur la RT2012 jugée trop favorable au gaz, alors qu’elle avait elle-même bénéficié de la RT2005 et de la RT2000. La bataille de la RE2020 s’est donc opérée sur le terrain des ingénieurs de la filière électrique au travers de la détermination du coefficient d’énergie primaire de l’électricité d’une part, et celui de son contenu carbone d’autre part.

Le coefficient d’énergie primaire reflète la déperdition d’énergie entre sa production et sa consommation, autrement dit il s’agit du rapport entre la quantité d’électricité finale consommée et la quantité correspondante qu’il est nécessaire de produire pour répondre au besoin des consommateurs. Et là où jusqu’à présent 1 kWh d’électricité consommée correspondait à 2,58 kWh d’électricité primaire, il n’en faudrait plus que 2,3, selon une nouvelle méthodologie de calcul poussée par la seule filière électrique et reprise à son compte par la DGEC. Ainsi, le coefficient d’énergie primaire ne reflète plus le mix de production électrique actuel, mais la moyenne de ce mix projeté sur un horizon de 50 ans (soit la durée de vie conventionnelle d’un bâtiment neuf) qui inclut une part croissante des renouvelables.

Or, qui sait aujourd’hui de quoi sera composé le mix de production électrique jusqu’en 2070 ? Et partant de là, qui peut affirmer raisonnablement qu’un bâtiment d’aujourd’hui doit être construit en utilisant un coefficient de 2,3 calé sur cette évolution hypothétique du mix qui favorise les seuls modes de chauffage électriques… et pourrait d’ailleurs modifier les besoins de productions en retour… ?

A noter également que ce calcul du coefficient d’énergie primaire de l’électricité n’est pas conforme aux règles européennes définies dans la directive 2012/2002 sur l’efficacité énergétique, qui n’intègrent pas de projections du futur mix de la production d’électricité : « Les Etats membres appliquent un coefficient défini grâce à une méthode transparente en s’appuyant sur les circonstances nationales qui influent sur la consommation d’énergie primaire […]. Ces circonstances sont justifiées, vérifiables et fondées sur des critères objectifs et non discriminatoires ».

Le contenu carbone, lui, représente les émissions de CO2 par kWh d’électricité utilisée pour le chauffage. Estimé jusqu’à présent à 210g/kWh (227g/kWh pour le gaz), en tenant compte d’une méthode de calcul dite « saisonnalisée par usage » qui visait à tenir compte du fait qu’en hiver, période de chauffage des bâtiments et donc de fortes consommations d’électricité, cette dernière est davantage produite à partir d’énergies fossiles – centrales à charbon ou au gaz plus émettrices de CO2 – qu’en été.

Une nouvelle méthode dite « mensualisée par usage » a été introduite, qui ramène le contenu carbone de l’électricité à 79g/kWh, plus proche de la simple moyenne annuelle revendiquée par la filière électrique… Or ce niveau, jugé anormalement bas et sans fondement scientifique par la communauté des experts, fait l’objet de nombreuses contestations, et notamment d’un recours toujours pendant devant le Conseil d’Etat, formulé par Association Française du Gaz.

Pour conclure sur ces deux paramètres clés, il convient de noter qu’ils ont été arbitrés début 2020 dans le cadre de la Loi de Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE), en avance de phase des concertations et nouveaux arbitrages intervenus depuis sur la RE2020. C’est donc un avantage indu qui a d’emblée été accordé aux équipements électriques avant même de fixer les niveaux d’exigences.

Ces nouvelles normes, qui vont s’appliquer à compter du 1er janvier 2022 pour les maisons individuelles et les bâtiments collectifs, résultent donc respectivement d’un pari sur le développement des EnR électriques et sur une modification arbitraire d’un paramètre de calcul, et ne s’appuient sur aucune démonstration ou évolution constatée dans la réalité.

En revanche, les conséquences de la RE2020 vont être bien réelles, au-delà de ce qui résonne bien, en effet, comme une revanche de l’électricité sur le gaz, ou plus exactement d’EDF sur son concurrent gazier ENGIE.

Ce que cache cette victoire tactique de l’électricité dans la RE2020

En renforçant donc « artificiellement » la performance énergétique de l’électricité, et en y associant un seuil d’émission de CO2 taillé sur mesure pour l’électricité, de respectivement 4 et 6,5 kg par an et par m² pour les maisons individuelles (dès 2022) et les bâtiments collectifs (en 2025), la future RE2020 va consacrer le retour exclusif du chauffage électrique sous toutes ses formes dans le secteur de la construction neuve.

Or, les multiples risques d’une telle décision politique, car il s’agit bien là d’une décision prise par le Gouvernement, ont été maintes fois pointés au cours du débat sur la RE2020, non seulement par les représentants du secteur gazier et des réseaux de chaleur, mais également de manière plus inattendue par des producteurs d’électricité renouvelable, notamment le solaire thermique et le photovoltaïque, et des associations comme Négawatt et le CLER notamment. De nombreuses pétitions ont aussi été lancées en ligne et de nombreux acteurs professionnels se sont mobilisés dès les premières annonces relatives aux critères mentionnés précédemment.

Au-delà des intérêts particuliers d’EDF et de la filière électrique, il est fondamental de remettre également en perspective les enjeux en termes de pouvoir d’achat et de souveraineté énergétique de la France. 

S’agissant des intérêts particuliers servis par ces choix politiques, ils sont bien entendus ceux d’EDF et ce à plusieurs titres. En effet, si l’objectif de maintien du parc nucléaire dans la production d’électricité et le développement de nouveaux EPR semblent évidents, l’augmentation de la consommation d’électricité sert également les intérêts d’EDF en tant que fournisseur d’électricité qui perd aujourd’hui 100 000 clients par mois au bénéfice de fournisseurs alternatifs. Et la fin prochaine des tarifs réglementés de vente (TRV) d’électricité que Bruxelles ne cesse de demander à la France, devrait accélérer l’ouverture des marchés et la mise en concurrence du fournisseur historique.

Concernant les coûts induits par ces décisions, et leur nécessaire impact sur le pouvoir d’achat des Français, ils sont de plusieurs natures et s’additionnent. Pour autant, il est très difficile d’avoir une idée précise de l’évolution du prix de l’électricité, les scénarios de la SNBC n’ayant fait l’objet d’aucun chiffrage.

Toutefois, la France va devoir investir massivement dans les moyens de production d’électricité, nucléaire et renouvelables. Uniquement sur les infrastructures de réseaux électriques de RTE (gestionnaire du réseau de transport d’électricité) et d’ENEDIS (gestionnaire du réseau de distribution d’électricité), le volume d’investissements nécessaires à l’intégration de quantités croissantes d’ENR électriques est estimé à 100 milliards d’euros d’ici à 2035. Et ces coûts vont mécaniquement se répercuter sur la facture des consommateurs.

Les limites de la politique de subventions

Par ailleurs, le développement des EnR électriques, dont l’objectif est de représenter en 2030 33% du mix électrique, se fait depuis plus de 10 ans à grand renfort de subventions et autres soutiens publics. La Loi de Finances 2021 prévoit bien une baisse des anciens tarifs de rachat de contrats solaires pour mettre fin aux effets d’aubaine dont ont bénéficié certains producteurs depuis plus de 10 ans, mais il n’en demeure pas moins que c’est l’argent du contribuable qui les finance en partie.

Enfin, s’agissant des systèmes de chauffage, même si les gains de performance réalisés ces dernières années par la pompe à chaleur (PAC) électrique, sa généralisation prônée par la filière et notamment par EDF (dont la Direction de la R&D a largement contribué au développement et à l’amélioration de ces équipements, notamment via des partenariats avec des constructeurs asiatiques) apparait hasardeuse si elle n’est pas encadrée.

En effet, l’installation d’une PAC électrique à haut rendement reste onéreuse, de 10 000 à 15 000 euros, sans compter des coûts de maintenance significatifs. Si elle constitue déjà la solution dominante pour les maisons individuelles, cette technologie est encore loin de pouvoir être adaptée à toutes les configurations, notamment dans le collectif.

Dernier élément et non des moindres, la performance des PAC décroît fortement lorsque les températures deviennent négatives, accroissant d’autant la consommation d’électricité et la sollicitation du système électrique.  

Compte-tenu du risque de renchérissement du coût de la construction lié à l’ensemble des mesures issues de la RE2020, les associations de consommateurs craignent que les promoteurs privilégient les équipements de chauffage les moins coûteux, c’est-à-dire les radiateurs à effet Joule dont le rendement demeure limité, même si ces équipements sont plus efficaces et plus « intelligents » que les radiateurs « grille-pain » largement déployés à partir de la fin des années 70. Le choix du tout-électrique n’entrainera donc pas à court-terme de baisse de la consommation contrairement à ce qui est annoncé et risque même à moyen-terme d’alourdir la facture d’électricité des ménages, et notamment des plus précaires, compte-tenu de la hausse tendancielle des prix de l’électricité évoquée plus haut.

En outre, contrairement à une boucle d’eau chaude qui laisse la possibilité aux ménages de choisir leur énergie de chauffage (car il « suffit » par exemple de changer sa chaudière pour passer du gaz à l’électricité ou au chauffage urbain, et inversement), la mise en place de systèmes de chauffage électrique tels que ceux prônés aujourd’hui par la filière est souvent irréversible, sauf à engager des travaux de grande ampleur.

A cela, les pouvoirs publics et la filière électrique opposent l’argument selon lequel ces augmentations de coûts seront compensées par la baisse des consommations, obtenue grâce aux nouvelles normes de construction dans le neuf (bâtiment très basse consommation) et aux programmes de rénovations énergétiques dans l’existant (à grands renfort là aussi d’aides financières de l’Etat et autres primes CEE). Mais cela reste à prouver. Le récent rapport d’information de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée Nationale sur la rénovation thermique des bâtiments montre en effet que les différentes actions de maîtrise de l’énergie engagées jusqu’à présent, notamment dans le bâtiment, n’ont pas eu les effets escomptés.

Enfin, l’impact de ces décisions en matière d’emplois et d’évolution des compétences au sein des filières professionnelles concernées n’a pas été anticipé, en l’absence de coordination entre le MTES et le Ministère du Travail.

Malgré les recommandations formulées par la Cour des Comptes, il n’existe aucune évaluation du coût complet (impact sur les finances publiques, la facture et le pouvoir d’achat des consommateurs, la balance commerciale de la France, …) du mix énergétique projeté par les services de l’Etat et des mécanismes de soutien public associés, mais ces premiers éléments en démontrent l’urgente nécessité.

Le dernier risque concerne l’approvisionnement en électricité de la France, et plus particulièrement en hiver.

Le piège de l’approvisionnement électrique de la France

En effet, la France est déjà le pays dont la consommation d’électricité est la plus sensible au froid en Europe, en raison de la part que représente déjà le chauffage électrique dans le mix, ce qui rend le système électrique français particulièrement sensible aux températures extrêmes. RTE estime qu’en hiver la puissance augmente de 2,4 GW par degré perdu. Autrement dit, il faut mettre en marche l’équivalent de 2 à 3 réacteurs nucléaires lorsque la température baisse d’un degré. Cela fait de la France le pays le plus thermosensible d’Europe, représentant à elle seule plus de 40% de la thermo-sensibilité électrique européenne selon RTE. La généralisation du chauffage électrique que préfigure la RE2020 aura donc pour conséquence d’accroître encore la thermo-sensibilité de la France.

La stratégie énergétique qui maximise le recours à l’électricité à court terme, aura donc deux conséquences majeures : accroître le risque d’approvisionnement de la France, de plus en plus tributaire de la disponibilité du parc nucléaire, et accentuer le phénomène de pointe électrique (consommation la plus élevée du réseau électrique généralement observée à 19h en hiver). On estime d’ailleurs que les précédentes réglementations favorables à l’électricité, la RT2000 et surtout la RT2005, ont fait progresser la pointe hivernale de plus de 50% en 10 ans, passant d’environ 70 GW au début des années 2000 à 102 GW - record absolu - en février 2012. Le rééquilibrage des énergies dans la RT2012 a en revanche porté sur ses fruits (c’était d’ailleurs un de ses objectifs affichés), puisque ce record n’a pas été dépassé depuis, comme l’avait d’ailleurs pointé RTE dans les bilans prévisionnels 2014 et 2015 avant que l’entreprise ne soit remise au pas par sa maison mère EDF !

Pour faire face à cette pointe (qui correspond à la puissance appelée) et maintenir l’équilibre du système électrique entre offre et demande, il est nécessaire de mobiliser l’ensemble des moyens de production pilotables : parc nucléaire, mais aussi des centrales thermiques à gaz ou pire au charbon. Ce dernier est notamment encore largement utilisé en Allemagne, et donc quand la France n’est plus auto-suffisante, elle peut être amenée à importer au prix fort de l’électricité allemande produite à partir d’énergie fossile.

Et c’est là que réside tout le paradoxe du choix politique français de l’électrification des usages, à l’exclusion de toute autre énergie notamment dans le bâtiment, au motif que la production nucléaire et le développement des EnR électriques permettent de disposer d’une énergie décarbonée. En effet, en période de forte sollicitation du système électrique pour le chauffage, aggravée par les pertes sur le réseau électrique (10% de l’énergie transportée), le relais est pris par des centrales thermiques avec des rendements de l’ordre de 50%, conduisant à un bilan énergétique et environnemental fortement dégradé, comparé par exemple à un rendement de près de 100% pour des chaudières gaz à très haute performance installées directement dans les logements.

Or le communiqué de presse qui accompagne la publication de l’étude RTE-ADEME, indique : « Sur le plan du système électrique : la pointe de consommation serait en légère hausse (de l’ordre de +2 à +6 % dans 15 ans) si les réglementations sur les bâtiments qui orientent vers l’électricité et d’autres vecteurs bas-carbone ne parviennent pas à y associer une bonne isolation du bâti et des équipements de chauffage efficaces. Les échéances à 15 ans permettent en toute hypothèse d’identifier des solutions à ces questions, au travers de moyens de production ou de flexibilités ». Autrement dit, la baisse attendue de la pointe prévue dans la plupart des scénarios reste assujettie à un strict respect de la trajectoire de rénovation plus qu’ambitieuse fixée au travers de la SNBC, et donc dans les faits il y a peu de chances qu’elle baisse réellement.

Cette question de la pointe s’apprécie également à l’aune des alertes formulées par la même entreprise RTE en novembre 2020 quant à la capacité du système électrique actuel à faire face à des températures hivernales extrêmes, ou des conséquences des récentes vagues de froid survenues au Texas.

La déficience du pouvoir politique en matière de stratégie énergétique à long-terme

Si l’issue de cette guerre énergétique franco-française entre électricité et gaz (illustrée par la bataille autour de la RE2020) n’est pas complètement écrite, en revanche le seul perdant de façon certaine est le client/consommateur, car l’absence de vision pratique de long terme des pouvoirs publics français en matière de politique énergétique à horizon 2050, comme l’a pointé la Cour des Comptes dans son rapport cité précédemment, conduit à la désoptimisation des réseaux et donc à une augmentation de la facture des deux énergies.

Ainsi, l’électrification massive des usages (bâtiment, mobilité, …) et le développement du secteur du numérique très énergivore, vont entrainer une augmentation des besoins en énergie et notamment en électricité, dont il est difficile aujourd’hui de démontrer qu’elle sera compensée en tout ou partie par les actions de maîtrise des besoins énergétiques engagées et à venir. 

La problématique n’est donc pas d’opposer énergies fossiles et mix électrique décarboné, mais bien de valoriser les atouts du mix énergétique français, déjà sans charbon et demain sans fioul, et avec une part croissante d’EnR thermiques, produites localement, comme par exemple la méthanisation qui permettra d’atteindre 100% de biogaz dans les réseaux à horizon 2050.

En outre, ce mix énergétique bénéficie de réseaux et d’installations de stockage de gaz déjà construits et en partie amortis, ainsi que de réseaux de chaleur, qui peuvent prendre le relais de la production électrique pour faire face à la pointe hivernale, notamment dans les zones urbaines.

Ces infrastructures existantes représentent également une solution à l’intermittence des EnR, car elles permettent de stocker sous forme de gaz le surplus d’électricité produite (via des procédés déjà éprouvés comme la méthanation), et de le restituer quand le niveau de consommation le nécessite.  En contribuant à la flexibilité du système électrique, les infrastructures gazières permettront de limiter les investissements de renforcement des infrastructures électriques, et d’effectuer une transition énergétique au moindre coût pour la collectivité et les consommateurs.

Enfin, par manque de courage politique : tergiversations quant à la place du nucléaire et quel nucléaire (qui est indéniablement une solution pour décarboner l’électricité), aveuglement face aux inconvénients des EnR (pollution, recyclage, balance commerciale, dépendance vis-à-vis de filières non-européennes) et manque de transparence et de maîtrise des coûts induits, c’est la souveraineté énergétique et économique de la France qui est en jeu. Ce sont des filières industrielles entières qui ne peuvent investir dans l’avenir et développer le potentiel industriel de la France, alors que parallèlement leurs concurrents chinois et américains se répartissent les marchés, y compris européens.

 

Françoise Penaud
Auditeur de la 36ème promotion MSIE