Les Limitations de l’influence des multinationales françaises en Afrique - Le cas des entreprises Bolloré

Présent en Afrique depuis une vingtaine d’années, le groupe Bolloré a su s’imposer dans près de 46 pays du continent, prenant ainsi le monopole des différents réseaux locaux de transport et de logistique. La vague de privatisations imposée aux pays africains par les institutions financières internationales, dans le cadre du programme d’ajustement structurel de la banque mondiale et du FMI, lui a permis d’acquérir des concessions portuaires, des chemins de fer, des routes, des voies fluviales, des bases logistiques ainsi que des terminaux pétroliers et gaziers. Ce positionnement  déterminant (notamment les concessions portuaires) est-il le fruit d’une excellente stratégie de l’entreprise ou le groupe doit-il cela à l’influence exercée par Monsieur Vincent Bolloré au travers de ses réseaux politiques et médiatiques ?

Les concessions portuaires africaines

Avec l’arrivée de nouvelles puissances telles que la Chine, souhaitant se positionner comme de nouveaux acteurs de l’économie noire, avoir le contrôle des concessions portuaires africaines constitue un atout majeur à plusieurs niveaux.  D’un point de vue politico-économique, la gestion des terminaux et des ports donne l’accès aux caisses de nombreux États (allant parfois jusqu’à occuper une place centrale dans l’économie du pays), aux flux entrants et sortants du continent ainsi qu’aux relations frontalières entre deux pays. D’un point de vue  stratégique, le trafic génère une ressource informationnelle précieuse. La concurrence acharnée pour l’obtention de ces marchés entre le groupe Bolloré et ses rivaux démontre bien l’étendue des enjeux.

En effet, l’on se rappelle encore la guérilla industrielle et judiciaire sans merci, menée en Europe et en Afrique entre le groupe français Bolloré et son ex-partenaire, le groupe espagnol Progasa pour le contrôle du port autonome de Lomé au Togo. Ce dernier s’était soldé par l’éviction du groupe espagnol au profit du groupe français. Progasa avait été accusé de fraudes fiscales et détournement de fonds par les autorités togolaises, leurs comptes placés sous le contrôle d’un administrateur provisoire, qui était également le représentant du groupe Bolloré au Togo. Ces accusations intervenaient peu avant les élections de la présidentielle togolaise de 2010, remportées par l’actuel président Faure Gnassingbé qui succédait à son père Gnassingbé Eyadéma décédé brutalement en 2005. Tous les deux étaient des amis proches de Jacques Dupuydauby (patron de Progasa) et de Jacques Chirac (ancien-président français de 1995 à 2007).

Grand vainqueur, Vincent Bolloré aurait ainsi bénéficié du soutien de son ami M. Nicolas Sarkozy (ancien président français de 2007 à 2012) et de la volonté du président Faure Gnassingbé à démontrer son implication pour le renforcement et la préservation des relations bilatérales entre le Togo et la France, en dépit de son amitié de longue date avec Jacques Dupuydauby.

L'attaque multidimensionnelle comme stratégie de déstabilisation concurrentielle

Début 2008, Progasa porte plainte contre X pour corruption et favoritisme dans l’attribution des terminaux à conteneurs de Douala. Même si l’enquête est classée sans suite, cette plainte permet d’attirer l’attention sur les irrégularités dans les procédures de cession de plusieurs marchés en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. En 2013, une enquête judiciaire est ouverte contre le groupe français à la suite des plaintes déposées par Jacques Dupuydauby pour des faits de corruption. En outre, il est soupçonné d’avoir favorisé la réélection du président togolais, Faure Gnassingbé et l’ascension au pouvoir du président guinéen, Alpha Condé par l’intermédiaire de sa filiale publicitaire Havas en échange des concessions portuaires de Lomé et Conakry.

C’est en 2016 que la situation prend un tournant capital pour le groupe Bolloré. En effet, 79 voyageurs sont tués et 551 personnes sont blessées à la suite du déraillement d’un train de la Camrail (filiale de la multinationale Bolloré). Cet incident suscite l’effroi national et le président camerounais Paul Biya, se voit contraint de rendre des comptes, au détriment de sa relation avec Vincent Bolloré. De plus, des plaintes ont été déposées par des associations et des villageois camerounais contre les dirigeants de Socapalm pour abus et maltraitance envers ses employés, non-respect du droit du travail, et non-respect de la protection de l’environnement.

Même si certaines de ces plaintes ont été annulées, notamment celle de la Guinée pour cause de prescription, d’autres ont été classées en faveur du groupe Bolloré. Néanmoins, l’image de l’entreprise a été très fortement entachée et les retombées ne se sont pas fait attendre. En effet, la multinationale a perdu la gestion des terminaux des conteneurs de Douala au Cameroun. Trois de ses dirigeants ont plaidé coupable pour les faits de corruption active d’agent public étranger et complicité d’abus de confiance au Togo. Le procès est toujours en cours.

Ces accusations rappellent celles portées à l’encontre du groupe espagnol Progasa en 2009. L’approche est virulente et les angles d’attaque sont de nature à révéler les activités illicites du groupe, le discréditer sur la scène africaine, ternir leur image de groupe international et restreindre l’influence de la famille Bolloré. En abordant les aspects humains et environnementaux, notamment la pollution des eaux et sols, les conditions de travail inhumaines ou encore le travail de mineurs, la multinationale est présentée comme un esclavagiste des temps modernes.

La perte des marchés et des concessions portuaires vise à affaiblir financièrement le groupe tout en limitant l’expansion et le développement de leurs activités. Le coup de maitre qui impacte grandement cette guerre industrielle et informationnelle est la mise à nue des réelles motivations des relations entre le groupe Bolloré et ses alliés. Ces dernières, qui étaient jusqu’à présent déguisées sous forme d’actions philanthropiques, se révèlent à présent être du trafic d’influence et de la corruption.

Des alliés solides et plus si puissants

C’est dans les moments difficiles que l’on voit ses vrais amis...ou pas. Cette phrase résume assez bien les relations actuelles du groupe Bolloré et de ses dirigeants. Les connexions qui étaient jusqu’à lors diverses et multiples, entre ces derniers et les responsables politiques français et africains, se sont amoindries récemment. Jusqu’à présent, il pouvait compter sur les appuis des pouvoirs publics et des dirigeants des différents régimes politiques concernés, dans sa conquête des marchés du continent africain. Cependant, suite aux poursuites et aux faits récents, ces derniers se retrouvent exposés et contraints de se retirer. Aucune prise de position publique n’est faite. Les poursuites judiciaires vont de bon train et il semblerait que la nouvelle politique majoritairement appliquée entre tous soit celle du silence et du retrait.

Les réels vainqueurs de cette guerre

En décembre dernier, le groupe français a annoncé la signature d’un accord d’exclusivité pour la cession de ses terminaux portuaires et concessions ferroviaires en Afrique centrale, ainsi qu’en Afrique de l’Ouest pour 5,7 milliards d’euros dette comprise, au profit du groupe italo-suisse MSC. Même si l’accord définitif n’a pas encore été conclu, la date limite étant fixée au 31 mars 2022, il n’en demeure pas moins que la branche Bolloré Africa Logistics est en voie de rachat.

L’on pourrait croire que le grand gagnant de cette campagne de déstabilisation économique et médiatique à l’encontre du groupe Bolloré est le futur acquéreur des terminaux. Cependant, une observation attentive et une connaissance de l’histoire laisse croire que le groupe Progasa saura profiter de cette situation. Pour l’instant, Jacques Dupuybaudy ne s’est pas encore prononcé quant à la vision stratégique du groupe Progasa, même s’il n’a jamais caché ses ambitions pour le port de Lomé.

Au Cameroun, les pouvoirs publics locaux ont su tirer élégamment parti de la position épineuse du groupe Bolloré pour les évincer de la gestion des terminaux à conteneurs de Douala. En effet, depuis janvier 2020, c’est le port autonome de Douala, par le biais d’une régie nationale fondé en décembre 2019 qui contrôle lesdits terminaux.

 

Léonie Stéphanie Honban

 

Références

  1. Les guerres africaines de Vincent Bolloré
  2. https://www.monde-diplomatique.fr/2021/01/PIGEAUD/62633
  3. Bolloré en Afrique, une série d'affaires judiciaires
  4. Soupçonné de corruption en Afrique, Vincent Bolloré a été mis en examen
  5. Le groupe Bolloré en passe de vendre ses terminaux portuaires et concessions ferroviaires en Afrique pour 5,7 milliards d’euros
  6. Concessions portuaires : Bolloré contre-attaque
  7. Port de Lomé: Bolloré manœuvre en eaux profondes
  8. Nouvel épisode judiciaire autour du groupe Bolloré au Cameroun
  9. La justice annule l'attribution du terminal à conteneurs du port de Douala