Les jeux d'influence et de pouvoir sur les câbles sous-marins de communication

« L’information, c’est le pouvoir » John Grisham

« Qui détient l’information, détient le pouvoir. Celui qui l’entretien, détient le monde » Adam Smires

Les fonds marins sont le nouvel espace de guerre informationnelle, économique et stratégique du XXI siècle, pour le contrôle des câbles sous-marin de communication et de l’or noir qui transportent : nos données.

170 ans séparent le premier message de 100 mots, adressé par l’Angleterre aux les États-Unis en 1858 en soixante-sept minutes via un câble sous-marin, des milliards de données échangées à travers le monde en moins de soixante milli seconde en 2021. Nos activités professionnelles, personnelles et notre économie dépendent de ce monde virtuel et de son usage ininterrompu (Nicole Starioselski). Ce réseau mondial doit être sécurisé, son flux maitrisé, ses données sauvegardées. Pour les grandes puissances étatiques et industrielles, posséder ces artères sont un des enjeux de leur souveraineté et de leur puissance économique.

Rappel de l’état des lieux

450 câbles sous-marins actifs parcourent nos fonds marins. Cela représente 1,2 millions de kilomètre de fibres. Ils assurent l’acheminement de 99% de nos données. En voici une carte non exhaustive, proposée par le site https://www.submarinecablemap.com

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Les opérateurs et les constructeurs de câbles historiques ne peuvent plus répondre à eux seuls aux besoins croissants de connexion émanant du monde entier. Les GAFAM prennent la relève et représentent plus de 50 % des investissements dans le déploiement de nouveau câbles, dont certains leur appartiennent totalement.  (Challenges, 2020) D’une durée de vie de 25 ans, les futurs câbles seront composés de 16 paires de fibres, pour une capacité de 12 Pétabits par seconde.

Ces possibilités attisent l’appétit de plus d’un conquérant.

La maitrise des nouvelles routes maritimes

Deux Etats dominent l’actualité, la Chine et les États- Unis et partagent une stratégie : sécuriser leur marché économique intérieur et assurer, accroitre leur puissance économique internationale.

En 2013, le président chinois Xi Jinping lance le programme Belt and Road Initiative (BRI), plus communément appelé : les nouvelles routes de la soie. Il y décrit la stratégie pour accéder au rang de première puissance mondiale économique et commerciale, devant les États-Unis. Le projet Digital Silk Road (DSR) est parallèlement lancé.  Colonne vertébrale du BRI, l’un des objectifs est de développer des infrastructures de télécommunication de qualité et des câbles sous-marins. A travers les BATX (Capital, 2016), quatre entreprises chinoises (BaiduAlibabaTencent et Xiaomi), la Chine investit massivement dans tous les domaines technologiques, dans tous les pays quel que soit le niveau de richesse : « Pékin participe à la construction et à la gestion des infrastructures Internet à la fois directement et indirectement, tout en influençant les stratégies des entreprises chinoises dans le secteur. Il s'engage directement avec d'autres gouvernements sur la question, en veillant à ce que le développement de l'infrastructure numérique soit inclus dans les vastes protocoles et accords économiques qu'il signe avec eux ». (ECFR, 2021)

Ainsi, reprenant à son compte la théorie de Soft Power, la Chine étend son pouvoir par la maitrise des routes de l’information.

Les États-Unis se doivent de réagir pour conserver leur part de marchés. Le gouvernement américain mène alors une guerre par l’information, par les menaces diplomatiques, appuyée par un cadre législative actant l’extraterritorialité des sanctions américaines. L’objectif ? Interdire l’accès au marché américain mais également restreindre la participation des opérateurs chinois au développement des câbles sous-marin, au nom de la sécurité nationale.

Dès 2012, Huawei Technologie est écarté du marché intérieur, (Page, O'keeffe, & Taylor, 2019). Bjarni Thorvardarson, alors directeur général de l'opérateur, indique « que les autorités américaines n'avaient soulevé aucune objection jusqu'en 2012, lorsqu'un rapport du Congrès a déclaré Huawei Technologies, et donc la chine, était une menace pour la sécurité nationale ». Il précise que selon lui, l’objectif était surtout de mettre en place une préférence nationale, et permettre à l’entreprise américaine, GTT Communication de reprendre les bénéfices de cette activité.

Cela se répète en 2013, en 2015, puis en 2020. Selon le monde diplomatique, (Perragin & Reouard, 2021) Washington fait échouer un projet de raccordement entre Los Angeles et Hongkong, par Google, Facebook et la Pacific Light Data Communication, accusant ce dernier de collaborer avec les renseignements chinois. Le réel objectif ? « Affaiblir la place financière de Hongkong dans un contexte où elle pourrait se rapprocher de Shangaï et supplanter Londres ».

Le 29 juin 2021, France Info (Sat, 2021)révèle que l’ile du pacifique « Nauru a contribué à faire capoter un appel d'offres de la banque mondiale, pour la pose d'un câble de communication sous-marin destiné à plusieurs îles de la région », ceci afin d’éviter que l’entreprise chinoise n’obtienne le contrat, dont l’offre pourtant était de 20% moins chère que la concurrence. Par la suite Nauru annonçait être en négociation (Matinal, 2021)avec l’Australie pour le déploiement d’un câble sous-marin qui se connecterait au réseau australien, « Coral Sea Cable ». La construction de cette même ligne a été achevée en 2019, par Vocus Group, société australienne, pour exclure une offre concurrente de Huawei Marine.

Durant la mandature du président Trump, l’administration américaine développa le programme « Clean Network » (Pompeo, s.d.) et précisa vouloir « s'assurer que les opérateurs de la République populaire de Chine (RPC) ne sont pas connectés aux réseaux de télécommunications américains. De telles entreprises représentent un danger pour la sécurité nationale des États-Unis et ne devraient pas fournir de services de télécommunications internationaux à destination et en provenance des États-Unis ».

Les GAFAM, avec l’aide et la surveillance de l’Etat investissent largement pour face à l’accroissement de leur besoin, et ne plus dépendre des opérateurs historiques. 

Fort de leur puissance économique, Américains et Chinois s’imposent. La résistance Européenne et française peut-elle s’organiser ?

La souveraineté nationale ou comment sortir de la domination sino-américaine.

La politique nationale de la Russie et la Chine (Loi sur la Souveraineté d’Internet de mars 2019 pour le premier, DSR pour la seconde), visent l’autonomie. Les conséquences sont par exemple l’obligation d’utiliser des applications et des Data Centers nationaux, voir la création d’un internet souverain pour la Russie avec « Runet » (Petitjean, 2020). Ainsi, en cas coupure intentionnelle ou non d’Internet, les impacts pour ces États seraient presque inexistants.

La situation diffère pour le vieux continent.

80 % des flux Internet repartent vers les États-Unis. Cela concerne tous nos usages : la voix, la data, la consultation de vidéos, la consultation de donnée via d’applications développé par les GAFAM, le stockage des données personnelles ou d’entreprise, les transactions financières… l’Europe est donc fragile et est soumise tous les aléas : rupture de câble, suspension de service unilatéral, voir consultation de nos données au nom de la sécurité nationale (Espionnage, Cloud Act…) Les conséquences d’une rupture seraient « dramatique tant au niveau politique, économique, social ou militaire » (Touri & Saadi, 2021)

L’Europe et la France sont en retard constate le rapport Sénatorial de 2019 (Longuet, 2019) : « L'Europe ne saurait en effet devenir la simple utilisatrice de biens et services, conçus et produits ailleurs dans le monde…la France est toujours un pays consommateur de produits et de services numériques et producteur de données captées par les grands acteurs étrangers. Il est difficile d'ignorer l'insuccès des politiques publiques conduites jusqu'à aujourd'hui dans ce domaine. »

Malgré les tentatives de mise en place d’un cloud, un cadre réglementaire et d’objectifs, la commission Européenne n’a que peu de pouvoir. (Exemple : l’attribution de licence pour le déploiement de câbles n’est dans son champ de compétence). Les 27 Etats membres ne font pas cause commune. L’absence de stratégie globale, d’investissements financiers conséquents accentuent ce décalage. Parfois alliées, souvent concurrentes, les entreprises européennes ne parviennent pas à s’unir pour maitriser une activité peu ou pas régulée. En cela, il est difficile de concurrencer l’influence des GAFAM qui investissent des milliards de dollars dans la recherche, l’achat, la construction.

Pour échapper à ces menaces, la France multiplie les accès des câbles sous-marins. Elle dispose de 13 stations d’atterrissement, accueillant 23 câbles et devient un Hub stratégique et la porte d’entrée numérique de l’Europe ; la ville de Marseille en devient l’étendard. Autre exemple,  la société Orange et donc la France, participe à des partenariats pour le déploiement de câble en Atlantique, notamment avec Google, en Afrique ou vers Singapour, (FMES, 2019)et s’associe à Cap Gemini pour devenir le premier fournisseur de cloud français.

 

Wilfrid Leitt
Auditeur de la 36ème promotion MSIE

Pour aller plus loin

Capital. (2016, 06 18). Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi : ces incroyables «GAFA» chinois. Chelet, Jonathan.

Challenges. (2020, 03 07). Google, Facebook, Amazon, Microsoft vs Chine: la nouvelle guerre des câbles sous-marins. Antoine Izambard.

ECFR. (2021, mai 4). Network effects: Europe’s digital sovereignty in the Mediterranean. Matteo Colombo ; Federico Solfrini ; Arturo Varvelli.

FMES. (2019, Juin 4). Entretien exclusif avec Jean Luc Vuillemin, directeur général L ORANGE INTERNATIONAL NETWORKS.

Longuet, G. (2019). Le devoir de souveraineté numérique .

Matinal, L. (2021, juin 25). Nauru Se Tourne Vers l’Australie Pour Un Câble Sous-marin Après Avoir Rejeté La Chine. Le Matinal.

Page, J., O'keeffe, K., & Taylor, R. (2019, juillet 9). Explained: US, China's undersea battle for control of global internet grid.

Perragin, C., & Reouard, G. (2021, juillet). Les câbles sous-marins, une affaire d’États. Le Monde diplomatique:

Petitjean, S. (2020, janvier 7). Internet : la Russie se coupe volontairement du réseau mondial et teste Runet, un intranet souverain.

Pompeo, M. (s.d.). The Clean Network. US. Department of State.

Sat, B. (2021, juin 29). Nauru, au cœur de la guerre des câbles sous-marins. France Info.

Touri, M., & Saadi, A. (2021, mars 21). Les câbles sous-marins, enjeu stratégique pour une indépendance numérique européenne. Portail IE.